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Mme Bernadette OUATTARA (FAARF) : “Le FAARF contribue à la lutte contre la pauvreté”

Publié le mercredi 8 mars 2006 à 08h18min

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Au Burkina Faso, le thème retenu ce 8 mars pour la célébration de la Journée internationale de la femme est : « Femme et lutte contre la pauvreté ». Un thème dont la pertinence ne fait aucun doute eu égard à l’ampleur de la pauvreté qui frappe la majorité des femmes burkinabè.

Le Fonds d’appui aux activités renumératrices des femmes (FAARF) a vu le jour en 1990 pour aider celles-ci à lutter efficacement contre la pauvreté par la réalisation d’activités génératrices de revenus.
Au regard du thème « national » de cette journée du 8 mars, nous avons rencontré, Mme OUATTARA Bernadette, directrice par intérim du FAARF pour entre autres, parler de la contribution du fonds dans cette lutte contre la pauvreté.

Quels sont les objectifs du FAARF ?

Mme OUATTARA Bernadette (OB) : Le FAARF d’une manière générale a pour objectif de promouvoir l’accès des femmes aux crédits en leur octroyant des prêts ou en leur offrant sa garantie. Nous leur dispensons en plus une formation pour une meilleure gestion des crédits.

Depuis 1990, le FAARF est sur le terrain. Quel bilan pouvez-vous faire de cette quinzaine d’années d’existence ?
OB : C’est vrai, le FAARF a été créé en 1990. Mais, il a fallu d’abord s’organiser, respecter des procédures, avant de commencer à exercer. Ainsi donc, le premier crédit octroyé par le FAARF l’a été en mai 1991. De mai 1991 au 31 décembre 2005, en termes de chiffres, c’est 20 394 542 930 FCFA qui ont été octroyés à 642 442 femmes.

Ces femmes sont des clientes individuelles ou qui appartiennent à des groupements ou associations de femmes. En termes de formation, ce sont 16 716 femmes qui ont été formées.
Le FAARF couvre les 45 provinces, pratiquement tous les départements. Malheureusement, nous ne sommes présents que dans environ 3 500 villages sur les 8 000 villages que compte le Burkina. Il y a donc un énorme travail à faire pour couvrir tous les villages.

Quelles sont les conditions pour obtenir un fonds FAARF ?

OB : Il faut préciser que nous avons deux types de crédits. Je parlerais plus du crédit collectif qui se pratique sur l’ensemble du territoire burkinabè. Alors, pour ce crédit, il faut d’abord être membre d’une association ou d’un groupement féminin, légalement reconnu ou encadré par une structure technique. Nous entendons par structure technique, les structures étatiques, les projets, les ONG et même les organisations faîtières.
Si vous êtes un groupement ou une association, vous introduisez une demande au niveau du FAARF.

Nous avons des agents de terrain que nous appelons animatrices. Compte tenu de notre public-cible qui est analphabète à plus de 90%, ce sont ces animatrices qui font le travail technique (montage et traitement des dossiers). Nous faisons généralement du crédit court terme dont la durée maximale est de (1) an. Le montant varie ; ainsi, pour un premier crédit, le plafond est de 1000 000 FCFA pour l’ensemble du groupement, montant qui va augmentant. Jusqu’à 2 000 000 FCFA, c’est la directrice qui octroie le crédit, au-delà de 2 000 000 FCFA, c’est le comité externe de crédit qui octroie.

Le taux d’intérêt est de 10% sur le capital emprunté. Après obtention du crédit, vous devez cotiser à un fonds de garantie qui est également de 10%. Ces modalités de remboursement dépendent du cycle de l’activité que vous menez. Si vous menez par exemple, le petit commerce, la transformation, le remboursement est mensuel. Si vous faites l’élevage ou l’agriculture c’est au moment par exemple où vous allez vendre votre animal à l’issue de la période d’embouche que vous allez rembourser. Les modalités de remboursement sont donc en fonction du cycle de l’activité.

Est-ce que toutes ces conditions ne sont pas un frein à l’accès d’une majorité des femmes aux crédits FAARF ?

OB : Je ne pense pas que ces conditions soient un véritable frein. Par exemple, je ne vous ai pas parlé de garantie matérielle. On ne vous demande pas de reçu d’une moto, d’une parcelle ou autre. C’est la caution solidaire. Ce qui veut dire que si vous êtes de bonne moralité, vous évoluez dans un milieu où les gens ont confiance en vous, il n’y a pas de raison que vous ne puissiez pas adhérer à une association ou à un groupement pour pouvoir bénéficier du crédit ! Dans la ville de Ouagadougou exclusivement, nous faisons le crédit individuel.

Vous savez qu’en ville, les regroupements, c’est pas aussi évident qu’en campagne et là on s’adresse à des femmes qui s’associent en groupe de solidarité de trois (3) à six (6) personnes. Nous ne pensons pas que ce soit là des conditions insurmontables et qu’elles puissent être un frein à l’accès des femmes au crédit.
Vous pouvez peut-être vous renseigner auprès des autres structures de crédit et vous comprendrez que nos conditions ne constituent pas un frein.

Le thème national de la journée du 8-Mars est « femme et lutte contre la pauvreté ». Comment pensez-vous que les femmes burkinabè, majoritairement analphabètes peuvent lutter contre la pauvreté ?

OB : Les femmes burkinabè luttent déjà et chaque jour contre la pauvreté. A tout moment de leur vie, elles sont en train de lutter contre la pauvreté à leur manière, en essayant de mener des activités génératrices de revenus pour subvenir aux besoins primaires de la famille. Ce sont les femmes qui luttent pour nourrir les familles. Non seulement, elles mènent de petites activités, elles cultivent, elles ramassent des cailloux, du sable pour vendre etc. Elles essaient de produire autant que faire se peut pour nourrir leurs familles. Elles veillent à la santé, à l’énergie, à la scolarisation des enfants. Je pense que c’est à leur manière qu’elles luttent contre la pauvreté.

Quelle est la part du FAARF justement dans cette lutte ?

OB : Nous pensons que le gouvernement a eu une vision prospective en mettant en place le FAARF pour contribuer à améliorer les conditions de vie des femmes. Vous pouvez vous renseigner, c’est pratiquement l’une des rares structures de crédit qui couvre le territoire national. On a déjà essayé de faire une évaluation de l’impact du FAARF sur le terrain après une quinzaine d’années d’existence, les résultats et les rapports existent...

Je pense que globalement nous contribuons à réduire la pauvreté féminine qui est la pauvreté la plus criarde.
Mais, comme on le dit, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Je vous ai tantôt parlé de notre taux de pénétration village qui est assez faible, ce qui veut dire que nous devons davantage mettre l’accent de telle sorte que toute femme, quel que soit l’endroit où elle est, dans le hameau le plus reculé, puisse bénéficier du crédit pour mener une activité.

On a de réelles difficultés sur le terrain qui sont aussi liées à l’analphabétisme des femmes. Du fait, de ce handicap, elles se laissent gruger par pas mal de personnes. Par exemple, des femmes salariées, qui n’ont pas droit aux crédits FAARF arrivent à glisser leurs noms sur les listes pour avoir accès aux crédits et curieusement ce sont ces femmes qui ne remboursent pas et créent par la même occasion des problèmes à tout le groupe. Vous avez aussi des hommes malheureusement qui prétendent être là pour aider les femmes mais qui finissent par créer des problèmes.

Il y a aussi nos chers maris qui attendent qu’on ait l’argent et qui récupèrent tout à la maison. Comme autres difficultés, vous savez qu’au niveau du Burkina toutes les voies ne sont pas praticables en toutes saisons. Alors, quand il faut les emprunter pour accéder à ces femmes du pays profond reconnaissez que ce n’est pas aisé.

Mais, peut-on dire que les 642 442 femmes qui ont bénéficié du fonds FARRF ne sont plus pauvres ?

OB : Nous n’avons pas cette prétention ! Pas du tout ! Parce que sur ces femmes, il y a certaines qui, effectivement, ont quitté la zone sombre où elles étaient parce qu’elles ont pu mener des activités génératrices de revenus. Mais cet argent est dans la majorité des cas réinvestis dans la famille.

Malheureusement, il faut reconnaître, qu’il y a certaines femmes aussi que le crédit a contribué à appauvrir davantage. Je m’explique : après avoir pris le crédit, elles ont réellement investi dans une activité qui n’a peut-être pas marché, elles ont rencontré des difficultés réelles. Et maintenant, il faut bien rembourser surtout que c’est un crédit de groupe. Le peu qu’elles avaient pu stocker, a été revendu pour payer le crédit. Celles-ci par exemple, le crédit les a appauvries davantage. Mais je le dis, de manière générale, nos crédits ont contribué à améliorer leurs conditions de vie.

D’une manière générale, quelles appréciations faites-vous de la condition de la femme burkinabè aujourd’hui ?

OB : C’est une question difficile à répondre pour une femme, parce que quelle que soit la réponse que je vais donner on dira que c’est encore une femme qui parle. Mais vous conviendrez avec moi que les conditions des femmes burkinabè sont disparates.

Vous avez des femmes qui ont un certain niveau d’instruction, qui ont accès à l’emploi. On peut dire qu’elle ont des conditions acceptables. Et il y a de nombreux textes pris par l’Etat qui prônent l’égalité des sexes par rapport à l’accès à l’emploi... Mais pour la majorité des femmes rurales, les conditions sont très difficiles. Parce que si vous allez en milieu rural, elles constituent une main d’œuvre dans le champ familial. Elles produisent, mais n’ont accès ni à la terre, ni même à la production.

Dans plusieurs de nos régions, une fois la récolte faite et rentrée dans le grenier, le rôle de l’homme s’arrête là. C’est la femme qui doit se débrouiller pour nourrir la famille. Et vous savez, très bien que quel que soit le repas que vous allez préparer, les céréales seules ne suffisent pas. Il faut les condiments, et autres, même le sel qu’on ne produit pas sur place, il faut l’acheter et c’est pas les hommes qui le font...

C’est vrai que les textes existent mais si vous regardez la pratique au niveau rural, vous conviendrez avec moi que très peu de femmes ont accès à la parole. Alors si elles n’ont pas accès à la parole, elles n’ont pas accès aux sphères de décisions. De plus, elles n’ont pas de pouvoir économique. Il y a aussi la répartition domestique des tâches qui fait que les femmes souffrent. En effet, pendant que Monsieur se prélasse sous l’arbre, Madame va chercher l’eau ou du bois à des kilomètres, elle vient écraser le mil à la main, fait la cuisine, s’occupe des enfants... Mais je pense que les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain.

C’est une lutte de longue haleine. Il faudrait que tout le monde en soit conscient. Je dirais même nous les femmes en premier lieu. C’est nous qui éduquons les enfants à la maison. Il faudrait que dès le bas âge, nous fassions une répartition équitable des tâches entre le jeune garçon et la jeune fille. Et vous verrez qu’au bout de quelques générations, nos efforts vont payer. Il y a des efforts qui sont certes faits mais on ne les sent pas tellement parce que c’est un processus, une lutte de longue haleine.

D’une manière générale, pour vous qu’est-ce que l’émancipation de la femme ?

OB : Je n’aime pas trop ce terme, émancipation de la femme. En fait, ce n’est pas une question d’émancipation. Pour moi, l’homme et la femme sont complémentaires. Une femme ne peut pas vivre, évoluer dans un milieu purement féminin. Elle a besoin de vivre en symbiose avec l’autre moitié de ce ciel que nous partageons.
Pour moi, quand vous parlez d’émancipation de la femme, c’est la considération qu’il faut d’abord avoir à l’égard de la femme, reconnaître qu’elle est un être humain au même titre que l’homme.

Que les droits qu’on lui reconnaît sur les papiers soient effectivement appliqués.
Il y a par exemple la Réforme agraire et foncière (RAF) mais combien de femmes ont accès à la terre ? On prône l’égalité à tous les niveaux, mais il y a combien de femmes ministres, combien de femmes députés, combien de femmes maires... il y a combien de femmes même élèves du primaire au supérieur ? C’est cela le fond du problème. Et la répartition des tâches ? Il faudrait qu’on apprenne à s’épauler. Je ne dirais pas émancipation de femme, mais plutôt évolution de la société. Hommes et femmes, nous devons évoluer positivement ensemble.

Quelles appréciations faites-vous de la question de la participation politique des femmes ? Des quotas ?

OB : Mon appréciation est mitigée. Il y a deux aspects. Il faudrait effectivement que les politiques acceptent les quotas. Que les femmes participent effectivement à l’animation de la vie politique. Mais de l’autre côté, il faudrait que nous les femmes, nous acceptions aussi de nous assumer. Je le dis en connaissance de cause parce que c’est très rare que les femmes acceptent descendre dans la jungle ou l’arène politique, c’est selon.

C’est pour dire qu’il y a tellement de coups bas, de crocs-en-jambe en politique, et qu’il y a tellement de pesanteurs socioculturelles qui font que les femmes ont peur de descendre dans la scène politique. Et c’est pour cela que je dis que c’est mitigé. D’un côté, c’est vrai qu’il faut les quotas, il faut permettre aux femmes de participer. Mais d’un autre côté, j’ai bien peur qu’on parle de quota et qu’on n’ait pas suffisamment de femmes pour postuler. C’est pour ça, je dis qu’il faut qu’on s’assume.

En ce 8-Mars, avez-vous un message à lancer.

OB : Vu le thème de cette journée, je prônerais surtout la solidarité pour celles qui ont réussi, qui arrivent à s’en sortir ; qu’elles tendent la main à leurs sœurs des campagnes.

Et qu’on se dise qu’on a beaucoup à apprendre de ces femmes. Ne pensons pas que nous leur apportons chaque fois quelque chose. Elles ont beaucoup à nous apprendre. Il nous faut plus de solidarité. Si peut-être les femmes salariées acceptent donner par exemple 1% de leurs revenus pour soutenir les activités des femmes rurales, c’est un exemple qui peut faire tache d’huile. Je voudrais qu’on se départisse du l’idée de fête du 8-Mars. Il faut que ce jour soit plutôt un tremplin pour la solidarité entre nous femmes avant que les autres ne viennent nous aider.

Interview réalisée par Ben Alex BEOGO

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