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Dr Pierre B. Bidima : “Nous possédons des éléments accablants sur l’assassinat d’Oumarou Clément Ouédraogo”

Publié le mercredi 22 février 2006 à 08h03min

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Dès sa création en avril 2003, le Mouvement de la paix (MP/B) se faisait entendre à travers des déclarations dans la presse sur les événements politiques intervenus dans notre pays. Puis ce fut le silence. Que devient alors cette organisation qui avait promis de faire des révélations fracassantes sur l’assassinat d’Oumarou Clément Ouédraogo ? pourrait-on se demander.

Son président, le Dr Pierre Bangba Bidima, donne ici une réponse et se prononce aussi sur l’actualité nationale et internationale.

Le Mouvement de la paix ne se fait plus entendre. Que devient-il ?

• C’est vrai, les activités du Mouvement de la paix ont un peu ralenti, pour diverses raisons :

- Deux membres du bureau national, qui en compte 9, ont subi des opérations chirurgicales légères pour cause de fracture par suite d’accident de la circulation. Dieu merci, leur vie n’est pas en danger et ils sont tous sortis de l’hôpital. Permettez-moi, à travers vos colonnes de leur renouveler, au nom de tous nos militants, nos vœux de prompt rétablissement ;

- en outre, deux autres membres du Bureau ont été affectés en province, et cette situation nous empêche de nous réunir assez régulièrement pour décider des actions concrètes à mener. Malgré cela, le Mouvement se porte bien, nous poursuivons la mise en place de nos structures dans les provinces.

Des missions de pacification et de conciliation des conflits sociaux plus ou moins mineurs, entre travailleurs et employeurs, entre éleveurs et agriculteurs, sont régulièrement conduites dans les villes ou dans les campagnes, souvent sans tapage pour plus d’efficacité ; actuellement, nous sommes à la recherche d’un financement pour réaliser un vaste programme en matière de culture de la Paix, du Civisme et de Contre-terrorisme. Lorsque nous aurons gain de cause, vous verrez ce dont nous sommes capables.

Lors d’une de vos conférences de presse, vous aviez promis de faire des révélations fracassantes sur l’assassinat d’Oumarou Clément Ouédraogo. Près d’un an après, on attend toujours. Que se passe-t-il ?

• Le Pr Oumarou Clément Ouédraogo a été lâchement assassiné le 9 décembre 1991, quand ses meurtriers, en réalité des terroristes, ont jeté une grenade dans sa voiture. Il était en compagnie d’une de ses amies qui a heureusement échappé à la mort.

Sauf erreur ou omission de notre part, ce fut le premier acte terroriste qu’a connu le Burkina Faso depuis son accession à l’indépendance en 1960. C’est la IVe République qui a eu « l’honneur » d’inaugurer cette nouvelle ère de liquidation physique des civils non armés.

Ces mêmes actions terroristes seront rééditées, contre le journaliste indépendant Norbert Zongo et trois de ses compagnons, qui furent abattus et brûlés dans leur voiture le 13 décembre 1998. A ce jour, les assassins-terroristes du Pr Ouédraogo et du journaliste Zongo courent toujours.

Mais en ce qui concerne ce que vous appelez l’affaire Oumarou Clément Ouédraogo, nous vous confirmons que les investigations commanditées par le Mouvement sont terminées et les résultats sont accablants. Nous possédons des éléments solides qui permettront de rouvrir ce dossier. Nous ferons publiquement des révélations, car nous pensons que l’impunité et l’injustice sont des menaces sérieuses à la paix sociale.

Avez-vous entrepris une quelconque action judiciaire, puisque vous semblez si sûr des éléments que vous détenez, en vue de la réouverture de ce dossier ?

• Pour le moment, non ! Mais en temps opportun, nous saisirons qui de droit, en tant qu’association ayant un intérêt à la réouverture du dossier. Nous pouvons aussi, de concert avec la famille, relancer la procédure ; mais il y a un temps pour tout.

Notre pays vient de sortir d’une élection présidentielle qui a consacré la victoire du Président sortant avec un score de 80,35%. Quel commentaire en faites-vous ?

• Il faut d’abord noter que cette élection s’est déroulée dans le calme et dans la paix et il convient de féliciter tous les acteurs pour leur maturité.

Maintenant, en ce qui concerne la position de principe de notre association sur cette question, elle est bien connue du public. En effet, dans une de nos déclarations datant de juillet 2005, que l’Observateur paalga a bien voulu diffuser dans ses colonnes, le Mouvement de la paix avait expliqué pourquoi la candidature du président Compaoré à cette élection était inconstitutionnelle et illégale ; nous avions émis le souhait de voir le conseil constitutionnel invalider purement et simplement cette candidature.

En outre, nous avons saisi par correspondance confidentielle en date du 22 août 2005, le président de la Commission de l’Union africaine (UA) afin qu’il entreprenne une médiation préventive entre le pouvoir et l’opposition à propos de la querelle sur l’article 37 de notre Constitution. Malheureusement, nous n’avons été entendus ni par le conseil constitutionnel ni par le président Konaré.

La suite, nous la connaissons tous : l’élection présidentielle a eu lieu, le président Compaoré a été réélu avec un score à la soviétique et le conseil constitutionnel a persisté dans son erreur en validant cette réélection.

Le Mouvement de la paix, bien que n’étant pas convaincu de la justesse de la position du conseil, prend néanmoins acte de cette décision puisque les délibérations de cette institution sont sans recours et inattaquables. Toutefois, nous oeuvrerons selon nos convictions au retour de la légalité constitutionnelle en usant des moyens pacifiques et légaux que nous offre la Constitution.

L’opposition burkinabè n’est-elle pas en partie responsable de cela ?

• En partie oui ! Dans une compétition électorale de ce niveau, c’est normal que les partis d’opposition qui ont choisi d’y participer alignent leurs candidats respectifs ; n’oubliez pas que c’est une élection à deux tours et non à un seul tour majoritaire. Dans une telle situation, l’opposition, qui ne part pas favori, a intérêt à « saucissonner », émietter les voix de l’adversaire favori (candidat du pouvoir) pour l’empêcher d’obtenir 51% (taux d’éligibilité) au premier tour et ensuite se regrouper autour du 2e (issu de l’opposition) pour le deuxième tour.

Nous pensons que c’est cette stratégie que l’opposition a adoptée mais malheureusement pour elle, ça n’a pas fonctionné. Si le candidat de l’UNDD, à savoir Me Hermann Yaméogo, avait participé à l’élection, peut-être que les choses se seraient présentées autrement. Mais ce ne fut pas le cas et le président de l’UNDD s’en est largement expliqué ici et là, notamment dans vos colonnes. Mais des causes exogènes à l’opposition ont aussi beaucoup pesé dans la défaite de celle-ci.

Des facteurs teIs que la corruption par le régime de certains partis politiques de l’opposition, la disproportionnalité des moyens financiers, l’intrusion des entreprises privées dans la campagne aux côtés du candidat du pouvoir, les prises de position partisanes de l’Archevêque de Ouagadougou et de bien d’autres leaders des autres confessions religieuses, le revirement spectaculaire de l’ADF/RDA, tous ces facteurs ont fragilisé l’opposition dans toutes ses composantes ; elle a intérêt à se retrouver pour commencer à enrayer au moins les causes endogènes de son échec afin d’affronter plus sereinement les échéances de 2007 et 2010.

Parlons maintenant de la situation en Côte d’Ivoire, à laquelle vous vous intéressez aussi. Pensez-vous que le nouveau Premier ministre, Charles Konan Banny, réussira sa mission, c’est-à-dire ramener la paix et organiser d’ici octobre, une présidentielle transparente et ouverte à tous ?

• Oui, le Premier ministre Charles Konan Banny peut réussir, mais à 2 conditions :
- Que les autorités ivoiriennes et les rebelles respectent la Feuille de route, chacun dans ses obligations, fonctions et prérogatives contenues dans la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l’ONU ;

- Que la communauté internationale arrête de semer la confusion, car le rôle de l’ONU en Côte d’Ivoire est d’aider les Ivoiriens à sortir de la crise et non de créer d’autres crises ou de les y enfoncer.

Pourquoi dites-vous cela ?

• Parce que le Groupe de travail international (GTI) ne cesse d’outrepasser ses prérogatives et de se comporter comme un organe législatif de l’ONU en République de Côte d’Ivoire. Selon nous, le GTI n’a pas compétence pour changer ou modifier les lois ou les institutions en Côte d’Ivoire, le pays n’étant pas sous tutelle de l’ONU comme au Kossovo ou en Namibie dans un passé récent. Le GTI a du reste violé la résolution 1633 de l’ONU lorsqu’il a décidé du sort de l’Assemblée nationale ivoirienne.

En effet, la décision en question, en son point Il, stipule que le Conseil de sécurité « invite le GTI, notant que le mandat de l’Assemblée nationale prend fin le 16-12-2005, à consulter toutes les parties ivoiriennes si nécessaire, en liaison avec le forum de dialogue national mentionné au paragraphe 11 de la décision du conseil de Paix et de sécurité, en vue de faire en sorte que les institutions ivoiriennes fonctionnent normalement jusqu’à la tenue des élections en Côte d’ivoire... ». Est-ce que c’est ça que le GTI a fait ? Est-ce que la résolution 1633 a interdit la prolongation du mandat des députés ?

La réponse est non. Le Conseil dit « de faire en sorte que les institutions ivoiriennes fonctionnent normalement jusqu’aux élections ». En parlant d’institutions, le Conseil n’a pas fait exception de l’Assemblée nationale. Le bon sens aurait voulu que le GTI propose cette prolongation aux autorités ivoiriennes pour que cette institution puisse « fonctionner normalement jusqu’aux élections » ; c’est la décision 1633 qui l’autorise.

Or le GTI a fait tout le contraire et a semé la confusion. La suite est bien connue : réaction patriotique de la jeunesse, destruction des biens de l’ONU, 5 manifestants tués par les forces de l’ONU. La Côte d’Ivoire pourra-t-elle rembourser les dégâts matériels ? L’ONU aura-t-elle assez d’argent pour indemniser les ayants-droit des 5 manifestants tués ?

Il nous semble utile de faire remarquer à vos lectrices et lecteurs que la résolution 1633, en son point 4, a créé, aux côtés du GTI, un autre Groupe dénommé le « Groupe de médiation » (le GM). La presse occidentale parle rarement de ce GM, qui est coprésidé par le représentant spécial des Nations unies, M. Pierre Schori, et le Président Thabo M’Beki ; le GTI et le GM, doivent travailler en symbiose, se conseiller et prendre des positions consensuelles.

Est-ce que le GTI a consulté le GM avant de rendre publique sa position sur l’Assemblée nationale ? Rien n’est moins sûr puisque le GM, à la tête duquel se trouve le médiateur Thabo M’Beki, vient de prendre le contre-pied de la position du GTI en avalisant la décision du président Gbagbo de prolonger le mandat des députés jusqu’aux élections.

Il faudrait que les uns et les autres relisent posément la fameuse résolution 1633, disponible sur le site Internet de l’ONU. Du reste, si le président Gbagbo n’avait pas prolongé le mandat des députés après avis favorable du Conseil constitutionnel, que serait-il advenu des sièges des maires et des conseillers généraux dont les mandats viennent à expiration en ce mois de février ?

Le Premier ministre Banny et le président Gbagbo allaient-ils réussir à remplacer tout ce beau monde avant les échéances électorales fixées pour la fin octobre 2006 ? Peut-on gouverner efficacement une République sans maires, ni conseillers municipaux, ni Assemblée nationale, pendant 8 à 9 mois ? Et les lois à ratifier, la loi de finances, les lois sur les recettes de l’Etat, la levée des impôts, le contrôle de l’utilisation, par l’exécutif, du denier public..., qui les votera ?

Le GTI, le GM, le président Gbagbo ou le Premier ministre Banny ? Ni les uns, ni l’autre, car ces prérogatives sont celles d’une Assemblée nationale. Si l’on suit la logique du GTI, la Côte d’Ivoire va plonger tout droit dans l’anarchie et aucune élection ne sera possible dans le délai prescrit par la résolution 1633.

L’actualité internationale, c’est la victoire du Hamas en Palestine, qui suscite craintes et inquiétudes du côté de l’Occident et d’Israël. Cette montée des islamistes au pouvoir n’est-elle pas une menace pour le processus de paix au Proche- Orient ?

• Pas forcément. La victoire du Hamas peut donner un coup d’accélération à la Feuille de route du quartet. Nous aurions souhaité que le Fatah remporte les élections, mais le peuple palestinien en a décidé autrement et il faut respecter son choix, car on ne peut pas être plus populaire que le peuple ; on dit que le Hamas est une organisation terroriste. Vrai ou faux ? là n’est plus la question.

Dès lors que le Hamas a accepté le jeu politique en participant aux élections, il faut s’en réjouir, renouer le dialogue avec lui et l’aider à faire d’autres pas démocratiques en renonçant définitivement à la violence. Si on n’aide pas le Hamas, si on l’isole, la violence aura encore de beaux jours devant elle.

L’actualité internationale, c’est aussi les manifestations parfois violentes des musulmans à travers le monde suite aux caricatures de leur Prophète. Votre commentaire ?

• Si votre confrère danois avait caricaturé Dieu, pensez-vous qu’il allait y avoir autant de protestations et de manifestations ? Dieu est pour tout le monde ; les prophètes et les saints... sont des « propriétés » de telle ou telle partie du monde ; or les gens n’aiment pas qu’on manque de respect à leur idole ou à leur saint.

Les frustrations et la colère des fidèles musulmans sont compréhensibles et même légitimes, mais nous regrettons et condamnons les actions visant à détruire les ambassades, les biens des occidentaux ou les attaques des églises. Nous souhaitons que la presse du Burkina Faso ne reproduise pas ces caricatures, au nom de la cohésion sociale et de la paix ; même si nous pensons que la liberté d’expression n’est pas négociable, nous admettons également qu’il faut éviter d’humilier l’autre lorsqu’on se sert de cette liberté.

Après quelques années d’existence, qu’est-ce que vous n’avez pas pu faire et qui vous tient à cœur ?

• Nous n’avons pas réussi la mise en place de sections dans toutes les provinces. Nous pensons parachever cette tâche au cours de la présente année.

De même, nous n’avons pas pu empêcher la candidature et la réélection du président Compaoré pour un 3e mandat successif malgré nos démarches et nos démonstrations. C’est dommage parce que nous demeurons convaincus que les longs mandats présidentiels au profit d’une même personne, dans une démocratie républicaine, sont une menace sérieuse pour la paix ; cela conduit toujours au chaos, à la guerre civile et aux violations massives des droits humains après le départ volontaire ou involontaire de "l’indispensable".

Entretien réalisé par Adama Ouédraogo Damiss

L’Observateur

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