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Afrique : La marche forcée vers l’Indépendance

Publié le vendredi 23 décembre 2005 à 08h23min

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Maurice Yaméogo

Le processus qui a conduit une grande partie de l’Afrique à « s’émanciper »de la tutelle coloniale ne fut pas facile. Des hommes périrent sous la férule, d’autres restèrent handicapés le restant de leur vie. Mais sans cesse, les peuples, leurs organisations développèrent des luttes de résistance appropriées qui, conjuguées à d’autres facteurs, obligèrent le colonisateur à octroyer à nos pays la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale.

A l’époque, les masses populaires africaines, voltaïques en particulier, ont enclenché et développé de puissantes luttes contre l’occupant français. Luttes qui devaient conduire à la création du RDA (Rassemblement démocratique africain) en 1946 à Bamako et qui fut jusqu’en 1950 date du fameux repli tactique, « l’agent inlassable de regroupement de toutes les masses africaines contre le colonialisme et l’impérialisme ».
En effet, en Afrique, les masses populaires bon gré mal gré après avoir contribué à la défaite du fascisme et à la libération de la France étaient résolues à ne plus rester liées par les chaînes qu’elles venaient de briser ailleurs.

Situation politique de la Haute- Volta de 1945 à 1958

L’histoire retient qu’à cette période, la colonie de la Haute- Volta n’a pas eu de gouvernement autonome mais la vie politique y connaîtra un essor qualitatif à la faveur de certains facteurs intérieurs et extérieurs.
En effet, la conférence de Brazza- ville de 1944 avait préconisé la représentation des colonies à l’Assemblée nationale française.
Ainsi, après la libération de la France, le général De Gaulle proposa l’élection d’une constituante à laquelle les territoires d’Outre- mer enverraient des représentants.

Les premières élections qui se sont déroulées en octobre et novembre 1945 ont été le point de départ de la lutte pour le rétablissement de la colonie de Haute- Volta et de la prolifération des forces politiques.
Nous sommes dans la période 1947, fin de la 2e guerre mondiale ; c’est une période qui connaîtra le sursaut et l’éveil de la conscience politique des masses africaines qui aspirent à plus de liberté.

C’est cette aspiration légitime qui fut traduite quelques années plus tard par Sékou Touré dans son discours d’accueil au général De Gaulle, le 25 août 1958 à Conakry :
« Nous préférons la pauvreté dans la liberté à l’opulence dans l’esclavage » dira-t-il.
Cette formule de l’ancien président de la République de Guinée résume bien la montée des forces nationalistes africaines. Aussi en dépit d’un certain nombre d’obstacles, la Haute- Volta verra le développement et la naissance de différents mouvements politiques que l’on peut regrouper en deux grandes tendances : l’une servira de levier au colonialisme français et l’autre aux positions anti- colonialistes.

La tendance politique colonialiste

C’est elle que le gouvernement Mouragues va s’employer à mettre en place et à renforcer dès son arrivée en avril 1948. Mouragues, dont la mission essentielle est d’extirper le RDA de la zone, va se livrer à des épisodes de répressions et d’attaques féroces et inouïes contre les militants du RDA considérés par le colonisateur comme des vecteurs du communisme. Celui- ci ne se contente pas de réprimer ; il procède rapidement à la mise sur pied d’une force politique à mesure d’ébranler l’hégémonie du RDA.
C’est dans cette optique qu’est née l’Union voltaïque (U. V.) après l’Union pour la Défense et les intérêts de la Haute- Volta (UDIHV).

L’histoire de l’U. V débute en 1945 avec les élections de la Constituante française.
La Haute- Volta reste écartelée entre ses voisins et la partie rattachée à la Côte d’Ivoire est connue sous le nom de Haute Côte d’ivoire.

Elle englobe les régions de Bobo Dioulasso et de Ouagadougou. Lors de ces élections contre Félix Houphouët- Boigny, l’Union pour la défense et les intérêts de la Haute- Volta (UDI - HV), association créée par le Mogho Naba, présenta le Baloum Naba, Tenga Ouedraogo, qui fut battu. Sous la pression de ses conseillers politiques et tirant leçon de l’échec électoral, le Mogho- Naba décida que l’UDI- HV se mue en véritable parti politique sous le nom de l’Union voltaïque (l’UV) en 1946.
Cette métamorphose permit au nouveau parti de s’implanter dans la plus grande partie du pays car il venait de prendre l’allure d’un grand rassemblement du peuple voltaïque dispersé. Il se fixa pour objectif la lutte pour le rétablissement de la colonie de la Haute- volta dans ses frontières (1932).

Militeront en son sein des hommes comme Joseph Conombo, Henri Guissou, Mamadou Ouédraogo, Philippe Zinda Kaboré, Nazi Boni, etc. Soutenue par les chefs des anciens royaumes mossi de l’administration coloniale, l’Union dominera la vie politique du pays qui vit son déclin, son éclatement et, par là même une ascension fulgurante du RDA. l’Union voltaïque, après le départ de M. Mouragues pour le Mali en 1953- pour la même mission de désintoxication politique connaîtra son déclin au lendemain du rétablissement de la colonie de Haute- Volta et donnera naissance à une kyrielle de partis :

Le MPEA (Mouvement Populaire de l’Evolution Africaine) de Nazi Boni ;
Le PSEMA (Parti Social d’Emancipation des Masses Africaines) sous la bannière de Joseph Conombo et Henri Guissou ;
Le PPV (Parti Progressiste Voltaïque) de Gérard Kango Ouedraogo qui fusionnera en juillet 1956 avec le Mouvement dorangiste du capitaine Michel D’orange, militaire français en retraite dans le Yatenga pour donner le MDV(Mouvement Démocratique voltaïque). La tendance politique anti- colonialiste

Elle est soutenue et conduite par la section voltaïque du RDA animée par Ali Barro, Dominique Kaboré, Djibril Tiémounou. Le RDA, dont le congrès constitutif s’est tenu du 18 au 21 octobre 1946 à Bamako est considéré à l’époque comme progressiste. Ces principes fondamentaux stipulent :
« Lutte pour l’émancipation politique, économique et sociale dans le cadre de l’Union française fondée sur l’égalité des droits et des devoirs.
Union de tous les africains, quelles que soient leurs conceptions idéologiques ou religieuses, leurs origines, leurs conditions sociales dans la lutte contre le colonialisme.

Alliance avec les forces démocratiques et progressistes du monde entier, en premier lieu avec celles du peuple français dans la lutte commune contre l’impérialisme ».
Il apparaît qu’en aucun cas, le problème de l’indépendance politique ne figure au centre des préoccupations.
Rapidement, il ressort que l’émancipation dont fait cas le RDA se réduit en la lutte contre le système de l’indigénat, les discriminations raciales, la lutte pour l’égalité des droits et des devoirs entre Français et Africains et, dans le cadre français.

Il s’agit pour le RDA de se battre pour l’abolition du travail forcé et l’obtention de la citoyenneté française etc. pour tous les africains. Sans plus. Cependant, le fait d’être apparenté au Parti communiste français, entraînera sur le RDA et ses militants les foudres du colonialisme. Rappelons le cas des militants tels M. Malo Traoré, qui fut arrêté, torturé, emprisonné et soumis au régime de délinquant... et aussi les multiples procès qui furent intentés à Ouezzin Coulibaly, Ali Barro et bien d’autres.

Cette répression sauvage et barbare aboutira en 1958 au désapparentement du RDA du PCF et à son apparentement à l’UDSR (Union Démocratique Socialiste de la Résistance) de M. François Mittérand. Cette « tactique » ne sera pas acceptée par tous et conduira à des scissions qui donneront deux tendances RDA :l’une fondamentaliste, fidèle aux principes définis au congrès constitutif de Bamako, l’autre conciliatrice, « houphouetiste » disait-on à l’époque. C’est dans cette dernière tendance que s’inscrit la section voltaïque du RDA.

Cette rupture, bien que semant la confusion politique, ne réussira pas à entamer la détermination des forces vives africaines. Ainsi, l’UPC (Union des populations du Kamerun section RDA) continuera à se battre pour l’indépendance et la réunification du Cameroun. De même, les travailleurs comprenant que la lutte parlementaire était à elle seule insuffisante voire incapable de résoudre leurs problèmes, déclenchèrent des actions revendicatives qui permirent finalement d’arracher le code de travail de 1952. Leurs luttes aboutirent également à la création de l’UGTAN (Union Générale des Travailleurs d’Afrique noire ).

Les jeunes de leur côté, pour répondre aux nécessités de la lutte, créèrent le Conseil de la Jeunesse d’Afrique (CJA). Les étudiants d’Afrique occidentale mettent sur pied leur organisation de lutte en 1956 : l’UGEAO (Union Générale des Etudiants d’Afrique Occidentale). Les étudiants d’Afrique noire en France, quant à eux, aussitôt après le « repli tactique » du RDA se regrouperont au sein de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire Francophone).

Situation politique à la veille des indépendances : 1957-1960

Dans la mise en application de la loi cadre (loi octroyant une relative autonomie aux assemblées territoriales et mise en place de conseils de gouvernement locaux), le 31 mars 1957 se tiennent des élections. Le PSEMA, le MPEA, le MDV et RDA y prennent part, certains sous de nouvelles étiquettes. En effet, conscients du fait que le parti qui sortira majoritaire des élections aura en charge de former le premier conseil de gouvernement, des fusions verront le jour. Le mariage du RDA et du PSEMA donnera le PDU (Parti Démocratique Unifié).

Si nous faisions l’économie des différentes tractations et autres calculs politiciens, disons simplement que le PSEMA reprendra sa liberté pour se remarier avec le MPA et le MDV, ce qui donnera le « groupe de solidarité voltaïque ». Ce groupe deviendra le PRA (Parti du Rassemblement Africain). En France, la guerre populaire de libération du peuple algérien ramène au pouvoir le général. De Gaulle qui dissout l’assemblée nationale française et organise un référendum pour la France et ses territoires d’outre-mer.

Pour l’Afrique francophone, ce référendum du 28 septembre 1958, c’est le choix entre l’indépendance et ses implications ou la communauté franco-africaine présidée par Christophe Kalenzaga, le congrès ordinaire du RDA tenu du 2 au 6 septembre 1958, a défini la position du parti et ordonné à toutes les sous- sections RDA de faire campagne pour le « oui » qui est une réponse des aspirations du RDA. C’est au cours de ce même congrès que le PDV-RDA s’est mué en UDV-RDA.

La position officielle du RDA est défendue depuis 1957 par ses deux principaux leaders. C’est ainsi que M. Ouezzin Coulibaly déclarait au troisième congrès inter- territorial du RDA en 1957 à Bamako contre les partisans de l’indépendance en ses termes : « que se passerait-il si un jour nous demandions l’indépendance et si la France acceptait par hasard de rappeler tous les français qui sont ici ? quel patrimoine avez-vous pour supporter l’indépendance que vous demander ? Il faut d’abord construire l’Union française avec les Métropolitains qui sont ici et travailler en collaboration pour faire quelque chose de durable ; il faut apprendre à marcher avant de courir »( Revue juridique et politique d’outre- Mer, avril 1959, p. 169).

Celui-ci prêchera le « oui » au référendum de 1958 et condamnera la section guinéenne du RDA alors partisane du « Non » et préconisant l’indépendance immédiate de son pays. Maurice Yaméogo lui déclarait devant le cercle de Koudougou : « il y a des gens qui osent demander l’indépendance. Nous ne savons même pas fabriquer une boîte d’allumettes et ils veulent qu’on soit indépendant. Ce sont des illuminés. Nous du RDA, nous n’avons que faire de l’indépendance ». Dans la même lancée contre l’indépendance, Maurice Yaméogo s’insurge contre les partisans de l’indépendance et déclare en Octobre 1959 à Ouahigouya : « Seuls les fous et les démagogues peuvent revendiquer l’indépendance ».

La position du RDA

En violation des décisions du congrès de juillet 1958 de Cotonou qui avait préconisé l’indépendance immédiate, le parti a prêché le « OUI ». M Gérard Kango Ouédraogo déclarera que : « Ce sont les anti français qui demandent un vote du Non. Le PRA, en tout cas la section du Yatenga fera campagne pour le Oui ». M. Nazi Boni renchérira : « Vous les jeunes, vous voulez que nous votions Non pour que l’on nous élimine et que vous puissiez nous remplacer ! Eh bien non, je voterai Oui et Oui. D’ailleurs, je l’ai dit à Cotonou ».

Il se dégage de ces différentes déclarations des leaders des grands partis, des positions nettement tranchées pour l’entrée du territoire au sein de la communauté et le rejet pur et simple de l’indépendance politique. Nous sommes le 28 septembre 1958, le vote du OUI l’emporte massivement et la Haute- Volta, tout comme tous les autres territoires d’Outre- Mer à l’exception de la Guinée, choisit de rester au sein de la communauté franco- africaine.

L’événement marquant de cette période est également le décès de Ouezzin Coulibaly à Paris le 7 septembre 1958 peu avant le référendum. La constitution de 1958 créa la communauté : le contenu de l’autonomie interne était considérablement accru, tandis que les affaires communes à la France et aux nouvelles républiques africaines étaient désormais du ressort d’un conseil exécutif (réunissant les chefs de gouvernement africains et présidé par le chef de l’Etat français), et d’un Sénat de la communauté ; les attributions de ces organes communautaires restaient vagues, mais la nouvelle constitution donnait à chaque territoire africain le droit de sécession : c’est la voie que choisit la Guinée au référendum de septembre 1958. Sékou Touré reproche au législateur français de vouloir « balkaniser » l’Afrique et il affirme que c’est là une des raisons essentielles du « non » de la Guinée. (Cf. L’Afrique des Africains p.128).

Le 11 décembre 1958, la Haute- Volta opte pour le statut de la république autonome, membre de la communauté franco- africaine. Nous sommes le 12 décembre 1958, l’assemblée territoriale voltaïque devient législative avec des membres désignés sous le nom de députés et non plus conseillers territoriaux. La nouvelle assemblée législative opte immédiatement pour la fédération des Etats d’Afrique noire mais dans le cadre de la communauté.
L’unanimité se dégage au niveau de tous les partis voltaïques de l’époque ; ils sont fédéralistes. C’est ainsi qu’ils participent à la conférence fédéraliste de Bamako du 28 au 29 décembre 1958 dont le but est de mettre en place un état fédéral regroupant le Sénégal, le Soudan (actuel Mali, le Dahomey (actuel Bénin) et la Haute- Volta (actuel Burkina Faso). Cet état fédéral, s’il voit le jour, s’appellera la Fédération du Mali conformément à la décision de la conférence.

De retour de celle-ci, Maurice Yaméogo fait ratifier la constitution de la Fédération du Mali le 14 janvier 1959. Cet empressement de Maurice Yaméogo ne fut qu’éphémère car celui-ci se ravise moins d’un mois après, le 28 février 1959 et devient anti- fédéraliste le 15 mars 1959 par référendum. Ainsi on assiste à la naissance d’une organisation dénommée « Conseil de l’Entente » le 29 mai 1959 qui comprend alors le Dahomey, la Côte d’ivoire, la Haute- Volta et le Niger. Le dessein visé à travers la création de cette organisation est de saper l’idée de la fédération du Mali que les dirigeants de ces pays ont tous partagés et défendus au départ.

Entre temps, Gérard Kango Ouédraogo, Darasalami Diallo et François Lompo rejoignent le RDA. Ils seront suivis par le PSEMA de Joseph Conombo. L’exemple de la Guinée indépendante , membre de l’ONU qui exprime sa souveraineté en concluant les accords avec les USA et l’URSS attise des envies chez ses voisins.
Le Sénégal par la voix de Senghor revendique une modification des règles et la mise en place d’une confédération d’Etats indépendants. Modibo Keïta du Mali demande l’indépendance dans le cadre d’une association confédérale avec la France. Les peuples africains réclament cette indépendance qui est pour eux le symbole de l’affranchissement.

Le général De Gaulle embourbé dans une « sale » guerre en Algérie qu’il ne souhaite pas contagieuse déclare « Par le fait des progrès accomplis dans nos territoires de la formation que nous donnons à leurs élites, du mouvement d’affranchissement qui apporte les peuples de toute la terre, nous avons reconnu à ceux qui dépendent de nous, le droit de disposer d’eux-mêmes ».
C’est la voie ouverte aux indépendances. Les leaders du conseil de l’Entente n’ont plus d’autre choix que de concrétiser l’aspiration de leur peuple.

Ainsi on enregistre :
1er août 1960, indépendance de Dahomey (Benin) ;
3 août 1960 indépendance du Niger ;
5 août 1960, indépendance de la Haute- Volta ;
7 août 1960, indépendance Côte d’Ivoire.
La Haute- Volta accède donc à l’indépendance politique. Les petits écoliers devant l’étendard tricolore entonneront « Fière Haute- Volta de nos aïeux ». C’est alors la fin ( ?) de la période la plus sombre de l’histoire grâce à l’action des peuples et des forces progressistes qui se sont résolument lancés à l’assaut des forteresses coloniales.

Le poète Lautin Joachim dira :
je salue l’Afrique où l’envole rendue libre.
C’est l’expiration de ta peine ô ma Mère et j’exulte.
Ils ont érigé leurs fortunes et leurs empires sur ton innocence et ta timidité...
O Seigneur choisis pour ce peuple de bons bergers et non pas de frénétiques ambitions qui ne travailleront que pour leur promotion au rang d’idole.
Je salue l’Afrique libre.

Malheureusement le peuple apprendra à reconnaître l’arbre à son fruit et trouvera ce dernier bien amer.

Par Al Hassan Wedraogo
Bendré

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