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Système des Nations Unies : La bataille des langues

Publié le lundi 9 février 2004 à 06h11min

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Le problème se pose comme un serpent de mer, malgré le nombre très important des 6 langues autorisées dans le système des Nations-unies comme « langues officielles » et « langues de travail », le principe de la parité de celles-ci fait défaut. Cela ne manque pas de créer un malaise dans l’organisation mondiale, certains Etats ne l’entendant pas de cette oreille, au point que le Secrétaire général Kofi ANNAN a mis sur pied un corps commun d’Inspection pour une étude sur « le multilinguisme dans le système des Nations-unies.

Le corps commun d’inspection chargé de l’étude sur « le multilinguisme dans le système des Nations-unies » est piloté conjointement par le Russe Edouard KUDRYAVTSEV et notre compatriote Louis-Dominique OUEDRAOGO, tous experts de l’ONU. Cette étude vise à « aider les organes délibérants et les secrétariats dans leurs efforts pour préserver et renforcer le multilinguisme des services exigé par l’universalité des organisations appartenant au système des Nations-unies ».

De façon générale, il ressort que quelle que soit la terminologie applicable à leur statut, diverses langues sont employées dans les organismes du système des Nations-unies pour fournir des services d’interprétations et de traductions à différents types de réunions, ainsi que pour la communication et la diffusion d’informations. La plupart des organes directeurs de l’ONU considèrent le multilinguisme comme un corollaire de leur universalité et, à maintes reprises, ont insisté sur la nécessité de respecter à la lettre les règles établissant la parité des langues d’autant que la langue anglaise reste la plus dominante.

Les experts ont pu constater que, pour de nombreuses réunions auxquelles prennent part des représentants d’Etats membres de l’ONU, il n’y a toujours pas d’interprétation ou de documentation dans toutes les langues prescrites. Ce qui peut contribuer à marginaliser certains groupes linguistiques, en particulier de pays en développement, en ne leur permettant pas de participer sur un pied d’égalité aux travaux de ces réunions. Mais à présent c’est les francophones qui semblent faire la bataille aux anglophones pour un usage plus renforcé du français dans le système des Nations-unies.

Les défis d’une force de travail

Selon le corps commun d’inspection, dans une circulaire datée du 8 juillet 1983, le Secrétaire général de l’ONU, après avoir rappelé les règles en vigueur sur les langues de travail du Secrétariat, a tenu à souligner que « chaque fonctionnaire doit être libre d’utiliser l’Anglais ou le Français, à son gré, dans ses communications écrites » et que « personne ne doit faire obstacle à cette politique » qui s’étend aux autres langues de travail prescrites pour trois des Commissions régionales, à savoir le Russe pour la Commission économique pour l’Europe (CEE), l’Espagnol pour la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) et l’Arabe pour la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO).

Dans une autre circulaire publiée deux ans plus tard, le Secrétaire général constate que la politique de l’ONU telle qu’exposée dans la précédente circulaire n’était pas pleinement appliquée et il encourage « tous les fonctionnaires du Secrétariat dont la langue principale est le français ou qui préfèrent travailler dans cette langue, à utiliser le français dans toutes les communications officielles ».

Les deux circulaires susmentionnées continuent d’être officiellement en vigueur à l’ONU, mais force est de reconnaître que leur mise en œuvre demeure toujours aussi insuffisante pour des raisons structurelles. D’une part le droit d’utiliser l’une ou l’autre des langues de travail s’applique en principe à tous les agents y compris ceux qui ont des fonctions de supervision, mais ce droit n’est pas assorti d’une obligation d’avoir une connaissance, même de base, de l’autre langue ou de suivre en priorité des cours de formation dans ladite langue.

Dans ces conditions, il ne serait donc pas surprenant que le rapport de force au sein des unités administratives et le souci légitime de faire carrière aient souvent eu raison des velléités de ceux qui auraient été tentés de faire usage de leur droit d’utiliser « dans toutes leurs communications » une langue que leurs autres collègues et notamment leur chef hiérarchique ne maîtrisent pas.

Loin d’être isolé, le cas de l’ONU est le reflet d’une situation qui touche plusieurs organisations du système des Nations-unies. Cette situation dénote les difficultés propres liées à l’obligation d’utiliser une force de travail multilingue dans un contexte où la tendance vers la prédominance de l’anglais comme langue de communication interne est renforcée entre autres par la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

Ce faisant, les deux circulaires visées ci-dessus pourraient continuer à ne pas être pleinement appliquées à moins que d’autres mesures d’accompagnement ne soient envisagées. Les administrations tant au siège que dans les principaux bureaux hors siège de l’ONU ont leur part de responsabilité s’agissant des obstacles qui freinent la mise en œuvre de ces circulaires dans la mesure où tous leurs fonctionnaires n’ont pas un accès égal aux outils de recherche et aux bases de données leur permettant d’utiliser la langue de travail de leur choix.

Lors d’un sondage, certains agents ont émis l’opinion selon laquelle la composition linguistique du personnel d’encadrement en charge de la gestion des ressources humaines contribue en partie à maintenir le déséquilibre linguistique dans le recrutement du personnel, la préférence étant donnée aux candidats anglophones. En l’absence de données objectives permettant de juger du bien-fondé d’une telle analyse, on peut seulement rappeler qu’une résolution de l’Assemblée générale des Nations-unies datée du 19 décembre 1967 avait invité le Secrétaire général à prendre les mesures nécessaires pour assurer « l’équilibre linguistique au sein du personnel du secrétariat et en particulier la présence de personnel utilisant les différentes langues de travail de l’ONU dans les services chargés du recrutement du personnel, à tous les niveaux. »

En réalité, les fonctionnaires occupant des postes de supervision ont un réel défi à relever. On voit mal en effet comment une gestion rationnelle du personnel peut à la fois donner à des agents subalternes le droit d’utiliser à leur choix l’une ou l’autre langue de travail du secrétariat tout en s’accommodant du fait que leur superviseur a le même droit et n’est donc pas astreint à la maîtrise des deux langues.

Quelles alternatives ?

Selon l’Union postale universelle (UPU) les administrateurs ou personnes responsables des activités sectorielles et de la mise en œuvre des projets d’assistance technique doivent bien maîtriser au moins deux langues dont obligatoirement la langue utilisée dans la région. Pour sa part, l’organisation des Nations-unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) offre aux responsables de programme une gamme de modules de formation adaptés lorsque leur maîtrise d’une langue donnée est susceptible de gêner la mise en œuvre dudit programme.

Quant à la CEPALC, bien qu’elle dise disposer des compétences nécessaires pour une mise en œuvre des programmes de coopération technique impliquant l’usage de l’anglais et de l’espagnol, il y a lieu de noter qu’un des Etats membres fait partie du groupe des pays les moins avancés et de la francophonie et rien n’indique que les programmes le concernant ne sont pas affectés pour des raisons de compétences linguistiques non disponibles au sein de la Commission.

Le Fonds des Nations-unies pour la population (FNUAP) a admis que la maîtrise de plusieurs langues au sein de toutes unités ou division est souhaitable et est susceptible d’accroître ses activités d’exécution mais indique que tous les services concernés de l’Organisation disposent des compétences linguistiques nécessaires. De son côté, la CESAO estime aussi que l’exécution de ses programmes n’est nullement affectée par des questions de compétences, tous les conseillers régionaux et les chefs de projets étant bilingues et maîtrisant l’Arabe et l’Anglais.

Pour sa part, l’Organisation des Nations-unies pour le développement industriel (ONUDI) a reconnu que les projets de coopération technique en général et plus particulièrement ceux à soumettre à des fonds multilatéraux comme le protocole de Montréal, le Fonds des Nations-unies pour le développement industriel ou le Fonds pour l’environnement mondial devaient être effectivement soumis en anglais, la raison avancée étant que cela contribue à réduire les coûts et à accélérer le processus de traitement des requêtes. Le Secrétariat admet cependant que la situation est susceptible de présenter quelques difficultés pour les pays d’Afrique francophone et d’Amérique latine.

La question du multilinguisme est régulièrement inscrite à l’ordre du jour de nombreux organes directeurs des organisations du système, notamment à celui de l’Assemblée générale des Nations-unies qui l’examine tous les deux ans depuis 1995. C’est à l’occasion du cinquantième anniversaire de la signature de la charte que l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté, le 2 novembre 1995, une résolution sur le multilinguisme, dans laquelle elle a rappelé que « l’université des Nations-unies et son corollaire le multilinguisme implique pour chaque Etat membre de l’Organisation, quelle que soit la langue officielle dans laquelle il s’exprime, le droit et le devoir de se faire comprendre et de comprendre les autres ».

L’Assemblée générale a également souligné « l’importance d’assurer à tous les gouvernements et à tous les secteurs de la société civile l’accès à la documentation, aux archives et aux banques de données de l’Organisation dans toutes les langues officielles ». Elle a prié le Secrétaire général « de veiller à la stricte application des résolutions qui ont fixé le régime linguistique tant en ce qui concerne les langues de travail du Secrétariat » et a invité « les Etats membres à y veiller également ».

Source : rapport du corps commun d’inspection sur le multilinguisme dans le système des Nations-unies.

Par Drissa TRAORE
L’Opinion

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