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Le cléricalisme musulman dans l’Ouest du Burkina Faso du XVIIIe à la fin du XIXe siècle : les voies de légitimation

Publié le jeudi 26 janvier 2006 à 07h03min

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L’image qu’offre aujourd’hui l’islam est telle que l’on conçoit difficilement l’existence en son sein d’un clergé. Pourtant, si l’on scrute un peu dans le passé, on s’aperçoit qu’il a existé, en Afrique de l’Ouest, des petites communautés musulmanes assez bien structurées. Ces communautés ont évolué sous la direction d’une élite que nous nous permettons d’appeler clergé.

Comment devenait-on clerc ? Quelles étaient les voies de légitimation ? Cet article n’a pas la prétention d’apporter toutes les réponses à ces questions. Il se propose tout simplement de donner un aperçu sur les grandes lignes du cléricalisme dans l’Ouest du Burkina Faso pendant les XVIIIe et XIXe siècles, notamment sur les moyens de légitimation utilisés par les élites musulmanes pour la reconnaissance de leur statut socio-religieux. Avant de rendre compte de ces moyens, il est nécessaire de dire un mot sur la place de l’islam dans la société jula.

Islam et société jula

La pénétration de l’Islam dans l’Ouest du Burkina Faso est très ancienne, remontant au plus tard au XIVe siècle, période du développement et de l’expansion commerciale de Djenné. Elle est le fait des Wangara, ces marchands noirs spécialisés dans le négoce de l’or entre les mines du métal précieux des bassins de la Volta et les centres du Moyen-Niger.

De ces Wangara descendent non seulement les Marka mais aussi et surtout les Jula. Apparus à la faveur de l’expansion de Kong au début du XVIIIe siècle, ces Jula poussent des peuplements le long des principales voies de commerce dans la région et s’organisent en une communauté (jama) sous la bannière de l’islam. L’identité jula s’est tellement cristallisée autour de l’Islam que, tout commerçant est ou devient musulman et tout musulman est jula, du moins dans leurs aires d’influence. La sauvegarde de cette identité est assurée par l’élite que l’on désigne ici par l’expression de karamogo (ceux qui sont instruits ou ceux qui enseignent).

Ces Karamogo, qui appartiennent d’ailleurs aux puissants lignages marchands, jouissent d’une influence considérable dans la société jula. Médiateurs incontestés, ils interviennent dans toutes les affaires de la communauté. Ce droit de médiation leur assure, auprès des aristocraties guerrières, une immunité sociale dont la violation entraîne des conséquences néfastes. On comprend dans ces conditions que l’exercice de la fonction de karamogo soit exclusivement l’affaire d’un groupe limité.

Les moyens de légitimation du statut de karamogo Il existe cinq voies principales de légitimation du statut de karamogo : l’origine, l’attachement à une aristocratie politique, la capacité à produire des miracles, l’instruction religieuse et le pèlerinage à la Mecque..

1. L’origine. Cette voie de légitimation est fondée sur l’appartenance ou la prétention d’appartenance à un lignage dont l’islamisation remonte à de longues dates. Dans l’espace culturel mandingue, cinq familles sont réputées être de familles de karamogo : Berté, Cissé, Diané, Khoma et Touré.

Ces lignages ont acquis leur statut à Kouroukan-Fougan, au moment de la proclamation de la Constitution du Mandé par l’empereur Soundiata Keïta. Mais ce sont surtout des lignages qui descendent des anciennes aristocraties politico-religieuses, les Kaya-Maghan, de l’empire du Ghana. C’est probablement à cause de cette origine aristocratique que les empereurs du Mali, craignant de leur part des ambitions politiques, leur ont attribué le statut de mandé-mori, c’est-à-dire de lettré-musulman statutaire du Mandé.

Partout où qu’ils se trouvent au Mandé, ils sont reconnus comme tels, et ont droit de préséance, en matière d’islam, sur tout autre personne. La quête d’ancêtres musulmans illustres conduisait parfois à des revendications d’origine arabe et plus particulièrement à des rattachements généalogiques à des ancêtres musulmans de la première heure. Compte-tenu de leur nombre et des changements d’identité lignagère très fréquents, il devenait important pour les membres de ces lignages de fonder leur légitimité sur autre chose que sur la seule origine. L’attachement à une aristocratie guerrière était une de ces voies de légitimation.

2. L’attachement à une aristocratie politique. Se lier à un pouvoir était une nécessité d’autant plus qu’à l’époque où se déroulaient ces faits, les musulmans vivaient en minorités au milieu des non-musulmans. Ils avaient donc besoin de se mettre sous la protection des chefs politiques, ne serait-ce que pour la sécurité des biens qu’ils possédaient. C’est ainsi que dans le Kong-kènè, l’espace politico-commercial de Kong, certains lignages se sont vite liés aux aristocraties guerrières. Au début du XVIIIe siècle, ce sont les lignages Barro, Coulibaly, Sesouma, Touré et Traoré qui apportent leur aide, tant magique que matérielle, à Sékou Watara lors de la conquête du pouvoir. Mais l’attachement au pouvoir politique suppose que l’on est en mesure de rendre un certain nombre de services à celui-ci, notamment en matière d’occultisme.

3. La production de miracle. Elle est l’une des voies par lesquelles on passait pour légitimer son statut de karamogo. Cette pratique, très répandue, permettait aux karamogo de se faire respecter, voire craindre dans leur milieu. C’est grâce à la possession de ce savoir qu’ils jouissaient d’une immunité sociale inviolable. Mais l’acquisition de ce savoir passait par des voies parfois discutables au regard de la Sunna, c’est-à-dire, de l’orthodoxie. Aussi, importait-il de posséder une bonne érudition religieuse.

4. L’instruction quranique. Dans le Kong-kènè comme partout ailleurs dans le monde musulman, l’instruction religieuse occupe une grande place. Cette instruction religieuse reposait sur l’étude d’un certain nombre d’ouvrages clés : le Tafsir al-Jalalayn, le Muwatta de l’imam Malik et le Shifa du cadi I’ad. Le Tafsir al-Jalalayn, appelé ci Jalala, qui est de loin le plus important de ces ouvrages, est un commentaire du Quran rédigé au XVe siècle par deux savants égyptiens Jalal al-Din al-Mahallî et Jalal al-Din as-Suyutî.

L’étude de cet ouvrage, tout comme celles des deux autres, donne droit à un certificat. Ce certificat appelé lasinadi (isnad) comporte la liste des noms de tous ceux qui ont reçu et transmis l’enseignement de ces travaux. Il donne droit également à un bonnet ceint d’un turban sacré appelé nommi dont le port constitue un signe extérieur de distinction socio-religieuse. Dans ce domaine, ce sont les Saganogho qui ont particulièrement brillé.

5. Il y a enfin le pèlerinage à la Mecque qui constitue un des cinq piliers de l’Islam. L’accomplissement de ce rituel était très éprouvant si bien que rares étaient ceux qui pouvaient s’en acquitter. Cette rareté conférait aux Ladji (al-Hajj) une considération socio-religieuse particulière qui les hissait au rang de karamogo.

En conclusion, toutes ces stratégies montrent non seulement l’importance du karamogoyya (qualité de lettré-musulman) dans la société jula mais aussi et surtout le caractère fermé de ce cercle de clercs musulmans. Comme chez les Juifs où Lévy et Cohen sont des noms des tribus cléricales, Cissé, Touré, Diané, Diaby... sont, en Afrique de l’Ouest en général, et dans le milieu jula, en particulier, des noms de familles maraboutiques. Aujourd’hui, ce monopole religieux est mis à rude épreuve par des mutations qui affectent divers domaines de la vie sociale.

Pour plus d’informations :

KODJO, N.G., Le royaume de Kong : des origines à 1897, thèse pour le doctorat d’Etat, Université de Provence, 1986, 4 t. TRAORE, B., Histoire sociale d’un groupe marchand : les Jula du Burkina Faso, Thèse pour le Doctorat unique, Université de Paris I, 1996, 2 t. WILKS, I, “The transmission of Islamic Learning in Western Africa ”, in GOODY, J., (editor), Literacy in traditional Societies, Cambridge University Press, pp. 162-197.

TRAORE Bakary
Attaché de recherche
à l’IN.S.S./C.N.R.S.T.
03 BP. 7047 Ouagadougou 03
Cel : 76-60-07-83

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