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Affaire usine de coton hydrophile : Les détails dans l’intégralité de l’entretien de Dr Céline Kontyaré/Kobéané, promotrice de SOFACO-B

Publié le lundi 23 janvier 2023 à 12h23min

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Affaire usine de coton hydrophile : Les détails dans l’intégralité de l’entretien de Dr Céline Kontyaré/Kobéané, promotrice de SOFACO-B

Lefaso.net a publié une synthèse de l’entretien que nous a accordé Dr Céline Kontyaré/Kobéané le 20 janvier 2023 sur l’affaire d’usine de coton hydrophile révélée dans une vidéo virale sur les réseaux sociaux. Nous vous proposons ici l’intégralité de l’entretien qui donne plus de détails pour une meilleure compréhension des lecteurs.

Lefaso.net : Pouvez-vous revenir sur les circonstances de la création de la SOFACO-B ?

Dr Céline Kontyaré/Kobéané : Je suis pharmacienne. Et quand j’ai commencé à exercer, j’ai voulu savoir où le Burkina Faso se procure le coton pour se soigner. Bien que le pays soit parmi les premiers producteurs de coton, il importe le coton de la Chine, de l’Inde. J’ai donc pris l’engagement d’aller chercher la technologie et de produire du coton « made in Burkina » avec nos fibres, afin de le mettre à la disponibilité de la population burkinabè.

Comment avez-vous réussi à acquérir cette technologie et à installer votre unité de production ?

Avec mes économies et le soutien de certains proches, je suis allé en Chine me former et je me suis procuré onze machines d’une valeur de plus de 100 millions de francs pour mettre en place la SOFACO-B, une usine de production de coton hydrophile 100% burkinabè qui emploie une cinquantaine de personnes. C’est une première au Burkina Faso et dans toute la sous-région. Donc la mise en œuvre du projet était truffée de difficultés, d’imprévus. Je suis allé en Chine me former et j’y ai acquis du matériel pour l’installation de l’usine.

J’ai mis l’usine en place vers fin 2016, j’ai produit le coton en 2017 et 2018 et j’ai stocké parce que l’Etat n’avait pas pris l’engagement de m’accompagner. On a stocké et on était en train de fermer l’usine parce qu’ici, les gens étaient encore réticents malgré le fait que j’ai fait certifier ce coton par le laboratoire national. En passant, c’est le seul coton qui est certifié au Burkina Faso. Il a fallu qu’un collègue malien présente le produit et que des pharmaciens maliens s’engagent à m’accompagner. Et grâce à cela, le stock a été vidé au bout de deux commandes. Ce qui a permis à l’usine de tenir et de renaître. Après cela, j’ai eu l’accompagnement du gouvernement burkinabè, et la CAMEG a commencé à consommer nos produits.

Une vidéo circule sur les réseaux sociaux, expliquant vos déboires avec Wendkuni Bank International. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est réellement passé ?

Notre capacité de production était faible alors que la demande augmentait. Je me suis rendu auprès de cette banque pour prendre de quoi augmenter la capacité. Au début, j’avais investi plus de 100 millions de F CFA dans les équipements. J’ai donc contracté un prêt de 25 millions de FCFA pour acheter trois machines supplémentaires, en plus des onze machines que j’avais déjà, en laissant comme garantie un Permis urbain d’habitation (PUH) d’une valeur de 35 millions.

Dès que les machines sont arrivées et ont été installées, immédiatement j’ai eu des démêlés avec mon bailleur qui m’a demandé de libérer ses locaux (site de Kossodo). N’ayant pas le choix, j’ai pris tous mes fonds et ressources pour reconstruire l’usine à Pabré, sur un terrain que j’avais acquis depuis 2014. On a déménagé sans vraiment planifier. Sur notre nouveau site, on n’avait pas de l’électricité. J’ai alors expliqué à la banque que je venais de démanger et que c’était difficile de payer nos créances.

Quelle a été la réponse de la banque à cette requête ?

Il faut dire que j’avais eu même une ONG, prête à me subventionner pour le remboursement d’une partie des équipements. J’ai été auprès de cette banque avec un courrier pour les formalités administratives parce que le compte était clôturé. Malheureusement, je n’ai pas eu gain de cause et je n’ai pas pu bénéficier de cette subvention. Donc nous en sommes restés là. Ne voulant pas perdre la clientèle que j’ai eu du mal à conquérir, on louait un groupe électrogène un mois sur trois pour pouvoir produire un peu et satisfaire la demande. C’est dans cette situation difficile que la banque a saisi la justice.

Que s’est-il passé avec la justice ?

Malheureusement, je n’ai pas assisté au procès pour des raisons que je vais taire. Après, j’ai reçu une notification d’un huissier me condamnant à payer à la banque (Wendkuni Bank International). L’huissier est venu me le notifier et procéder à la saisie. Quand il a fait la saisie, je me disais que comme l’usine est un bien immeuble, les machines ne seront pas arrachées, parce qu’il faut un autre jugement pour pouvoir arracher les machines. J’ai donc contacté un avocat pour négocier avec l’huissier parce que la situation devenait sérieuse. Avant que mon avocat ne me fasse un retour, un matin vers 7h, deux cargos de CRS sont venus encercler mon usine. L’huissier me dit qu’ils sont venus pour enlever les machines. Je lui ai fait savoir que le dossier est entre les mains d’un avocat et il répond que l’avocat ne l’a jamais appelé.

Je lui ai demandé de m’accorder du temps afin que je trouve une solution, prouver au moins ma bonne foi. Il m’a simplement répondu qu’il était venu ramasser les machines pour aller les vendre, pas pour faire un débat avec moi. Il a ajouté que les grues sont en route pour tout prendre. C’est la SONABEL qui m’a accompagnée en me permettant de payer par tranche, ce qui m’a permis de reprendre l’activité. Dès que j’ai eu la SONABEL (électricité), j’ai pris des avances avec des clients au Mali et au Burkina Faso pour pouvoir payer la fibre. Dès que le coton est venu, dans la même semaine, ils sont venus arracher les machines. Cela veut dire qu’on me surveillait. Quand l’usine était fermée, ils ne venaient pas ; et dès que j’ai eu le branchement d’électricité avec la SONABEL et que j’ai commencé à fonctionner, ils sont venus. Je leur ai expliqué, supplié de me laisser livrer les commandes afin d’honorer la dette, même si c’est 50%.

J’étais prête à signer des engagements pour qu’on vire l’argent des commandes directement dans leurs comptes. Mais l’huissier est resté catégorique. Je vous assure que les machines que les Chinois sont venus installer en un mois, ils les ont arrachées en une demi-journée, trimbalées avec des grues et sont partis avec. Quand mon comptable a voulu filmer la scène, ils ont retiré son téléphone et l’ont mis dehors. Ils sont venus trouver le personnel en train de travailler, ils ont mis tout le monde dehors. Ce qui m’a choquée, dix jours après, ils sont venus afficher un avis de vente sur mon portail avec des chewing-gum ; qu’ils vont vendre les machines dans les dix jours qui suivent. Comment peuvent-ils trouver un acquéreur en quelques jours alors que personne n’exerce cette activité dans la sous-région ? Comment est-ce possible ?

Malgré cette saisie, quelles dispositions avez-vous prises pour essayer de récupérer vos équipements ?

En ce moment, je cherchais un avocat qui allait prendre le dossier à bras-le-corps. J’ai pu trouver un autre avocat qui s’est focalisé sur le fait que l’usine est un bien immeuble qu’on ne peut pas arracher. Vu tout ce qu’ils ont fait comme dégâts, dès que l’avocat de la banque a vu cette plainte, il a sommé l’huissier de restituer les machines. Et l’huissier répond que la banque n’a pas débloqué l’argent de location des grues pour ramener les machines. Donc les machines sont entreposées depuis le mois de mai chez l’huissier. Maintenant, à ma grande surprise, le premier juge à recevoir la plainte a ordonné de surseoir à la vente, donc ils n’ont pas pu vendre. Avant qu’il ne délibère, on m’informe que ce juge a été muté.

Le deuxième nous dit que la plainte n’est pas recevable et mon avocat a fait appel. Depuis le mois de juillet 2022, ça fait le 3e ou 4e juge qu’on mute. A chaque fois que le dossier tombe entre les mains d’un juge, il est muté avant d’avoir pu délibérer. Entre temps, l’avocat de la banque était devenu silencieux, on ne comprenait plus. Suite à cela, et à notre grande surprise, on a reçu un courrier où la banque dénonce les agissements de l’huissier en question et s’en démarque, le dénonce et déclare que le matériel est saisi par une tierce personne. Et on croyait que c’était un acte de bonne foi de la banque. Un deuxième courrier suivra, avec un nouvel huissier qui maintient la saisie du matériel et entend le vendre. Récemment, ils sont allés à l’usine avec la date de vente des machines. Je n’étais pas là, ma secrétaire non plus. Le vigile a dit qu’il n’est pas habilité à prendre. Ils ont dit qu’ils vont aller déposer le courrier à la mairie, certainement ça va me parvenir. Voilà la situation dans laquelle on se trouve.

Pourquoi la banque ne saisit-elle pas de la garantie ?

Pour avoir le prêt (25 millions de francs CFA), j’ai donné un PUH de 35 millions de F CFA. Je suppose que si on calcule avec les intérêts, on avoisine les 30 millions, pour dire que la garantie couvrait pratiquement tout. J’estime qu’une usine qui fonctionnait et qui vous demandait du soutien, vous ne pouvez pas venir lui donner un coup de grâce. Vous avez une garantie, et quel que soit le problème, vous avez un moyen de pression. D’autant plus que sur quatorze machines, votre argent n’a pu acquérir que trois. Vous ne pouvez pas venir vider mon usine, vider tout le coton, le jeter au sol, piocher et défoncer les machines. Quand ils sont venus, j’ai essayé de contacter des gens que je connaissais. Le lendemain, j’ai pu joindre la directrice générale de Wendkuni Bank International, elle m’a dit qu’elle n’a rien à me dire, qu’elle ne peut rien faire pour moi, de voir avec l’avocat et l’huissier.

Comment l’affaire s’est retrouvée sur la place publique ?

La vidéo qui a circulé a été réalisée par un oncle qui voulait la réaliser depuis trois mois, mais j’ai toujours refusé. Je ne voulais pas parce que les confrères n’étaient pas au courant, je souhaitais garder ça dans l’ombre et essayer de trouver des solutions pour reprendre l’activité vraiment dans l’ombre. C’est ma sœur qui m’a informée, il y a de cela deux jours, que mon oncle a balancé la vidéo. Mon intention n’était pas de créer cette situation mais mon oncle a jugé bon de le faire parce que trop c’est trop ; on s’engouffrait seulement sans savoir quand cela allait s’arrêter.

La publication de cette vidéo a-t-elle reçu des échos favorables ?

Comme je l’ai dit, personne n’était au courant. Tout le monde ignorait la situation et les gens ont été informés au même titre que les internautes. Il y a quand même des appels de soutien de confrères, ou des prises de contact des autorités, notamment de la primature, des ministères du Commerce, de la Santé, pour essayer de trouver des pistes de solutions.

Que souhaitiez-vous pour un dénouement de cette affaire ?

Ce que j’attends, tout ce que je souhaite aujourd’hui, au-delà de tout contentieux, au-delà de tout préjudice moral, financier que j’ai pu subir, je veux juste récupérer mon unité, rappeler mes employés et reprendre mes activités, honorer mes commandes qui continuent d’arriver, même de l’extérieur, du Mali, du Niger, de la Côte d’Ivoire, etc. Je n’ai pas eu le courage de dire aux uns et autres que l’usine ne fonctionnait plus. C’est mon cri de cœur à l’endroit des autorités.

Interview réalisée par Mamadou ZONGO
Photos : Bonaventure Paré
Lefaso.net

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