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Assassinat de Jean Hélène : les dangers d’une instrumentalisation

Publié le dimanche 2 novembre 2003 à 12h46min

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Jean Hélène, de son vrai nom Christian Baldensperger, est mort sur le champ d’honneur le 20 Octobre 2003, abattu devant la Direction générale de la police ivoirienne par un policier.

Ce crime, dont on ne finit pas, à juste titre, de condamner le caractère scandaleux et révoltant, ne frappe pas seulement la famille lato sensu du grand reporter ; il frappe aussi l’opinion ivoirienne toutes tendances confondues et bien au-delà, l’opinion africaine et mondiale. Et pour cause : Jean Hélène, piqué par ce fameux virus de l’Afrique, en était devenu quasiment un fils qui tout naturellement s’en faisait le défenseur.

Mais si l’écho de cette mort se répand donc bien au-delà des frontières ivoiriennes, ce n’est pas seulement en raison de la personnalité de l’illustre disparu, c’est parce que le contexte de crise ivoiro/sous-régionale dans lequel il intervient, comporte hélas des risques de récupération politiciens dans cette bataille de l’opinion à laquelle se livrent les protagonistes déclarés ou non de cette crise.

En principe, lorsqu’on a affaire à un crime dont la signature est si visible, la procédure ne peut qu’avancer rapidement en dehors de toute polémique inutile, les faits étant de nature à éclairer par eux-mêmes la religion des enquêteurs et des juges. Dans le cas du meurtre de Jean Hélène, rien en l’état actuel de l’examen des faits ne laisse supposer que celui qui a porté le coup fatal ne l’ait pas fait dans la pleine possession de ses capacités intellectuelles. Ses supérieurs, voyant sa nervosité face à la présence du journaliste qui attendait en dehors de l’enceinte de la Direction générale de la Police, la sortie des militants du RDR pour les interviewer, lui ont publiquement intimé l’ordre de rester calme et de laisser le journaliste faire son travail.

Le policier, après avoir obtempéré, s’est dirigé plus tard vers Jean Hélène pour commettre son forfait, sous l’impulsion d’une force irrépressible que lui seul est en mesure d’expliquer. En effet, si le crime ne s’était pas présenté de cette façon, s’il avait eu lieu dans un cloaque ou sur des chemins de traverse, et si par-dessus tout l’agresseur avait pris la clef des champs, là on aurait pu à la limite comprendre que les escadrons de la mort soient appelés à la rescousse pour jeter à la sanction de l’opinion le coupable : Laurent Gbagbo.

Mais ça ne s’est pas passé comme cela. Voilà pourquoi il n’y avait rien de choquant à voir le Président ivoirien, toute affaire cessante, se rendre sur les lieux ; un Gbagbo qui, choqué par les événements et comme devinant déjà les risques d’instrumentalisation, y a laissé échapper : " On n’avait pas besoin de ça ". C’est à peu près ce que le Directeur de la Police, le Général Babi Adolphe, en prenant connaissance de l’acte commis par son subordonné, s’est exclamé : " Il nous a créé un problème ". Il ne pensait pas si bien dire puisque personnellement il vient d’écoper d’un limogeage.

Ce serait donc un peu tiré par les cheveux, voire déplacé, quelle que soit la dose de machiavélisme dont on suppose le Président ivoirien pourvue, de lui imputer directement ce drame qui a provoqué la réprobation de toute la classe politique ivoirienne, le FPI en tête, et sans que cela d’ailleurs ne fasse tache au tableau.

Mais manifestement, l’opportunité semblait trop bonne pour ne pas être exploitée. Eh bien, si Laurent Gbagbo n’est pas l’auteur direct de cet assassinat, il peut en être le commanditaire intellectuel. Autrement dit il n’est pas le coupable mais le responsable, la logique de la Fable(qui coûta cher à l’agneau) en quelque sorte. Si Jean Hélène est mort, c’est dit-on, parce que par leurs " prêches ", leurs exhortations, Laurent Gbagbo et ses sbires ont inoculé le poison de la haine, de la xénophobie, du racisme…dans les esprits en Côte d’Ivoire. On comprend alors que le Sergent Dago Séry Théodore, à l’exemple du drogué sous influence, en arrive à commettre une telle abomination.

Il faut oser dire qu’il n’est ni équitable, ni objectif de donner une telle lecture de la mort de Jean Hélène. Que les adeptes de l’ivoirité aient contribué à lézarder la maison commune ivoirienne, c’est un fait ; que les médias ivoiriens publics et proches du pouvoir aient fait un usage souvent abusif de la liberté au point de contribuer grandement à faire le lit de cette dernière, c’est indiscutable ; que les patriotes aient dans leurs méthodes d’agitation, utilisé des slogans tels que " à chaque Ivoirien son Blanc", qui pourrait le nier ?

Cependant, il serait plus juste de signaler, ne serait-ce que par acquis de conscience, que de tels griefs ne sont pas uniquement à retenir à l’encontre d’un seul camp. Même dans une proportion moindre, les partis d’opposition et les Forces Nouvelles n’ont pas toujours usé de modération à travers leurs organes de presse ; la violence physique et verbale avait aussi cours dans les zones contrôlées par les Forces Nouvelles. Quant aux propos incitatifs à la violence, on a en mémoire que les Forces Nouvelles à plusieurs occasions, s’en sont aussi pris à la France et demandé le rappel de son Ambassadeur en Côte d’Ivoire. Chez eux aussi, les esprits étaient chauffés à blanc. Les deux militaires français froidement abattus par des éléments des Forces Nouvelles n’en sont-ils pas la preuve ?

Mais ce qui est surtout injustement occulté et qui n’aurait pas dû l’être, c’est cette espèce d’aigreur qui s’est renforcée dans le coeur de beaucoup d’Ivoiriens parce qu’on a mis " l’embargo " sur certaines causes du 19 Septembre et censuré par le fait même les raisons profondes de la crise qui frappe la Côte d’Ivoire et la sous-région. Disons-le, si pour de nombreux Ivoiriens et Africains, les excès de langage ont pu armer le bras du Sergent Dago Séry Théodore, on peut dire que de nombreux autres Ivoiriens auraient pu également avoir de telles réactions en raison du ressentiment qu’ils éprouvaient face au " black out " médiatique sur ceux qui ont aidé par divers moyens les rebelles à attaquer le régime constitutionnel en Côte d’Ivoire le 19 septembre 2002 et a imposés une partition de fait au pays.

A leur manière, les autorités sénégalaises, qui ont décidé de tenir tête à RFI et à la France en maintenant l’expulsion de Sophie Malibeaux pour couverture tendancieuse du congrès des indépendantistes Casamançais, ne font qu’illustrer opportunément cette irritation que peuvent ressentir ceux qui souffrent de la partialité dont peuvent parfois faire montre les médias internationaux dans la couverture de certains événements et conflits en Afrique.

On ne peut donc tenir d’emblée pour irrecevables les propos de ceux qui, se prêtant à la surenchère des accusations sur la disparition de Jean Hélène, rétorquent que s’il ne s’était pas trouvé des pays et des hommes pour héberger, donner des moyens, des appuis diplomatiques, des armes.. aux rebelles, le 19 Septembre n’aurait pas eu lieu, encore moins la fracture territoriale du pays, et Jean Hélène ne serait pas allé à Abidjan prendre rendez-vous avec cette mort absurde.

On pourrait même plus surenchérir dans cette accusation des autorités ivoiriennes -condamnées avant le procès- à laquelle se livrent certaines personnalités notamment les deux amis, le président Bongo (le "gueulard " de service appelé à la rescousse) et Jacques Chirac, en imputant en retour la mort du journaliste à ceux qui l’exploitent avec tant de frénésie et à qui apparemment le crime semble profiter. On serait alors, pour poursuivre dans l’évocation des vieux principes, en plein dans la situation du voleur qui crie au voleur.

L’observateur indépendant de ce déchaînement, ne peut qu’être désolé ou attristé face à ce blasphème, à cette profanation de la mémoire de Jean Hélène, et se poser avec inquiétude cette question : où veut-on en venir avec tout cela ? Simplement se nourrir d’effets médiatiques ou donner bonne conscience aux partisans d’une expédition punitive contre les autorités d’Abidjan ? Il faut conjurer ce mauvais oracle, et c’est précisément le moment pour de tels observateur de monter au créneau afin d’aider à restituer à la famille de feu Jean Hélène et à l’opinion désintéressée, la dépouille du supplicié pour en faire le deuil dans la dignité.

Ce n’est pas en " vampirisant " Jean Hélène qu’on va " rentabiliser " sa mort. Sa mort, pour servir au moins à quelque chose, doit interpeller tout le monde sur le fait que la revanche à prendre sur cet acte odieux doit être recherchée dans un véritable sursaut pour accepter d’identifier les vrais maux de cette crise qui frappe la Côte d’Ivoire et la sous-région et pour s’atteler à la mise en œuvre des thérapies qui permettront de les guérir durablement.

V.T
San Finna

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