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Vie de famille : « Papa et maman s’insultent jusqu’à 2h du matin, si je ne prends pas la drogue, je ne peux pas dormir », propos d’un adolescent, cités par Pr Arouna Ouédraogo

Publié le lundi 9 janvier 2023 à 22h37min

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Vie de famille : « Papa et maman s’insultent jusqu’à 2h du matin, si je ne prends pas la drogue, je ne peux pas dormir », propos d’un adolescent, cités par Pr Arouna Ouédraogo

Dans son élan d’éducation, formation, d’information et de contribution au développement social, culturel et économique du pays, le Cercle d’études, de recherches et de formation islamiques (CERFI) a animé, dans la soirée du dimanche 8 janvier 2023 à son siège national sis aux 1200 logements, dans l’arrondissement N°5 de Ouagadougou, une conférence publique autour du thème : « La consommation des stupéfiants par les adolescents : rôle et attitude des parents ». Elle a connu des communications livrées par le psychiatre, Pr Arouna Ouédraogo et le juriste et fondateur de la mutuelle sociale, la Muska, imam Ismaël Tiendrébéogo, suivies d’échanges avec les participants.

C’est par un déblayage des notions de stupéfiants et assimilés, que Pr Arouna Ouédraogo est entré dans le vif de son sujet. Dans cette démarche, il fait la part entre substances licites (au terme de la règlementation nationale) et substances illicites. C’est dans ce dernier lot qu’il classe la drogue, préoccupation principale de cette activité publique. Il explique à cet effet que plusieurs facteurs peuvent concourir au basculement de l’individu dans les stupéfiants, notamment la drogue. Des facteurs immédiats, comme l’environnement familial, à ceux lointains.
« Au début, vous prenez une substance pour avoir ‘’un plus’’, mais à la fin, le fait de ne pas utiliser cette substance-là fait que vous avez même un moins ; donc il faut cette substance-là pour que vous puissiez avoir votre propre équilibre de départ », présente Pr Arouna Ouédraogo, psychiatre au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo.

Pour mettre en exergue la relation complexe entre l’individu et la drogue, Pr Ouédraogo schématise la problématique sous la forme d’une rencontre. Cette rencontre va se passer entre un individu donné, une substance et un évènement. « L’individu, qui a ses particularités à la fois sur le plan biologique, psychologique, psychiatrique, va être différent de l’autre. Ces différences vont constituer des facteurs de vulnérabilité et de protection, de résilience. Chez certains individus, il va exister des failles dans un de ces domaines-là et là également, pour beaucoup, l’environnement parental va jouer un rôle. Vous voyez que s’il y a un déterminisme d’un point de vue biologique, défini à travers les gênes qui vont être transmis de façon héréditaire, on n’y peut rien, ce n’est pas modifiable. Mais si la particularité de l’individu est due à un environnement familial donné, qui a occasionné des failles dans le processus développemental de l’individu, là, il y a un rôle important de la famille du point de vue éducatif  », fait-il la part des choses.

L’évènement, poursuit-il, c’est ce qui advient donc autour de l’être humain, sans qu’il soit forcement à mesure de les modifier ou les éviter (par exemple, le divorce des parents dans lequel l’adolescent n’y peut rien). Il y a aussi ce qui peut advenir au-delà même du cercle familial (à l’échelle du pays, à l’exemple de la situation sécuritaire du pays qui touche tout le monde, y compris les enfants).

C’est pourquoi, parlant du rôle des parents et du type d’attitudes à adopter par ceux-là pour éviter la consommation des stupéfiants, Pr Ouédraogo sollicite ce qu’il qualifie de « éducation parentale compétente ». Elle implique pour les parents de faire preuve d’affection vis-à-vis de l’enfant. « Ça peut paraître logique et évident, mais malheureusement, c’est souvent très mal géré dans les familles ; parce qu’on estime que ce n’est pas nécessaire. Or, l’enfant a besoin que les parents soient à mesure de lui témoigner toute l’affection qu’il est en droit d’attendre des parents. Si l’enfant sait qu’il est aimé, il le ressent. Comment faire pour que l’enfant, l’adolescent, sache qu’il est aimé ? C’est la question que chaque parent doit se poser. Ensuite, c’est être capable d’écoute. Là, c’est un peu compliqué, parce que chaque enfant à sa perception de la vie, que les parents n’ont pas toujours. Etre capable d’écouter, c’est de chercher à comprendre comment l’enfant perçoit les choses, comment il gère ses difficultés. Les parents qui sont capables de cette écoute peuvent constituer les premiers médecins en famille », galvanise le communicateur.

De nombreuses interventions ont porté sur l’impératif pour les parents de se former, eux-mêmes.

Il soulève également la nécessité pour les parents de savoir exprimer leurs sentiments et leurs émotions : « C’est très compliqué. Quand vous êtes en colère parce que l’enfant a fait une bêtise, la manière d’exprimer cette colère-là va être un couteau à double tranchant. Si l’enfant ne repère pas qu’il a eu une mauvaise attitude, que le parent aussi ne comprend pas que la réaction constitue une mauvaise habitude, ça va être un malentendu sur toute la ligne. Là aussi, il faut se poser des questions ; que ce soit pour exprimer des émotions positives ou négatives, c’est important de savoir comment les exprimer, il faut savoir se mettre à la place de l’enfant, de l’adolescent, pour savoir comment lui-même, il vit votre réaction, votre attitude ».

Attention aux « injonctions paradoxales » !

Autre compétence importante, ce sont les stratégies de transmission des valeurs, égrène-t-il. « Chaque famille a un certain nombre de valeurs qui sont partagées par les membres de la famille et qu’il faut savoir aussi transmettre aux adolescents », estime Pr Arouna Ouédraogo.
« C’est la même chose que toutes les autres valeurs. Si vous êtes à la maison, les enfants sont là, vous prenez un coup de fil et vous dites que vous n’êtes pas à la maison, mais au bureau... ; vous voyez, les enfants retiennent que vous ne dites pas la vérité. Ce semble anodin, mais ça impacte. Donc, il y a des valeurs, notamment religieuses, à enseigner aux enfants. C’est cela qui va permettre de faire face à certains problèmes sans recourir à la drogue », avertit en substance le psychiatre.

Un autre élément consiste en la manière de gérer les conflits au sein de la famille, entre les parents. « Dans une famille, il ne peut pas manquer des nuances d’appréciation entre les parents, là n’est pas la question. Mais c’est la façon dont vous allez gérer ces conflits-là qui va jouer un rôle déterminant. Je vais donner un exemple simple : un enfant qui est à l’école, il a eu son examen. Maman veut qu’on lui achète une telle moto de luxe pour le récompenser, l’enfant est d’accord avec ça, le père dit que c’est dangereux de payer une moto de tel gabarit et qu’on va continuer à le déposer à l’école. Voici des choses qu’on gère au quotidien en famille. Une discussion chaude entre les parents et l’enfant suit ça avec beaucoup d’attention. Et la mère qui épouse la position de l’enfant va être considérée comme une bonne mère et le père qui refuse est considéré comme le mauvais père, qui est méchant. Et dans cette bataille-là, c’est la mère qui finit par l’emporter. La prochaine fois, ça va être l’argent de poche : le père estime que ce n’est pas bien de donner beaucoup d’argent de poche à l’enfant et la mère se cache pour donner plus. Voici de petites banalités de contradictions des parents en présence des adolescents qui constituent le nid des problèmes, y compris la drogue  », s’est-il attardé, recommandant donc aux parents de toujours faire l’effort pour s’accorder, hors des regards des enfants, sur une décision puis assumer ensemble.

De son analyse, ça ne marche pas souvent dans l’éducation, parce que les parents n’ont pas toujours la capacité de comprendre la psychologie de l’enfant (sans pour autant rejeter ce fait aux parents, car il juge cette maîtrise scientifique).
C’est dans le même ordre d’idée qu’il identifie ce qu’il qualifie de « injonctions paradoxales », fréquentes dans les familles, et qui consistent pour les deux parents d’ordonner à l’enfant, et chacun, une idée contraire à l’autre. « L’enfant reçoit l’ordre d’aller dormir, alors que l’autre parent dit non, parce qu’il estime que l’enfant n’a pas assez bossé. Donc, un parent donne un ordre, l’autre donne un contre-ordre. Quant au quotidien, sur des détails de la vie, l’enfant vit ça, c’est extrêmement mauvais. Qu’est-ce que vous voulez que l’enfant fasse ? Donc, il faut être capable de taire ces divergences-là, ce n’est pas un signe de faiblesse, c’est pour éviter d’amener l’enfant dans une situation où il ne sait plus à qui se fier et ce n’est pas non plus une façon d’inculquer des valeurs à l’enfant », déconstruit-il.

Par de nombreux cas cliniques, le psychiatre a arraché des soupirs aux participants. « Je vais vous donner un exemple, il y a un individu (enfant) qui est amené par son père, parce qu’il consomme de la drogue. Alors, devant les parents, l’enfant me dit : professeur, quand moi je rentre dans ma chambre pour dormir, pendant ce temps, papa et maman vont s’insulter jusqu’à 2h du matin, si moi je ne prends pas la drogue-là, je ne peux pas dormir. Ça dit tout. (…). Il y a bien d’autres situations, comme par exemple les parents qui sont sur le point de divorcer ; l’enfant ne comprend rien et il ne sait pas qui choisir. Et ça le ronge, à l’école il change de comportements, il n’est pas bien dans sa peau et dans ça, un de ses amis va lui dire ‘’si tu prends ça, tu vas voir que tu seras content’’. Il prend et effectivement, il sera content et les problèmes commencent », brandit le conférencier.

Le juriste et diplômé en management international et en gestion de projets, imam Ismaël Tiendrébéogo, commence par désigner les acteurs (de l’éducation) en islam. Selon lui, les acteurs sont les parents. Abondant dans le sens de l’« éducation parentale compétente », imam Tiendrébéogo rappelle que : « Le Prophète (paix et salut sur Lui) dit qu’un parent ne fait pas meilleur cadeau à son enfant, que lui donner une bonne éducation. (…). Ce n’est pas à l’informel d’éduquer nos enfants, ce n’est pas l’éducation par les pairs à travers ses camarades, ce n’est pas l’instruction qu’on donne à l’école qui peut remplacer le rôle des parents ».
Le leader religieux note avec son prédécesseur que souvent, les parents manquent effectivement de tact dans la façon d’éduquer les enfants.

De la droite vers la gauche : Imam Ismaël Tiendrébéogo, Pr Arouna Ouédraogo et le modérateur.

Veiller sur ces trois étapes de la vie de l’enfant !

Selon imam Tiendrébéogo, en islam, il y a trois étapes à considérer dans la vie de chaque enfant. « Les sept premières années de la vie de l’enfant, les sept années qui suivent, puis les sept autres années. Le Prophète (paix et salut sur Lui) a dit : amuse-toi avec ton enfant pendant les sept premières années de sa vie. C’est-à-dire ce qui est plus important pour l’enfant dans les sept premières années de sa vie, c’est vraiment de s’amuser avec lui. Pour dire que nous devons marquer de la proximité avec nos enfants, on doit faire en sorte que les enfants sentent qu’ils sont les centres d’intérêt de leurs parents. Les enfants ne doivent pas être la cinquième roue du carrosse ou un fait divers que l’on évoque de temps en temps parce que ce sont nos préoccupations professionnelles, nos préoccupations sociales qui nous absorbent le plus et qui sont nos priorités. La première chose que le Prophète nous a enseignée, c’est de nous amuser avec nos enfants (en y mêlant l’instruction). Le fait même de témoigner de l’affection à ses enfants, c’est une Miséricorde qui est la preuve que le message de l’islam nous sera utile. Si nous sommes incapables de cela, notre Prophète dit qu’il ne peut rien pour nous. Nous devons donc nous montrer présents pour nos enfants, être disponibles pour nos enfants ; les enfants ne nous emmerdent pas, ils ont besoin de notre proximité (ce ne sont pas des enfants d’autres personnes, ce sont nos enfants et nous avons la charge de nous occuper d’eux). Le Prophète dit ensuite : deviens l’éducateur de ton enfant, les sept années qui suivent. Donc, de sept à quatorze ans, on va davantage insister sur l’éducation de l’enfant, surtout par nos comportements », enseigne imam Ismaël Tiendrébéogo, pour qui, le caractère de l’enfant se forge par la pratique (comportements des parents) que par la théorie.

« Le Prophète dit ensuite : à partir de quatorze ans, deviens l’ami de ton enfant. Il est en phase de puberté, où les codes de l’adolescent diffèrent de ceux de ses parents, où les revendications ne veulent pas rencontrer une autorité (l’enfant est dans une phase de revendication, il veut refaire le monde). De quatorze à 21 ans, on est ami à temps plein de son enfant ; tu n’es donc pas le père, pas la mère de l’enfant, tu es l’ami à temps plein de ton enfant. Du coup, il est disposé à te raconter ce qu’il rencontre comme changements (notamment ce qu’il entend par l’éducation par ses pairs). S’il te prend comme son ami, il a en mémoire quelqu’un qui lui veut du bien et vis-à-vis de qui il doit s’ouvrir, il a plus confiance. A partir de 21 ans, accorde l’indépendance à ton enfant. Si l’éducation est bien faite, à partir de 21 ans, l’enfant n’a pas besoin de la présence de ses parents, il devient autonome », complète le communicateur.

De son avis, il ne sert à rien de se faire de l’argent et avoir un enfant qui consomme la drogue. « Nous devons donc nous rappeler assez souvent que nous sommes dans un contexte assez difficile, que nous n’avons pas souvent le temps pour nous occuper de nos enfants, parce que nous sommes dans les occupations professionnelles. Et je voudrais juste rappeler que quand on a des enfants d’un certain âge, nous devrons considérer comme plus importante, leur carrière par rapport à la nôtre, parce que nous sommes dans le déclin (quand on a atteint 40 ans, ce qui reste à venir est moins important que ce qui est passé). Si nous avons des enfants de dix, douze, quinze ans, ce sont ces enfants-là qui doivent être prioritaires sur nous. Et dans les sociétés occidentales, vous verrez que l’un des parents va prendre une disponibilité, le temps que les enfants atteignent un certain âge, et ensuite il se reconvertit ou reprend sa carrière professionnelle là où il l’avait laissée. Ce devait être le comportement du musulman ; parce qu’il ne sert à rien d’engranger de l’argent et d’avoir un enfant qui consomme de la drogue chez soi, parce que c’est un danger pour lui-même, un danger pour ses parents et un danger pour toute la société. Donc, ce qu’on aura comme gain, nos immeubles, etc., on sera dedans, mais on ne verra pas le goût  », conclut imam Ismaël Tiendrébéogo.

Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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