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Le CERPRADE et la démocratie au Faso : Peut-on diagnostiquer le système de l’intérieur ?

Publié le mercredi 15 mars 2006 à 07h30min

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Arsène Bongnessan Yé

Un atelier de restitution d’une étude menée par le Centre d’études et de recherches sur les pratiques de la démocratie (CERPRADE) a réuni, le 24 février dernier à Ouagadougou, une centaine de personnes. Au menu, la limitation du nombre de partis politiques, la neutralité de l’Administration, l’indépendance de la magistrature, la nécessite d’élaborer un statut pour la chefferie coutumière...

Pertinents, ces thèmes le sont vraiment, à plus d’un titre, tant ils font régulièrement l’objet de discussions passionnantes et parfois passionnées.

Mais, avant d’en venir à ces centres d’intérêt, il est, nous semble-t-il, plus qu’a propos de dire un mot sur le CERPRADE et, surtout, sur son président, Bongnessan Arsène Yé.

En effet, voila un médecin-colonel (sauf erreur de notre part) qui arrive en politique par le mouvement étudiant, anime idéologiquement la Révolution démocratique et populaire (RDP) sous le Conseil national de la révolution (CNR), dirige les Comités révolutionnaires (CR) sous le Front populaire, préside la Commission constitutionnelle, occupe le perchoir de l’Assemblée des députés du peuple et (patatra !) (re) devient simple député. En quelques mots, c’est le parcours de cet enfant des Balé.

Après ce que d’aucuns ont perçu comme une chute, il se fait anonyme et discret, mais ne continue pas moins d’œuvrer dans le sens de traduire dans les faits ses convictions démocratiques. C’est ainsi que, grâce aux relations qu’il a su nouer avec des gens qui comptent dans ce monde et au soutien des premières autorités de ce pays, il se lance sur le terrain associatif. Cela lui valut les intentions de créer un parti politique rival du CDP, qu’on lui prêtait.

Mais, puis, à force de persévérance et d’abnégation, il parvint à donner çà et là des conférences en Afrique et en Europe notamment, à faire de la consultance et, finalement, à jouer un des premiers rôles dans la gestation et l’accouchement du CERPRADE, dont il préside aux destinées aujourd’hui.

A bien y voir, c’est la concrétisation d’une tendance presque naturelle chez ce sujet. Pour parler comme le médecin qu’il est. En effet, en jetant un coup d’œil sur son passé, on s’aperçoit qu’il a toujours été mu, plus par l’approche intellectuelle des questions, que par les prises de position partisanes bornées.

Il cède plus facilement aux exigences du diagnostic avant toute décision qu’il ne se laisse séduire par les raccourcis des complaisances politiques. Est-ce parce qu’il est médecin de formation ou est-ce parce que son expérience lui a suffisamment enseigné le b.a.-ba de la vie en société ?

Sans doute il y a un peu des deux, car depuis le Regroupement des officiers communistes (ROC) jusqu’à l’Union des communistes burkinabè (UCB) en passant par l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) et le Service de santé des forces armées nationales, il avait toujours essayé de donner à ses opinions politiques et/ou techniques une onction intellectuelle et une franchise qui, en tant que telles, conféraient une vision plus large et plus rigoureuse des phénomènes et pouvaient prémunir plus des erreurs.

Du reste, on se souvient encore de ses propos fracassants sous la première législature, à l’endroit de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) et sur l’état de la morale au Faso.

Ce n’est que dans l’ordre normal des choses s’il se retrouve aujourd’hui à la tête d’une institution comme le CERPRADE. Un bémol cependant : il lui faudra, d’une part lutter contre lui-même, car il pourrait arriver que le député CDP qu’il est toujours se querelle avec l’intellectuel et le scientifique social qu’il est en tant que directeur exécutif du CERPRADE.

D’autre part, il ne manquera pas d’aller contre la volonté de certains militants, et pas des moindres, du "grand parti", dont le souci est de conserver le pouvoir au mépris de certaines règles élémentaires de démocratie. Cependant, une de ses forces étant qu’il ne fait pas ce qu’il est en train de faire, à l’insu de Blaise Compaoré, les propositions du CERPRADE seront d’autant plus acceptées que celui-ci est dirigé par quelqu’un du sérail.

Des thèmes d’importance

Conçue comme un système de gestion de la nation en faveur du plus grand nombre par le plus grand nombre, à travers ses représentants élus, l’Etat de droit démocratique va parfois à l’encontre de nos intérêts individuels. Avoir le courage d’en faire la promotion, c’est du même coup avoir le courage de dire adieu à certains avantages et privilèges dont nous (et/ou notre parti) jouissons.

Dans ce sens, le CERPRADE, en faisant de la neutralité de l’Administration, de l’indépendance de la magistrature et du statut de la chefferie coutumière (entre autres) ses chevaux de bataille, va à l’encontre des intérêts du parti majoritaire, mais au profit de la construction de la démocratie :

il est évident que réclamer la neutralité de l’Administration,c’est aller contre l’existence des structures des partis politiques (et d’abord contre l’existence des structures du CDP) au sein de l’Administration ; clamer la nécessite d’un statut pour la chefferie coutumière, c’est dénoncer, de manière subtile, les choses telles qu’elles se passent actuellement.

C’est non seulement aller contre le CDP, qui est le parti politique qui profite le plus de cette situation, mais aussi menacer les intérêts de cette chefferie, qui ne veut pas être exclue de la soupe. Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) et ce réalisateur (qui avait osé une mise en scène filmique critique du comportement des chefs coutumiers) en savent quelque chose.

Et pourtant, tout ce monde a raison : les chefs coutumiers, en période de crise sociale, sont souvent considérés au même titre que les responsables des communautés religieuses chrétienne et musulmane, c’est-à-dire comme une force morale plus ou moins impartiale pouvant aider à solutionner le conflit. Or, alors qu’on n’a pas encore vu un abbé, un imam ou un pasteur briguer un poste électif ou accepter de se faire nommer ministre (à notre connaissance), il y a des chefs coutumiers députés et il y en a eu qui ont occupé des postes ministériels.

Ils deviennent ainsi juge et partie même si ce ne sont pas les députés qui sont médiateurs.

Enfin, revendiquer l’indépendance de la magistrature, c’est titiller les gouvernants du jour, car s’il y a quelqu’un qui peut profiter de sa position vis-à-vis du pouvoir judiciaire, c’est bien eux. Et le président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) étant Blaise Compaoré, par ailleurs, président du Faso, les conclusions se tirent d’elles-mêmes.

Conseils au parti majoritaire

En fait de conseils, ce sont plutôt des avis, car pouvons-nous réellement conseiller le CDP ? Nous n’y croyons pas vraiment. Contrairement à ce qu’on peut penser à priori, le CERPRADE, après le CGD, rend un grand service au parti au pouvoir, en lui permettant de voir et d’entendre des choses, de la part de gens qu’il ne peut soupçonner de vouloir le renverser.

C’est pourquoi il faut apprécier à sa juste valeur l’acceptation, par le président du CDP et de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré, de présider la cérémonie d’ouverture de l’atelier.

Les militants du CDP en retard d’une époque doivent comprendre que (au moins dans la forme) les temps ont bien changé et que conserver le pouvoir résultera de plus en plus de leur capacité à conquérir les cœurs des électeurs et non à refuser d’ouvrir le jeu démocratique, à travers des astuces cousues de fil blanc.

A l’endroit de l’opposition, il faut souligner que même si son rôle n’est pas d’applaudir le pouvoir, des signes existent qui prouvent que les gouvernants ne sont pas toujours sourds face à ses critiques.

Certes, il y a souvent comme une éternité entre la prise en compte d’une critique et la mise en œuvre des solutions au problème ayant engendré la critique ; mais vous conviendrez avec nous que même à l’échelle individuelle, le diagnostic d’un problème, l’élaboration de solutions et les retombées concrètes desdites solutions ne surviennent pas d’un coup de baguette magique.

En attendant, l’initiative du CERPRADE participe à la bonification de la démocratie au Faso, et il n’y a pas de gêne à s’en féliciter.

Zoodnoma Kafando

L’Observateur

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