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Rachidi Tapsoba : « L’ignorance amène les gens à penser que le recours au droit crée plus de problèmes qu’il n’en résout »

Publié le mercredi 4 janvier 2023 à 11h00min

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Rachidi Tapsoba : « L’ignorance amène les gens à penser que le recours au droit crée plus de problèmes qu’il n’en résout »

Tant que nous n’allons pas avoir le réflexe de recourir au droit pour résoudre nos litiges, il sera très compliqué pour notre pays de se développer au plan socio-économique, de renforcer notre démocratie et de construire un véritable Etat de droit au plan politique à l’instar de nombreux pays développés. C’est la conclusion à laquelle parvient Rachidi Tapsoba. Ce consultant juridique au cabinet Kéré-Avocats et enseignant-vacataire en droit privé s’en explique dans cette tribune.

Si les hommes sont passés de l’état de nature à l’état de société, et donc à l’état de droit, ce n’est pas parce qu’ils sont mus par un quelconque déterminisme évolutionniste , mais parce qu’ils ont senti une impérieuse nécessité de remplacer la barbarie et l’anarchie par l’ordre et la Justice. Ici, il ne s’agira pas d’aborder l’importance du Droit entendu comme l’ensemble des règles qui régissent la vie en société et dont l’inobservation est assortie de sanctions , mais il sera plutôt question de réfléchir autour de l’attitude des citoyens burkinabè vis-à-vis de la règle de droit qui leurs confèrent des droits et qui met également des obligations à leur charge.

En effet, si l’on adopte des lois dans un Etat, c’est pour qu’elles s’appliquent aux citoyens de cet Etat ; de la même manière si l’on met en place une justice (en tant qu’institution chargée de trancher des litiges), c’est pour qu’elle soit au service des justiciables qui pourront éventuellement y recourir chaque fois que le besoin se fera sentir.

Cependant, que devient une institution judiciaire, et partant, un système juridique dans un Etat si les justiciables n’ont pas la culture du recours au Droit pour résoudre leurs problèmes quotidiens ? En d’autres termes, comment une institution judiciaire peut-elle être efficace si la majorité des justiciables ne porte pas ses litiges devant elle ? En réalité, plusieurs raisons peuvent expliquer cela dans un pays comme le Burkina Faso.

Tout d’abord, il y a le fait que la plupart, pour ne pas dire la totalité des pays francophones d’Afrique comme le Burkina Faso, a hérité du droit de la métropole française. Ce qui amène souvent les populations à penser que les règles de droit qu’on leurs appliquent sont étrangères à leurs coutumes, leurs traditions et leurs mœurs et n’hésitent pas à dire que ce sont des « règles de blancs » et vont même jusqu’à penser que ce sont des règles conçues pour les personnes instruites comme les fonctionnaires et les bourgeois.

Cette manière de voir les choses est des fois légitime et fondée. Mais, comme tous les autres aspects de la colonisation, cette colonisation juridique a été également un mal nécessaire avec lequel on doit évoluer car si nous avons fini par accepter avec le temps toutes les autres choses que la colonisation a amenées, l’on peut bien également admettre le Droit hérité du colon en l’adaptant à nos réalités au fur et à mesure.

Les Etats-Unis d’Amérique ont été colonisés par l’Angleterre et ont hérité de ce fait de la Common Law anglaise qu’ils ont modifié pour l’adapter à leurs réalités, mais aujourd’hui ils ont l’un des meilleurs systèmes juridiques au monde. Juste pour dire, avec cet exemple parmi tant d’autres, que bien que ces règles nous viennent d’ailleurs, nous pouvons en faire les nôtres et les accepter comme régissant nos rapports en société. La France elle-même n’a-t-elle pas hérité du droit romain a l’instar de beaucoup d’autres pays européens ?

Ensuite, il y a certaines idées reçues que les justiciables se font de l’institution judiciaire selon lesquelles elle n’existe que pour les riches, elle rend une justice à double vitesse, elle est corrompue etc. ; ce qui n’est pas tout à fait faux dans la mesure où c’est généralement l’image que donne à voir l’institution judiciaire et les acteurs du monde de la justice dans nos pays. Les citoyens se demandent souvent également à quoi cela sert de porter son affaire en justice si l’on a déjà perdu d’avance son procès ?

Il est bien vrai que l’issue d’un procès n’est jamais certaine, mais il est toujours mieux de régler ses différends en justice que de le faire par des voies peu recommandables en se faisant justice soi-même par exemple. Toutefois, pour dissiper ces doutes et ces réserves que les justiciables ont à l’égard de l’institution judiciaire et permettre d’établir une relation de confiance entre celle-ci et ces derniers, il convient de sensibiliser les populations sur les avantages qu’il y a à porter les litiges devant les tribunaux, même si l’on dit souvent qu’un arrangement amiable vaut mieux qu’un procès gagné. Il faut aussi purger l’institution judiciaire des fléaux qui la mine en sanctionnant par exemple les magistrats véreux.

En outre, l’ignorance est l’une des raisons pour lesquelles les justiciables n’ont pas cette culture, voire ce reflexe de recourir au droit pour résoudre leurs problèmes. Cela n’est pas surprenant dans un pays ou plus de la moitie de la population est analphabète. Cette ignorance se manifeste par le fait que les justiciables ne comprennent absolument rien au langage juridique, ils ignorent qu’en justice la procédure est toute aussi importante que le fond du litige .

Mais si ces justiciables avaient cette culture ou ce reflexe du recours au Droit en recourant aux juristes comme les avocats, ils comprendraient que l’on peut échapper par exemple aux lenteurs judiciaires en agissant en référé, que le non respect d’une formalité ou qu’un vice de procédure peut faire perdre un procès, que tous les frais occasionnés par le procès leurs seront remboursés à titre de frais exposés non compris dans les dépens si leur adversaire perd le procès et bien d’autres choses encore.

Cela leur éviterait de croire absurdement que les avocats sont des manipulateurs qui transforment la vérité en mensonge et vice versa. Combien sont ces justiciables au Burkina Faso qui savent que la loi n’existe pas que pour les sanctionner en les condamnant quand ils commettent des infractions, mais qu’elle les protège également par une panoplie de moyens qu’ils peuvent invoquer pour se protéger contre les personnes malveillantes.

Tout ceci parce qu’ils ne voient que l’aspect pénal quand on leurs parlent de Droit ou de justice en oubliant l’aspect administratif qui leurs accordent des droits en tant qu’usagers de l’administration publique, l’aspect civil qui régit leur vie de famille, leurs relations contractuelles et qui leur permet d’engager la responsabilité civile (délictuelle et contractuelle) des autres lorsqu’un dommage leur est causé par ces derniers, l’aspect commercial qui permet au commerçant d’exercer librement sa profession et qui protège l’acheteur consommateur contre le vendeur professionnel, le droit de la concurrence qui vise à assainir le milieu des affaires, etc. .

Enfin, si les justiciables burkinabè n’ont pas le reflexe de recourir au Droit, c’est parce qu’ils privilégient les modes traditionnels de règlement des conflits tels que la conciliation, la médiation par rapport aux voies judiciaires. C’est pourquoi, l’on verra par exemple un couple légalement marié porter ses problèmes conjugaux devant les personnes âgées de la famille de l’un des conjoints au lieu d’aller devant le juge.

Toute chose qui n’est pas mauvais en soi et qu’il faut même encourager car il n’est pas mauvais de trouver un autre moyen de régler un différend tant que ce moyen n’est pas contraire à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il faut souligner que dans l’exemple ci-dessus évoqué si le couple décidait d’aller devant un juge, celui-ci aussi ne commence pas directement par prononcer automatiquement le divorce des époux qui se présentent devant lui mais essaie d’abord de les concilier. Ce qui veut dire qu’en portant également son affaire devant les juridictions étatiques on peut y trouver une solution à l’amiable.

Et le droit admet les modes alternatifs de règlement des différends comme la conciliation, la médiation et l’arbitrage. N’eut été l’ignorance des gens, ils sauraient que ceux qui rédigent les lois ne sont pas leurs ennemis, même si certaines personnes veulent leurs faire croire que la loi c’est la volonté des plus forts, des plus rusées et des plus riches sur les faibles, les moins rusées et les pauvres . Une raison non moins importante qui ne facilite pas cette culture du recours au Droit par le justiciable burkinabè en particulier et africain en général, c’est l’influence de la religion et cette fameuse phrase « c’est Dieu qui l’a voulu ainsi, on n’y peut rien ».

On sait bien que le peuple africain est l’un des peuples les plus croyants sinon même le plus croyant de la planète terre, mais cette croyance n’empêche en rien de recourir au Droit quand l’on voit ses droits violés car ni Dieu, ni la religion n’aime l’injustice et l’oppression puisque Dieu lui-même a prescris des commandements à l’homme qui sont censés le guider dans sa relation avec ses semblables et avec Dieu . Parlant toujours de religion, le droit canonique ou droit de l’Eglise n’a-t-il pas fortement influencé le droit français lui-même avec ses préceptes moraux ? Ainsi, en dehors des différences qu’il y a scientifiquement parlant entre Droit et religion, ils ne sont pas si opposés de sorte que l’on ne saurait donc prétexter de la religion pour refuser de recourir au Droit.

Sans froisser la sensibilité religieuse de certains, les croyants ou les religieux burkinabè et africains (surtout ceux des religions importées en Afrique) pensent-ils être plus croyants ou plus religieux que les catholiques européens (Rome, Vatican, France, Angleterre), que les musulmans d’Arabie saoudite, que les protestants des Etats-Unis ? Mais la foi de ces derniers ne les empêche pas d’agir devant les tribunaux chaque fois qu’ils s’estiment lésés dans leurs droits.

Alors qu’en Afrique, au nom de Dieu, on refuse d’attraire en justice le conducteur inattentionné qui nous cause un accident, le journaliste qui raconte des mensonges sur nous dans un journal, le voisin qui nous cause des troubles anormaux de voisinage, le médecin qui nous soigne mal, le vendeur qui nous vend des marchandises comportant des défauts ou non conformes etc. . Et l’on n’hésite pas à dire que chez « les blancs », pour un rien, ils se convoquent en justice .

Mais c’est juste parce que ces derniers ont compris qu’il existe des règles qui les protègent et dont il faut se prévaloir pour rendre la justice efficace. Parce que cela peut contribuer à amener les mauvais citoyens à bien se comporter s’ils ne veulent pas avoir des démêlés judiciaires. A ces facteurs sociologiques et culturels, il convient d’ajouter un facteur non moins négligeable à savoir le facteur économique vu le taux élevé de pauvreté dans notre pays. En effet, il faut reconnaitre que le procès a un coût relativement important, ce qui n’est pas aisé pour des justiciables dont la majorité vit en dessous du seuil de pauvreté (moins d’un dollar par jour) .

Tous ces facteurs avec l’ignorance en tête concourent à empêcher les justiciables à avoir le reflexe de recourir au Droit dans notre pays. Pire, au lieu d’approcher les praticiens du droit et autres hommes de loi pour mieux comprendre leurs droits et devoirs, certains justiciables font de ces derniers de véritables ennemis. C’est ainsi, qu’on n’hésite pas à reprocher au juge de vouloir prendre la place de Dieu pour juger ses semblables alors que le jugement appartient à Dieu seul.

D’autres vont jusqu’à recourir à des sacrifices rituels pour empêcher tel ou tel juge de rendre sa décision, voire le maudire ou le tuer. Le même Dieu qui dit de ne pas voler et de ne pas tuer peut-il être contre un juge qui condamne un voleur, un assassin ou un escroc ? Que dire de l’huissier de justice qu’on considère être une personne sans cœur et sans pitié quand il procède aux saisies des biens des débiteurs malhonnêtes qui ne veulent pas payer leurs dettes en prétextant avoir des problèmes comme si leurs créanciers n’en avaient pas.

Quel Dieu ou quelle religion conseille de ne pas payer ses dettes ? L’avocat quant à lui, est déjà présumé irrefragablement jeté en enfer avant même d’être mort parce qu’il aurait défendu ou fait libérer des criminels, transformerait le mensonge en vérité et vice versa ; tout en ignorant qu’il existe ce qu’on appelle la présomption d’innocence et le fait que toute personne peu importe ce qu’il a fait a droit à un avocat.

Ce qui est décevant, c’est que ces justiciables refusent de comprendre que dans l’un ou l’autre cas, ces praticiens du droit ont été formé pour cela et ne font simplement que leur travail. Ils oublient également que ces praticiens sont des humains comme eux et souffrent de devoir parfois faire du mal à leurs semblables. L’ignorance amène les gens à penser que le recours au Droit crée plus de problèmes qu’il n’en résout et que par conséquent, il faut s’en éloigner si on ne veut pas se faire des ennuis alors que cela n’est pas toujours le cas.

En définitive, il convient de faire remarquer que l’on ne peut avoir un système juridique fonctionnel et performant que si les justiciables qui sont l’épine dorsale, la pierre angulaire et l’objet principal auquel les règles de droit s’appliquent cessent d’être passifs en faisant valoir les droits que les multiples textes de loi leurs reconnaissent. A quoi peut bien servir dans un Etat un parlement qui ne fait qu’adopter à longueur de journées des textes sans effets parce qu’aucun citoyen ne les invoquent ? Dans le même ordre d’idées, quel intérêt il y a à former des juges et à mettre en place des cours et tribunaux si ces juges ne sont saisis que rarement par des justiciables qui rechignent à recourir au Droit pour appliquer les lois et se prononcer sur les problèmes de droit qui leurs sont soumis ?

Pas parce que ces juges n’ont pas les compétences requises pour le faire mais parce qu’il faut que ces magistrats soient saisis par des justiciables qui veulent bien leurs soumettre leurs litiges, ce qui n’est évidemment pas le cas, vu que cette culture du recours au Droit fait défaut. Pourquoi continuer à former des étudiants dans les facultés de Droit dans un pays, si après leurs études ces derniers sont censés devenir des huissiers, des notaires, des juristes d’entreprises et des avocats qui ont vocation à offrir leurs services et des conseils juridiques, si des justiciables ne recourent pas à eux pour avoir ces services et ces conseils parce qu’ils se demandent à la limite à quoi même ils servent ces gens là ?

Alors qu’ils sont très utiles pour le développement du pays pour peu qu’on recoure à eux. N’est-ce pas du temps perdu que de former des enseignants-chercheurs en Droit qui vont se chauffer les méninges à mener des réflexions savantes en vue d’améliorer notre système juridique, si ces améliorations ne vont pas servir à protéger efficacement le justiciable qui ne vas pas y recourir ?

Sans être pessimiste, à travers ces interrogations qui taraudent, c’est pour faire comprendre que tant que nous n’allons pas avoir le reflexe de recourir au Droit que nous avons nous-mêmes élaboré pour s’appliquer à nous, que tant que nous ne commencerons pas à cultiver l’esprit de recourir au Droit pour résoudre nos litiges, il sera très compliqué pour notre pays de se développer au plan socio- économique, de renforcer notre démocratie et de construire un véritable Etat de droit au plan politique à l’instar de nombreux pays développés . Un auteur disait que ce qui fait du système juridique américain l’un des plus performants et des plus productifs au monde, est qu’il existe au sein de la population américaine cette culture du recours au Droit et aux professions juridiques .

Pour ce faire nous devons sensibiliser les justiciables à avoir confiance au Droit et à la justice étatique car malgré les nombreuses failles de notre système judiciaire et de notre système juridique embryonnaire, une justice défaillante qui applique le Droit vaut mieux qu’une justice inexistante. Au premier rang des sensibilisateurs doivent figurés les étudiants en Droit, qui en sensibilisant les gens à recourir au Droit commencent à lutter contre leur propre chômage futur avant même que l’Etat ne le fasse puisqu’ils sont les futurs praticiens du Droit qui vont en bénéficier quand ils commenceront à exercer.

Cette sensibilisation par les étudiants doit se faire partout où ils sont notamment, quand ils sont avec des étudiants d’autres filières, en famille, et partout ailleurs dans la société. Ainsi, les étudiants doivent être les sentinelles qui éclairent les lanternes de l’opinion partout. Puis, viennent les praticiens du Droit tels que les avocats, les notaires et les huissiers qui n’arriveront à exercer pleinement leur profession que s’ils sont consultés par les justiciables.

Ainsi, ils peuvent le faire en créant des blogs sur lesquels ils pourront publier des articles ou commenter des décisions pertinentes de justice et donner également de temps en temps quelques petits conseils aux visiteurs de ces blogs comme cela se fait en France. Toute chose qui sera d’une grande utilité aux étudiants en Droit et au justiciable profane dans sa culture du recours au Droit. Il incombe aussi à l’Etat de tout mettre en œuvre pour que cette culture du recours au Droit par les justiciables dans notre pays devienne une réalité.

Rachidi TAPSOBA
Consultant juridique au Cabinet KERE-AVOCATS
Enseignant-vacataire en droit privé
Tél : 66 63 02 62

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