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Paténéma Kalmogo, directeur général des Impôts : “Le Burkina Faso ne peut survivre sans impôts”

Publié le vendredi 6 janvier 2006 à 04h38min

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Paténéma Kalmogo

La contribution prévisionnelle des impôts au budget de l’Etat, gestion 2006, s’élève à 226 milliards de F CFA. Une somme dont la mobilisation s’avère de plus en plus délicate dans un environnement socioéconomique où les impôts de porte sont en diminution avec l’application du tarif extérieur commun (TEC) de l’UEMOA et la montée de la fraude fiscale au plan national.

Pour préserver les recettes intérieures et assurer sa croissance, la loi des finances 2006 a prévu de nouvelles mesures en vue d’une équité fiscale au Burkina Faso. Ces dispositions ont l’ambition de constituer une réponse aux griefs soulevés par les acteurs du secteur formel : entrave à la compétitivité des entreprises du réel, concurrence déloyale et sous fiscalisation du secteur informel... Elles visent également à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Dans cette grande interview, le directeur général des Impôts, Paténéma Kalmogo révèle tout le mécanisme qui sera mis en œuvre en 2006 par le fisc pour que « personne ne dribble plus » son administration : introduction d’un nouveau numéro de l’identifiant financier unique (IFU), lancement d’une vaste campagne de recensement fiscal, élargissement de l’assiette fiscale. « Sans créer de nouveaux impôts ni augmenter les taux, tout est mis en œuvre pour que chaque citoyen paie selon ses moyens ce qu’il doit à l’Etat », rassure Paténéma Kalmogo. « Un pays comme le Burkina Faso ne peut survivre sans impôts », aime-t-il rappeler. Le premier numéro de l’année du supplément « WARIKO » paraît sous une ère de justice fiscale.

Sidwaya (S) : Sous quel signe la direction générale des Impôts (DGI) place la politique fiscale du Burkina Faso en 2006 ?

Paténéma Kalmogo (P.K. ) : La politique fiscale nationale est placée en 2006 sous le signe de la lutte contre la fraude sous toutes ses formes. Si le fléau n’est pas juguler cette année, il serait difficile d’y arriver à court, moyen ou long terme. Des dispositions organisationnelles, institutionnelles et législatives ont été prises pour combattre activement en 2006, le phénomène de la fraude qui va grandissant. Les nouvelles mesures fiscales se situent à trois niveaux. D’abord, il y a la refonte du numéro de l’Identifiant financier unique (IFU). Un nouvel identifiant a été adopté. Il résulte d’un consensus entre toutes les directions du ministère des Finances et du Budget. Ce numéro sera partagé par celles-ci. Tous les cocontractants de l’administration financière doivent l’utiliser.

Ainsi, l’ancien numéro IFU va être supprimé après six (6) mois de coexistence avec le nouveau. Cela permettra d’assainir le fichier des contribuables en les réimmatriculant tous, anciens comme nouveaux. L’introduction du nouvel IFU aidera à éradiquer une forme de fraude qui consistait pour certains contribuables à se servir de faux numéros IFU ou de numéros IFU appartenant à des contribuables ayant cessé leurs activités depuis des années. Un fichier unique donnera désormais une meilleure traçabilité des opérations et empêchera l’utilisation de numéro IFU multiples car le logiciel est interfacé avec des administrations comme la douane. Des contrôles ne tarderont pas à démasquer les cas frauduleux. Donc, la réimmatriculation des contribuables est une décision majeure parce qu’elle assainit le fichier. Elle permet aussi de suivre tous les contribuables en temps réel aussi bien dans leurs relations financières avec l’Etat que dans leurs importations.

Ensuite, il y a le recensement fiscal. Il s’agit d’une vaste campagne qui débutera dès janvier pour répertorier tous ceux qui mènent des activités. Elle se fera de porte en porte pour recenser tous les contribuables. Si un individu mène une activité qui mérite d’être déclarée à l’administration fiscale, il sera identifié. Même les locations d’immeubles et bien d’autres activités sont concernées. Ce recensement va permettre de lever les taxes de résidence à travers l’identification des locations. Il contribuera également à asseoir les impôts locaux et la patente par le chiffre d’affaires. Car dans les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, plus de la moitié des activités ne sont pas déclarées. En 2002 une étude avait montré que la moyenne des cotisations de ces petites activités (boutiques, kiosques, ateliers de tailleurs...) était de 10 000 F CFA environ au niveau de Ouagadougou.

Alors que certains domaines d’activité du secteur informel doivent cotiser plus que cela. Le recensement fiscal fournira des données plus fiables. Un autre constat est que des contribuables fractionnent leurs activités. Certains ont plusieurs boutiques, soit dans le même secteur, soit dans des secteurs différents de la ville, ou encore dans plusieurs villes du pays. Ces activités ainsi fractionnées laissent croire qu’elles relèvent du secteur informel. Or, si elles étaient agrégées, le contribuable paierait plus d’impôts car celui-ci réalise un chiffre d’affaires très important.

Enfin, des textes ont été adoptés pour contribuer à l’élargissement de l’assiette fiscale (articles 15 et 16 de la loi des finances 2006), à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale (articles 14 et 17).

Ils prévoient également des dispositions pour garantir une meilleure compétitivité des entreprises industrielles (articles 14 et 21), contribuer à une meilleure fiscalisation du secteur informel (article 14) et faciliter la mise en place de la Banque de l’habitat.

S. : A combien évaluez-vous les pertes de recettes annuelles dues à la fraude fiscale ?

P.K. : La fraude fiscale est difficile à chiffrer. C’est en instituant des mesures comme celles adoptées pour l’année 2006 que l’on peut se rendre compte, après coup, des pertes antérieures. Jusqu’à présent, l’idée de la fraude fiscale reste vague. Elle est difficile à quantifier. Mais au bout de l’année 2006, une bonne application de la loi des finances en cours permettra d’établir une comparaison avec les exercices précédents et donner une vision claire de la question. Les données seront précises sur les pertes enregistrées auparavant en termes de prélèvement ou de volume. Mais actuellement, il serait impossible d’avancer des chiffres exacts. Déjà, l’administration des douanes a rassuré que les nouvelles mesures contribueront à engranger 50% de plus que ce qui était collecté. Cela fournit déjà une estimation des pertes. Avec les nouvelles mesures, le volume à l’importation du secteur formel va augmenter au détriment de celui de l’informel. Les acteurs du secteur informel ne trouveront plus leur compte avec les 5% de prelèvement fixés par les nouvelles mesures.

Ils seront obligés d’aller se déclarer pour se faire découvrir de l’administration fiscale et profiter de 1% de prelèvement dont bénéficient les entreprises du réel. Les comportements vont changer. Quand les contrôles ont commencé en 2001, il y avait des entreprises qui importaient par année 12 à 14 milliards de F CFA de marchandises. Lorsque celles-ci se sont aperçues que l’administration fiscale suivaient leurs opérations, deux ans plus tard leurs importations ont baissé à 2 ou 3 milliards de F CFA. Elles ont dispersé le reste de leurs importations à travers des numéros IFU fourre-tout et passe-partout. Les nouvelles mesures veulent mettre fin à de telles situations pour amener tous les acteurs économiques à opérer au vu et au su de l’administration fiscale.

S. : En quoi les mesures suscitées constituent-elles une réponse aux griefs soulevés par le secteur formel notamment l’entrave à la compétitivité des entreprises du réel, la concurrence déloyale et la sous-fiscalisation du secteur informel ?
P.K. : La loi des finances 2006, vise une équité fiscale pour tous les acteurs économiques du Burkina Faso. Elle veut assainir le monde des affaires. Ainsi, cette loi a introduit en son article 14 une discrimination dans le taux de prélèvement fiscal au cordon douanier pour donner une réplique à la concurrence déloyable du secteur informel. En effet, les acteurs du réel normal et du secteur informel cotisaient à l’entrée le même taux, 2% sur la valeur TTC (Toute taxe comprise) de toute marchandise importée. Cela représentait un acompte de l’impôt que le contribuable paie en attendant de réaliser le bénéfice à l’intérieur. Le taux de prélèvement est déductible des futures cotisations.

Une fois à l’intérieur, les acteurs du secteur informel ne paient plus d’autres taxes après les 2% du cordon douanier. En dehors de l’impôt synthétique (contribution du secteur informel), ceux-ci réalisent un bénéfice total à l’intérieur. Alors qu’une fois les 2% versés, les entreprises du réel normal doivent, en plus, payer une panoplie d’impôts (BIC, TPA, IUTS, patente...) sur les bénéfices et le chiffres d’affaires réalisés à l’intérieur. D’où le constat malheureux de voir de grosses entreprises se réfugier derrière le secteur informel pour effectuer des importations et réaliser de gros bénéfices.

Il s’agit alors d’une concurrence déloyale du secteur informel au détriment du secteur formel. D’où l’article 14 pour rendre justice aux entreprises du réel. Ainsi pour l’année 2006, les acteurs du secteur formel (ceux qui tiennent une comptabilité et sont régulièrement déclarés aux impôts) verront leur taux de prélèvement au cordon douanier réduit de 50% à l’importation des marchandises. Au lieu des 2% d’avant, ce sera désormais 1% pour ce secteur. Tandis que pour le secteur informel, le taux de prélèvement est porté à 5%. Le secteur informel ne tient pas de comptabilité et ne paie pas d’autres taxes à l’intérieur en dehors d’un impôt synthétique. Cette disposition discriminatoire va conduire de nombreuses entreprises qui se réclamaient du secteur informel à se déclarer.

Elles finiront par comprendre qu’il est plus avantageux pour elles de payer 1% au cordon douaniers, d’imputer ensuite ce prélèvement-là sur les taxes à l’intérieur plutôt que de se soumettre à un taux de 5% sur la valeur TTC non imputable. Tout opérateur réfléchira par deux fois avant de s’engager sur cette voie. Pour ce qui est de la fraude et l’évasion fiscale, ce sont les articles 14 et 17 qui apportent la réponse à ces griefs. Ces deux textes ont l’ambition d’amener les acteurs du secteur informel à se déclarer au réel normal grâce à un taux de prélèvement dissuasif.

Ces dispositions vont entraîner l’assainissement du milieu des affaires et la clarification des taxes dues à l’administration des impôts. Selon les administrations œuvrant dans la collecte de cette taxe (prélèvement au cordon douanier), ces mesures apporteront en surplus la moitié de ce qui a été perçu l’année dernière. Le prélèvement au cordon douanier se chiffrait entre 8 à 9 milliards de F CFA. L’application de la loi de finances 2006 permettra d’engranger 15 à 16 milliards de F CFA au cordon douanier.

S. : Comment l’élargissement fiscal, une autre doléance du secteur formel, va-t-il s’opérer ?

P. K. : Les opérateurs économiques du réel normal (secteur formel) ont toujours soutenu que ce sont les mêmes qui paient l’impôt. Ils estiment qu’ils ne pourront pas tenir un jour face à cette forte pression fiscale qui pèse sur eux seuls. Ils ont alors souhaité l’élargissement de l’impôt à tout le monde. Ce qui est tout a fait normal. Quand il s’agit de porter un poids, plus on est nombreux moins on ressent la charge. Donc l’élargissement de l’assiette fiscale a l’ambition d’assouplir la pression fiscale sur les différents acteurs économiques. Il se manifestera d’abord par les retenues à la source sur les prestations.

La loi disposait que s’il y a une prestation de services d’un montant TTC équivalant 500 000 F CFA, le bénéficiaire retient 5% avant de payer le fournisseur. Cette retenue de 5% doit être versée aux impôts. Elle représente un acompte de l’impôt sur le prestataire. Lorsque celui-ci va déclarer son résultat, il fait valoir ces 5% là en attirant l’attention sur cette retenue. Le montant est alors déductible de sa cotisation. S’il y a un reste, il s’acquitte de cela. Malheureusement, des contribuables ont trouvé l’astuce de contourner cette retenue en fractionnant leurs prestations pour ne pas que celles-ci atteignent 500 000 F CFA.

Maintenant la loi de finances 2006 dispose que pour toute prestation TTC d’un montant supérieur ou égal à 50 000 F CFA, la retenue est obligatoire. Donc, les prestations comprises entre 50 000 et 500 000 ne sont plus exonérées. cette mesure élargit du coup le champ d’application de la retenue. De même la retenue s’adressait à des entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 50 millions de F CFA pour les achats revente et 25 millions pour les prestations de services. Les nouvelles dispositions veulent que ce soit tous les contribuables qui tiennent une comptabilité (c’est-à-dire depuis le réel simplifié d’imposition).

Donc ceux qui réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 30 millions pour les achats revente et 15 millions pour les prestations de services. Ils doivent effectuer la retenue à la sources sur les prestations de service. Du coup l’élargissement fiscal pour la retenue intervient sur deux directions. A travers ceux qui doivent la prélever d’une part et le montant sur lequel elle doit s’effectuer d’autre part. Il y a un double élargissement à ce niveau.

Pour ce qui est de l’impôt sur les revenus fonciers (IRF), il y a l’impôt sur les revenus des immeubles en location.
Jusqu’à présent, pour les locataires qui relèvent du réel normal (chiffre d’affaires supérieur ou égal à 50 millions de F CFA pour les achats revente et 25 millions pour les prestations de services), la loi prévoit que lorsque ceux-ci prennent des immeubles en location à usage professionnel, si le loyer est supérieur à 75 000 F CFA, ils ont l’obligation d’opérer une retenue d’une partie de l’impôt pour la reverser. Le bailleur se chargerait de payer le reliquat après.

Dorénavant, la retenue est obligatoire pour tout loyer (même si la location est à 1 000 F CFA) pourvu qu’il soit utilisé dans un cadre professionnel par un contribuable même du régime simplifié d’imposition. Elle ne s’applique pas seulement pour le régime réel normal. Même les petits contribuables qui tiennent une comptabilité et disposant d’un loyer à usage professionnel doivent effectuer la retenue quel que soit le montant de la maison. La retenue est perçue sur tout l’impôt. Ce n’est pas sur une partie. Ils retiennent la totalité de l’impôt, le paient à l’administration fiscale et remettent le reste aux bailleurs.

L’élargissement se rapporte donc à trois axes d’imposition. Première direction, ce ne sont plus les loyers supérieurs à 75 000 F CFA qui paient l’impôt mais tout loyer. Deuxième direction, la retenue ne s’applique pas seulement aux entreprises du réel normal mais également à celles du réel simplifié. Troisième direction, ce n’est pas une partie de l’impôt qui doit faire l’objet de la retenue mais la totalité. L’’élargissement fiscal va engendrer des conséquences bénéfiques pour le budget de l’Etat.

S. : Faut-il entrevoir dans les nouvelles mesures que même les locataires des celibateriums et mini-villas paieront l’impôt ?

P. K. : Quand on dit que l’impôt s’applique à tout loyer à usage professionnel, il faut comprendre par là qu’une entreprise peut par exemple louer un celibaterium pour le comptable qu’il emploie. En ce moment, ce n’est pas l’agent qui paie le loyer, mais son employeur. D’où l’usage professionnel du logement. Cette location va apparaître dans les états financiers de l’entreprise. Si c’est un employé qui prend son salaire pour louer une maison, ce n’est pas en ce moment un loyer à usage professionnel.

Une maison peut être à usage d’habitation mais sa location s’inscrit dans un cadre professionnel. Une maison de fonction payée par l’entreprise est soumise à la retenue. Il faut alors distinguer les locations à usage professionnel des autres types de location. Si un bailleur dispose de ces deux types de location, ce qui est à usage professionnel rentre dans le champ d’application de la retenue. Le bailleur est dispensé des formalités de paiement puisque c’est ceux qui louent la maison qui vont payer à l’administration fiscale.

Mais pour le reste, c’est le bailleur lui-même qui encaisse son loyer et part payer l’impôt dû. Le recensement fiscal permettra de mettre à jour le régistre des sommiers des baux. Tous les loyers doivent être répertoriés. Grâce à l’informatique, un programme sera établi et l’ordinateur donnera l’état de cotisation de chaque locataire ou chaque bailleur. Ce système donnera aussi le point des baux qui arrivent à échéance. Il permettra d’attirer l’attention des uns et des autres sur les pénalités encourues en leur adressant des lettres les informant des délais d’expiration.

S. : Au regard des tâches annoncées, l’administration fiscale dispose-t-elle suffisamment de moyens humains et logistiques pour la mise en place de cette nouvelle politique ?

P. K. : Avant la prise des nouvelles mesures fiscales, l’administration fiscale a dressé un bilan de ses moyens. Au niveau humain, elle peut couvrir tout le territoire. Mais l’accent sera mis sur les grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso au regard de leurs potentialités fiscales. Cela ne veut pas dire que les autres localités du pays seront ignorées. Sur le plan logistique, tout est fin prêt. Les mini-cars commandés spécialement pour le recensement sont là. Environ 250 agents recenseurs, des opérateurs de saisie et 20 chauffeurs, mécaniciens ont été recrutés dans le cadre de l’opération de recensement fiscal. Les formations vont commencer dans la deuxième semaine du mois de janvier.

S. : Vos actions se sont pour la plupart focalisées sur Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Est-ce à dire que les impôts dans les autres villes du pays ne vous interessent pas ?

P.K. : Non. Ce n’est pas de cette façon qu’il faut comprendre. La réalité est que plus de la moitié des effectifs de la direction générale des impôts se trouve à Ouagadougou. Cela ne signifie pas que les autres localités sont délaissées. Il est même peut-être mieux pour les contribuables d’être à Ouagadougou que dans toute autre localité. Dans les petits centres, ils peuvent être « visités » tous les jours par les agents de la DGI étant donné que le nombre de ceux qui y paient l’impôt n’est pas élevé. Dans les grandes villes par contre, On peut être noyé dans la masse et passé inaperçu. Pour cette raison, l’accent sera mis pour le recensement à Ouagadougu et Bobo Dioulasso.

Ailleurs, la situation est presque déjà connue. Là-bas, personne ne peut se cacher. Il est donc difficile de se dérober. Dans une ville comme Léo par exemple, les contribuables du réel ne valent pas une vingtaine. Un seul contrôleur on inspecteur des impôts peut donc s’en occuper avec beaucoup d’efficacité. A Ouagadougou par contre, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui intéressent nos services.

S. : Doit-on fiscaliser le monde paysan ?

P.K. : En réalité, tout le monde paie l’impôt. Il y a des impôts directs et des impôts indirects. Lorsque l’on achète une marchandise frappée par la TVA, on paie l’impôt. Ainsi, un paysan qui s’achète une bicyclette ou motocyclette paie l’impôt. S’agissant du paiement de l’impôt direct par le monde paysan, une réflexion est en train d’être menée. C’est un sujet sensible qu’il faut aborder avec prudence et intelligence. Le pays sort d’une crise alimentaire consécutive à une mauvaise pluviométrie. Si les paysans payaient l’impôt direct qu’allait-il se passer ? Quoi qu’on dise, le Burkina Faso a toujours une agriculture et un élevage de subsistance. Ce n’est pas encore le cas de figure où une petite poignée d’agriculteurs nourrit toute la population.

Il faut donc une bonne approche de la fiscalisation du monde paysan. Il y a des gens qui soutiennent l’idée de la fiscalisation des paysans sous le prétexte que des producteurs de coton font des recettes de plusieurs millions de F CFA par an. Mais ceux-ci semblent ignorer qu’un paysan seul ne peut pas cultiver pour un million de F CFA de coton par an. Ce sont des familles entières de 20-30 personnes qui cultivent les champs de coton. Et selon la structure de l’économie dans le monde paysan, toutes ces personnes travaillent pour le compte du chef de famille qui, souvent, ne va même pas au champ. Mais c’est lui qui encaisse les recettes.

Ses grands enfants n’ont rien en fin de compte. Ils sont obligés de s’exiler. Si on devait répartir les recettes par tête, beaucoup n’auront même pas 200 000 F CFA par an. S’il y a dans une campagne agricole quelqu’un qui, avec sa femme et son enfant, arrive à réaliser un bénéfice net d’un million, c’est un exploit. Il faut susciter une industrialisation dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage. Ces industries de transformation seront alors fiscalisées. Les réflexions se poursuivent mais, j’insiste sur le fait qu’il est difficile à l’heure actuelle, d’imposer un secteur aussi divers et instable que celui de l’agriculture ou de l’élevage.

S. : Les nouvelles mesures fiscales ne seront-elles pas perçues comme une traque du contribuable ? N’y a-t-il pas un risque d’assiter à une inflation à tous les niveaux (transports, loyers, etc) ?

P.K. : Quand on parle de traque, cela donne l’impression que l’on a un bandit ou un hors-la-loi en face de soi. L’administration fiscale estime seulement que beaucoup de contribuables n’ont pas encore compris la nécessité de payer l’impôt ou ignorent l’existence de certaines mesures fiscales. Il s’agit alors de les informer et de les sensibiliser dans un premier temps. D’ailleurs la création des centres de gestion agréés répond à un souci d’offrir aux entreprises des structures d’accompagnement pour leur permettre de s’insérer dans la compétitivité ou les assister dans les domaines comptable et fiscal. L’administration fiscale n’est pas là pour sanctionner mais pour corriger. Toutefois, cette phase a des limites, car il y a des individus sur lesquels l’information et la sensibilisation n’ont aucun effet.

Malgré les opportunités à eux offertes, ils préfèrent opérer dans l’illégalité. La sanction intervient là où l’information et la sensibilisation ont échoué. Les nouvelles mesures fiscales ne constituent en aucun cas une traque. C’est une vaste campagne d’information et de sensibilisation. Elle va se mener pendant des années. Avec la décentralisation, les conseillers seront obligés de prêter main forte à l’administration fiscale car c’est avec les ressources collectées qu’ils travailleront. Les élus locaux constitueront une sorte de relais dans cette campagne fiscale.

Il n’y a pas de corrélation entre les mesures prévues par la loi des finances 2006 et une inflation. Les nouvelles mesures vont concerner plutôt ceux-là qui ne payaient pas l’impôt tels que les droits de bail, les cotisations du secteur informel...Par contre, ceux qui payaient normalement l’impôt ne sauront même pas qu’il ya eu des mesures spéciales. Les prix ne connaîtront pas une hausse. Il appartient toutefois aux consommateurs d’être vigilants et de s’approvisionner auprès de ceux qui proposent des marchandises ou des articles divers à meilleurs prix et à la contenance normale.

S. : que faut-il comprendre par « redressement fiscal », un terme que beaucoup d’entreprises redoutent ?

P.K. : Le terme redressement fiscal découle decontrôle. Il s’agit de deux types de contrôles : un contrôle sur pièces et un contrôle sur place. Le contrôle sur pièces se fait à partir des pièces de déclaration fournies par les contribuables. Le contrôle sur place, c’est quand on se déplace au sein de l’entreprise pour procéder à des vérifications sur la base de sa comptabilité et conformément aux dispositions fiscales. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas de redressement si tout a été fait conformément aux dispositions fiscales.

Mais s’il arrivait qu’on décèle au cours des contrôles des incohérences ou des inexactitudes, si des dispositions n’ont pas été respectées au détriment de l’administration, on procède à un redressement. On ramène la base à son niveau normal. Par exemple une entreprise x ne déclare pas que son directeur commercial a un véhicule et un logement de fonction. Or, la loi dit que ces avantages en nature font partie de la base imposable à l’impôt sur les traitements et les salaires. Il y a donc maldonne, une tentative de dissimulation d’informations aux impôts. Lorsqu’une situation pareille est découverte, le redressement consiste à réévaluer la base imposable conformément aux textes.

S. : Comment se fait-il que dans le cadre du redressement, des entreprises se retrouvent à payer 2 milliards, 3 milliards de F CFA ou plus ?

P.K. : La situation décrite est une conséquence de l’inobservation des règles fiscales. Dans certains grands magasins, la pratique est que lorsque le client desire un article, on lui demande s’il veut un reçu. Avec la facture, il paie la TVA. Mais sans reçu, on lui cède l’article à un prix moins élevé. Ceux qui s’adonnent à cette pratique répréhensible oublient une chose : à partir des statistiques douanières revèlent qui a importé quoi, à quelles quantités et valeurs...Il est donc possible à travers un contrôle, de savoir ce qui a été vendu. Ce contrôle permet aussi de déceler les ventes qui ont été opérées sans facture. Au départ, le fisc considère que tout a été vendu avec la TVA. Mais si après vérification, le contribuable est redevable aux impôts même à un milliard de F CFA, il doit s’exécuter. En pareil circonstance de manœuvre frauduleuse, la sanction est sévère. On peut même lui faire payer 200% de ce qu’il aurait dû payer.

S. : Les établissements d’enseignement. seront désormais soumis à l’impôt sur les bénéfices industriels commerciaux (BIC). Ce changement n’entraînera-t-il pas une augmentation de la scolarité et une contradiction avec la volonté de garantir une école pour tous ?

P.K. : Cette mesure ne change rien à la situation des établissements d’enseignement privé. Au contraire, ce sont les fondateurs de ces établissements qui ont souhaité la clarification. L’impôt sur le bénéfice des professions non commercial (BPNC) est dû par quelqu’un qui exerce une activité non commerciale. Le travail de l’avocat, du médecin n’est pas considéré comme une activité commerciale. Par contre, un établissement d’enseignement privé mène une activité commerciale. La preuve est que des commerçants qui n’ont même pas été à l’école ont des établissements d’enseignement privé. La nouvlle mesure n’est pas une particularité du Burkina Faso. Dans les pays de la sous-région, les établissements privés sont considérés comme des entités menant une activité commerciale. Mais dans la pratique, cela ne change rien au fonctionnement de ces entreprises.

S. : Vos agents ont souvent été taxés d’être de conivence avec les fraudeurs dans le domaine de la fiscalité. Avez-vous pris des mesures pour décourager ces brebis galeuses ?

P. K : Il existe des brebis galeuses, partout et à tous les niveaux. C’est un phénomène général. Dans une famille il y a toujours des gens qui ont des comportements déviants. Face à cela, il faut œuvrer à ce que le mauvais comportement de la minorité ne soit pas la règle. Un travail est abattu pour que les gens ne gardent pas des impôts, l’image d’une institution corrompue. Les mauvais agissements de certains de nos agents dépendent aussi de l’ignorance de certains contribuables.

En effet, des contribuables pensent que soudoyer les agents les met à l’abri du paiement normal de l’impôt. Mais dans le domaine de l’écrit tout finit par se savoir. Si l’agent complice du contribuable venait à changer de poste, alors le pot-aux-roses est découvert et bonjour le redressement fiscal. Le fautif risque même la faillite. Et cela est dommage surtout quand il se rend compte que toutes ses « largesses » à l’endroit de l’agent des impôts pouvaient suffire à payer normalement ses taxes. Certains commerçants imbus de leur personnalité pensent que c’est un honneur de chanter partout qu’ils tiennnent des agents d’impôts à leur merci. Les contribuables ont le droit, face aux mauvais comportements de certains agents, de saisir leur hiérarchie. Il faut avoir le courage de dénoncer les agents indélicats.

Même si le directeur général des Impôts venait à mal se comporter vis-à-vis d’un contribuable, il peut être dénoncé auprès de son secrétaire général ou de son ministre de tutelle. Pour ceux qui craignent quoi que ce soit, les dénonciations peuvent se faire de façon anonyme. Il suffit de fournir l’information. A L’administration de savoir comment piéger l’agent indélicat. Si après dénonciations on licenciait deux ou trois auteurs, les contribuables verront que les mauvais comportements prendront fin. Le fisc est en train d’envisager la mise en place d’un numéro vert (appels gratuits) pour que tout contribuable victime de pression de la part de nos agents puisse nous saisir à tout moment.

S. : Quel message lancez-vous aux contribuables dans le cadre de l’application des nouvelles mesures ?

P. K : Le recensement se fera de porte-à-porte. Cela peut causer des désagréments. Nous demandons d’ores et déjà, la compréhension des uns et des autres. Que tout un chacun fournisse dans le calme, les pièces ou autres documents que les agents recenseurs vont réclamer. Nous sommes bien obligés de passer là pour faire le point du potentiel fiscal du Burkina. Notre pays n’a pas d’autres richesses que ses hommes. Le Burkina Faso ne peut survivre sans impôts. Toutes les réalisations en matière de santé, d’éducation, formation, de routes, ..... sont faites grâce aux impôts. Même si des partenaires nous appuient, ceux-ci exigent de nous une contribution.

Le deuxième hôpital qui sera construit à Ouagadougou se fera avec les impôts ; le grand barrage de Samandeni se construira en partie avec les impôts, .... Les prêts que le pays contracte à l’étranger sont remboursés grâce aux impôts. Il faut que les gens comprennent que payer l’impôt est un acte citoyen, une contribution à l’effort de construction du pays. Il n’est pas normal que dans une société, certains profitent allègrement des cotisations des autres sans rien apporter en retour. Même quand vous vous retrouvez pour prendre un pot, il faut que chacun participe selon ses capacités contributives. Vous n’avez peut-être pas le même revenu que moi, et moi je n’ai pas le même revenu que le ministre... Mais si on se retrouvait vous et moi pour prendre un pot, je crois que la bienséance ne voudrait pas que vous vous dites qu’en tant que DG des Impôts je dois régler la note. Non ! Même si c’est 100 F CFA que vous avez, vous le déposez dans le panier comme contribution. Chacun doit apporter sa pierre à l’édification de la société.

L’impôt, c’est la solidarité. Il ne faut pas se prendre pour plus malin que les autres en voulant profiter gratuitement de leurs efforts. Nous devons nous épauler pour lutter efficacement contre la fraude et mobiliser le maximum de recettes pour l’Etat. Depuis l’entrée en vigueur du Tarif extérieur commun dans l’espace UEMOA, les recettes de la fiscalité intérieure sont appelées à se substituer progressivement aux recettes de porte. Bientôt, il y aura également un accord avec l’Union européenne pour un désarmement tarifaire. Les recettes de porte vont encore chuter. Une fois de plus, j’insiste sur le fait que ce sont les recettes de fiscalité intérieure qui permettront de combler le manque à gagner afin de pouvoir financer le développement.

Interview réalisée par Rabhankhi Abou Bâkr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)
, Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr)
Sidwaya

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