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Rencontres d’une enfant indigente souffrant de maladie chronique

Publié le vendredi 24 juin 2022 à 15h00min

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Rencontres d’une enfant indigente souffrant de maladie chronique

Ouagadougou

Marie-Thérèse Arcens Somé
Sociologue urbaine, PhD
Institut des Sciences des Sociétés/CNRST

Résumé

La petite Safiatou, 13 ans est traitée par un Docteur pédiatre en ambulatoire au Centre Hospitalier Universitaire Pédiatrique de Ouagadougou, Charles de Gaulle (CHUP-CDG). Elle souffre d’insuffisance rénale depuis sa petite enfance. Pour lui offrir des soins en milieu hospitalier, sa mère s’est rapprochée de la ville de Ouagadougou avec sa fille. Elles vivent dans un village à quelques encablures de la capitale où la maman a réussi à construire une chambre pour se loger avec sa fille. Pour subvenir à leurs besoins, elle est devenue femme de ménage dans une famille résidant à Ouaga 2000.

Contexte et justification

Dans le cadre d’une étude sur la prise en charge des personnes indigentes en milieu hospitalier, plusieurs enquêtes ont été réalisé au Centre Hospitalier Universitaire Pédiatrique Charles de Gaulle situé à Ouagadougou. Les enquêtes étaient réalisées par une équipe composée de socio-anthropologues et de médecins, pédiatres notamment. Une jeune adolescente et sa mère nous ont laissé les approcher et partager durant quelques mois leur intimité. Cette étude s’inscrit dans un récit de vie dans la maladie et le combat qu’elles ont eu à mener toutes les deux espérant une vie meilleure.

Le récit d’un parcours de combattant pour la survie

Première rencontre : les présentations entre une sociologue et une jeune fille malade
J’ai rencontré Les deux femmes pour la première fois au CHUP-CDG dans le service de consultation externe, après 15h, au moment où la salle d’attente se vide de ses patients. Mariam, La mère de Safiatou est petite et chétive mais a toujours un sourire aux lèvres.

Elle semblait intimidée, mais heureuse de l’intérêt que je leur portais. L’épuisement se dessinait sur son visage, à travers des traits fatigués et presque rigides. Je me suis d’abord entretenue avec sa fille, mais les 20 à 30 premières minutes consistaient plutôt en une recherche de contact. Je lui ai posé des questions sur ses sources de plaisir, pour l’amener à s’ouvrir à la discussion. Safiatou est une fille souriante, gentille, sociable. Elle a quelques difficultés d’expression en français, malgré qu’elle soit en classe de CM2.

Elle repasse le certificat d’Etude primaire (CEP) pour la troisième fois, à cause de sa maladie. Plusieurs maladies chroniques se distinguent par la visibilité de certains symptômes et la dégradation du corps (Hejoaka, 2012). Elles ont des répercussions sur la capacité de l’enfant à participer activement à des activités quotidiennes familiales.

Cette année encore (2018), elle n’a pas pu se présenter car la maladie s’est déclenchée au mois de mai. Visiblement, Safiatou souffre d’une insuffisance pondérale qui se manifeste également par des yeux « globuleux ». Elle est très petite pour son âge. Dès le début, elle cherchait à dessiner du mieux que possible et a plusieurs fois effacé ses esquisses parce qu’elle n’était pas satisfaite. Elle a dit à plusieurs reprises qu’elle ne savait pas dessiner, marquant ainsi son manque de confiance en elle. L’attention que je lui portais semblait la réconforter.
Le grand moment de solitude et de tristesse qui s’est manifesté pendant notre entrevue est l’instant où j’ai évoqué son papa.

Elle s’est subitement désintéressée de la discussion. Par contre, quand elle m’expliquait comment elle prenait ses médicaments quotidiennement, elle se montrait attentive. Mariam comprend le français mais ne peut pas s’exprimer dans cette langue. Donc elle comprenait les questions que je posais à Olga et réagissait de temps en temps. Safiatou s’est de nouveau concentrée sur son dessin et j’en ai profité pour me tourner vers sa mère.

Mariam est originaire de Manga, une commune située à un peu plus de 200 km, au Sud de Ouagadougou. Elle a été donnée en mariage à l’âge de 20 ans, mais son mariage n’a pas été heureux et elle a quitté son mari avec le consentement de sa famille, car ce dernier avait pris une seconde épouse et la maltraitait. Elle en parle : « Quand je me suis mariée, j’ai connu beaucoup de souffrances. Tous les enfants en sont témoin. Et cela a failli me couter la vie.

Mais en réalité, je ne voulais pas partir laisser mes enfants, mes trois (3) enfants. Mais dans cette persistance, moi-même je suis devenue très vulnérable au point que je ne pouvais même plus marcher pour franchir le goudron. Je ressemblais à un malade. Donc, mes parents ont réalisé que je vivais dans la misère et la douleur. Et eux m’ont dit que si ma vie de couple va entrainer ma mort, c’est mieux pour moi de quitter ».

Son premier fils est parti à l’aventure vers le Ghana et le second fils, moins âgé qu’Olga, est resté avec son père. Elle éprouve néanmoins le désir de réunir sa famille, raison pour laquelle elle a quitté la maison de son père dans le quartier de Karpala à Ouagadougou pour construire une chambre unique en parpaing dans une zone non lotie dans le village périphérique de Ouagadougou, Dji Konfé. C’est une zone difficile d’accès, surtout en saison pluvieuse. Pour atteindre le CHUP-CDG, Fatimata fait 7 km à vélo dont 4 km sur route bitumée.

Seconde rencontre : découverte du lieu de résidence

Nous étions le 23 juillet 2018 et je manifestais de l’inquiétude, de crainte qu’elle ne se présente pas au rendez-vous, comme cela m’est arrivé avec le père d’une petite fille de 7 ans vivant avec le VIH sida. A son arrivée, elle m’a expliquée qu’elle était en prière dans son église. J’ai fait mettre son vélo dans un parking et je l’ai prise dans ma voiture. Je l’ai placée à l’avant à côté du chauffeur et je me suis installée derrière elle. Je l’ai aidée à s’installer dans la voiture car elle ne savait pas comment ouvrir la portière.

Elle a souri durant tout le trajet qui nous menait dans sa maison. Nous avons traversé un quartier (village) non loti, comprenant des maisons en banco construites sans tenir compte d’un tracé routier très étroit et escarpé. Il est plus facile de faire la route à vélo, à moto ou avec une petite voiture tout terrain, comme c’était notre cas. Nous circulions à 30 km/heure, parfois à 20km/heure, à cause pistes qui serpentaient entre les maisons en banco. Très peu de voitures circulaient dans le quartier et nous étions très remarqués.

Arrivés devant sa maison, elle nous a fait entrer dans la pièce avec beaucoup de gêne. Je lui ai fait remarquer qu’elle devait être heureuse d’avoir une maison car d’autres n’en avaient pas. Nous nous sommes installés sur un banc à la devanture de la pièce car il faisait sombre à l’intérieur. Une de ses nièces était présente et Safiatou est arrivée avec une de ses copines. Pour subvenir aux besoins de sa fille, Mariam est passée d’agricultrice à lingère.

Elle a ainsi pu mettre de l’argent de côté, au moment où la santé de sa fille s’est stabilisée grâce aux soins médicaux offerts gratuitement par le service de pédiatrie de l’hôpital Charles de Gaulle. Elle a dû de nouveau arrêter de travailler pour s’occuper de sa fille à partir mai 2018, quand la maladie s’est de nouveau déclenchée. Mariam a pris le temps de m’expliquer toutes ses tribulations et ses nombreux passages en milieu hospitalier, suivies par une jeune médecin pédiatre que j’ai trouvé très dévoué.

Troisième rencontre à domicile : récit du parcours d’une combattante
Lorsque je l’ai revue en début août pour la troisième fois, elle venait de reprendre le travail au domicile de son ancienne patronne à Ouaga 2000. La santé de Safiatou s’était de nouveau stabilisée.

Mariam est a adopté la religion protestante au moment où la maladie de sa fille a débuté, il y a de cela 9 ans. Elle dit ceci : « C’est pendant la maladie de l’enfant que je me suis convertie et je suis devenue chrétienne et j’ai accepté Jésus Christ comme sauveur. Quand j’ai commencé à vivre dans la foi chrétienne comme ce qui est recommandé, je n’avais plus de souci. Mais ce qui m’a fait quitter mon mari c’est que si ma coépouse me calomnie, mon mari me frappait. Ils ne mangent pas ce que je prépare, ils me maltraitent dans la cour ».

Mariam me parle de toute l’aide qu’elle a reçu du personnel soignant, notamment en ressources financières pour payer les soins et analyses médicales au début de la maladie de Safiatou. Elle a commencé les soins à l’hôpital Yalgado et a ensuite été référée au CHUP-CDG. Elle raconte : « Quand je suis arrivée à la caisse et remis le papier, on m’a dit que je dois payer 315 000 cfa alors que je n’avais que 20 000 cfa. Sur place, j’ai fait sortir ma pièce d’identité et mon portable que j’ai présenté au caissier en lui disant que je ne possédais pas la somme demandée si ce ne sont que ces documents que j’ai en ma possession, s’il pouvait les prendre et soigner mon enfant.

Ils m’ont répondu que ce n’est pas possible mais comme je n’ai pas d’argent, ils vont appeler l’hôpital pour voir s’il y a du gaz (oxygène). Quelques instants après, ils sont revenus m’informer qu’ils ont appelé docteur Zala et il a dit de revenir à l’hôpital Yalgado parce qu’ils vont avoir le gaz. Et ça été ainsi. La femme qui m’a donné 25 000 cfa, a son petit frère qui travaille dans un hôpital, donc, quand il nous manque un médicament, sur le champ, il nous trouve le produit. C’est elle et son frère qui se sont occupés de mon enfant car je n’avais rien.

Un autre jour, on m’a remis une ordonnance de 22 525 cfa alors que je n’avais que 2 500 cfa que nos voisins sont venus nous donner. En pharmacie j’ai demandé qu’on me donne la moitié du médicament pour que je puisse soigner mon enfant en attendant de compléter le reste mais ils m’ont répondu que le produit ne peut pas être divisé en deux. Je suis retournée voir le médecin qui a prescrit l’ordonnance, pour lui expliquer que je n’ai pas pu payer les médicaments et il m’a répondu qu’il ne peut rien faire pour moi…

Pendant la garde, un autre médecin est venu voir l’enfant et a demandé à voir l’ordonnance. Je lui ai répondu que je l’avais gardé parce que je n’avais pas d’argent pour payer. Il est reparti dans son bureau et est revenu me donner 25 000 cfa. Je suis allée payer l’ordonnance et au retour il m’a dit de garder la monnaie. Je peux vous avouer que depuis les urgences, ce sont les agents de santé qui m’ont soutenu financièrement jusqu’à ce qu’on nous soyons transférées dans une autre chambre.

Quand on nous a changés de chambre, la femme qui m’a donné une fois 25 000 cfa est revenue me donner 10 000 cfa. Ça a coïncidé à un moment où on m’a remis beaucoup d’examens et je ne savais pas quoi faire. Donc, ils ont décidé de remette mes examens à un prêtre qui a pris en charge la moitié de mes examens. Quand les ordonnances viennent, je n’arrive pas à les honorer. Mais quand je reçois la visite d’un fidèle de mon église, il arrive qu’il me donne l’argent pour payer mes ordonnances ».

L’un des points importants pour une bonne prévention est de favoriser l’accès à l’offre des services de santé et des services spécialisés de santé. La méconnaissance par les familles vulnérables des conditions d’admission des enfants malades, surtout ceux atteint de maladie chronique, engendre des difficultés de prise en charge de la santé des enfants (Sidler, 2011).

Mariam a rencontré un pasteur dans le milieu hospitalier qui l’a prise en charge spirituellement. Elle s’accroche mentalement grâce à la prière. Le Pasteur prie pour Safiatou que sa mère lui confie régulièrement pendant plusieurs jours. Mariam voue une grande admiration au Dr Mounir qui s’occupe de Safiatou à l’hôpital Charles de Gaulle. Je ne l’avais pas encore rencontré quand elle me parlait de sa bonté et de son dévouement pour les malades en général et pour Safiatou en particulier. Elle raconte : « Je remercie tous les médecins qui m’ont aidé. Dr Mounir m’a amené à l’action sociale et on m’a aidé avec les examens et les médicaments ».

A plusieurs reprises, le Dr Mounir a honoré les frais des analyses de Safiatou. Elle explique un moment où sa fille était très malade : « Aux urgences, Dr Mounir nous a beaucoup aidé. Il a tout fait pour que la tension de Safiatou baisse. J’avais pensé qu’avec les soins, on allait nous libérer très vite. Mais ce fut une surprise car 4 jours après son hospitalisation, sa santé s’aggravait. Alors, j’ai demandé à rentrer avec elle, on m’a autorisé. Une fois à la maison, ça n’allait toujours pas. Je l’ai amené en prière dans notre église. Quand on a prié sur elle, elle est tombée. Quand elle est tombée, je ne comprenais pas ce qu’elle disait, car elle parlait en français. Quand elle s’est relevée, on m’a dit de la ramener à la maison car elle est guérie. Après, je suis allée voir Dr Mounir qui nous a confirmé que son état est bon. De retour à la maison, je l’ai amené en prière et on a prié ».

Selon elle, c’est grâce à Jésus qu’elle rencontre des personnes aussi dévouées pour la cause de sa fille. Sa foi la maintient elle-même dans une énergie positive. Dans un grand besoin de s’épancher, elle s’est complètement abandonnée dans mes bras lors de notre seconde rencontre. Elle a beaucoup pleuré et je nous sommes restées pendant de longues minutes dans les bras l’une de l’autre. Elle m’a tenue les mains et parlait sans s’arrêter.

Elle racontait son parcours du combattant pour la prise en charge de sa fille : « Mais mon enfant a fait 4 jours sous oxygène et c’est au 4ème jour que son père m’a appelé autour de minuit, pas pour m’encourager mais me décourager. Il m’a dit ceci : J’ai soigné l’enfant de ta coépouse à près d’un million mais cette fille je vais venir la chercher et déposer à la maison, si elle peut qu’elle se relève si elle ne peut pas qu’elle meurt. Quand il parlait j’ai demandé au Seigneur de me donner la patience pour garder mon calme et ça s’est passé ainsi ».

Nous avons discuté ainsi pendant 2h30 mn. Le temps étaient orageux et il était préférable pour moi de sortir du quartier sous peine d’y rester enfermée jusqu’au lendemain si nous étions surpris par l’orage.

Quatrième visite à domicile : Entre rires et espoirs vains

Ma troisième visite m’avait laissé un goût amer de désespoir et de larmes versées. Je ne me sentais pas capable de poursuivre ma vie et mon travail comme si les choses pouvaient aller de l’avant sans conséquences sur ces personnes rencontrées le temps d’un travail de recherche, et aussi sans conséquences sur la mienne. Je me suis de nouveau perdue en recherchant la maison, mais notre rencontre était cette fois ponctuées de joies, de rires, d’embrassades comme si nous ne nous étions pas vues depuis de longues années.

Safiatou m’a montré son champ d’arachides situé à côté de sa maison. Nous avons pris des photos ensemble et pour l’occasion, Safiatou a tenu à aller prendre une douche et porter son plus bel ensemble offert par l’épouse de son Pasteur. Fatimata m’a présenté son nouveau voisin qui est en cours d’installation pour construire sa maison. Petit-à-petit, elle se construit une nouvelle communauté de vie solidaire.

Mon départ a été aussi difficile, fait de longues embrassades et d’aurevoirs interminables, mais avec beaucoup de joies et d’affection. Je constate que Safiatou a écrit sur le mur de sa maison « JESUS » et elle me souriait. Sur la route du retour, la nièce de Mariam arrête notre véhicule et m’offre une petite bouteille de parfum, dont elle fait le commerce. J’ai été très touchée par ce geste d’amitié. Cependant, je gardais à l’esprit mon entretien avec le Dr Mounir. Il y avait peu d’espoir de survie pour Safiatou dans la mesure où elle devait aller vers la dialyse et sa mère n’avait que peu de ressources financières. De plus il fallait aussi songer à une greffe de reins, qui ne se pratique pas au Burkina Faso.

A ce moment, Mariam n’en savait rien et songeait plutôt à un avenir radieux, car la santé de Safiatou s’était de nouveau améliorée. Elle avait même repris son travail de lingère chez son ancienne patronne.
Le lendemain de ma quatrième visite à son domicile, Safiatou m’appelle pour me remercier de nouveau. Dans la culture Moaga, il faut remercier à plusieurs reprises, la personne qui vous a fait du bien. Quand on traduit cela en français cela donne une phrase aussi surprenante mais que l’on entend souvent : « Merci beaucoup pour l’autre jour, hein ! ».

Rencontre avec le médecin traitant : professionnel et empathique
J’ai rencontré le Dr Mounir, un jeune médecin pédiatre d’une trentaine d’années environ, au service de consultation externe. Nous nous sommes présentés le premier jour de contact le 6 juillet 2018, date du premier entretien avec Safiatou et Mariam. Il m’a expliqué qu’elle était complètement indigente et qu’il a donné son dossier au service social pour une prise en charge totale. Il se montrait très touché par leur condition de vie.

La maladie s’est compliquée au point où Safiatou devrait avoir désormais recours à la dialyse. Il parle aussi d’une greffe de reins qui ne se pratique pas au Burkina Faso. Il l’exprime en ces termes : « C’est assez difficile ! Je lui explique que le problème se situe au niveau des reins. Je n’arrive pas à lui expliquer, comme elle ne parle pas français et c’est difficile de lui parler de l’insuffisance rénale chronique. Je lui explique assez simplement que le problème de l’enfant se trouve au niveau des reins et c’est ce problème qui explique qu’elle avait une tension qui montait. Je dois vous avouer que je ne suis pas encore entré en profondeur. Pour l’instant je ne lui ai pas tout dit, je ne suis pas encore arrivé à lui dire le mal. En fait, il s’agit d’une insuffisance rénale chronique. C’est irréversible mais il fallait pouvoir ralentir la progression. Mais depuis deux mois, son état s’est quand même aggravé et son état va nécessiter la dialyse. Ce que je ne lui ai pas encore dit, c’est ça, que son état va nécessiter qu’on la mette en dialyse et espérer que l’on puisse lui faire une transplantation ».

Comment expliquer tout cela à une maman qui est sans ressource financière ? l’annonce de la maladie à une famille est toujours pour les médecins et les infirmiers un moment de solitude intense (Hejoaka, 2012). La question d’éthique se pose en diverses formes (Auvrignon et al, 2006). En tant que médecin, il doit informer le patient de l’évolution de la maladie. Mais en tant qu’être humain qui connait la situation financière de Safiatou, il ne sait pas quels mots utiliser pour ne pas la plonger dans le désespoir.

Le Dr Mounir estime qu’il est important que les parents des enfants puissent parler à un psychologue. La charge psychologique est souvent intense et souvent, ce sont les mères de famille qui la porte, comme c’est le cas pour Safiatou. Mariam n’a revu son père qu’une seule fois depuis qu’elle a été récupérée par sa mère il y a trois ou quatre ans. Cela doit être un poids pour elle, mais elle ne parvient pas à mettre des mots sur sa souffrance morale.

Ma rencontre avec ce jeune médecin m’a laissé pensive. En effet, en m’approchant du personnel soignant, j’ai eu l’occasion de constater son investissement personnel face aux souffrances des patients. Il a des gestes de solidarité qui restent généralement discrets. Beaucoup diront que c’est leur foi en Dieu qui les amène à agir de la sorte. En effet, le Dr Mounir a abordé ce terrain spirituel de la foi, expliquant que c’est pour lui un moteur qui alimente son empathie. Cependant, il reste secondaire chez le personnel soignant et peut montrer de la gêne quand il prend de l’ampleur chez certains patients hospitalisés. Je n’ai pas rencontré d’autres soignants dans le cas des soins de Safiatou.

Safiatou s’est éteinte paisiblement un matin du mois de février 2019. Sa mère a emmené son corps dans le village de son père où l’enterrement a eu lieu.

Conclusion

Mariam est un chef de famille qui joue tous les rôles qui sont dévolus à ce statut social. C’est elle qui a fait construire la chambre qui l’a abrité avec sa fille. Elle souhaitait agrandir la construction si la santé de Safiatou le lui permettait. Elle s’est occupée de la scolarité de sa fille, de sa santé et de son alimentation.

Sa famille et son église sont ses seules soupapes de sécurité. Elle a aussi pu compter sur les professionnels de la santé qu’elle a rencontré dans les différents hôpitaux qu’elle a fréquenté pour soigner sa fille. Elle a suscité beaucoup d’empathie et de compassion qui ont été un levier pour garder sa fille en vie.

Le père a été quasiment absent durant la maladie de sa fille. Mariam garde le contact uniquement pour lui donner des nouvelles de sa fille. Elle est courtisée par des hommes qui refusent de prendre en charge sa fille. Elle n’envisage pas refaire sa vie avec un autre homme car elle l’a consacrée à sa fille.

Elle s’est libérée en s’autorisant enfin à pleurer sur son sort, lors de notre rencontre à domicile. Elle s’est également autorisée à laisser éclater sa joie face à la vie qui lui offrait du répit dans sa souffrance. Elle fait partie de ces personnes qui vivent au jour le jour, que ce soit en matière de finance comme de santé, qui prennent simplement ce que la vie leur donne sans penser trop longuement à ce que leur réserve les lendemains.

Références

Fabienne Hejoaka, 2012, L’enfant gardien du secret. Vivre et grandir avec le sida et ses traitements à Bobo Dioulasso (Burkina Faso). Sous la direction de Doris Bonnet. Thèse de doctorat en anthropologie de la santé. IRD – CEPED/UMR 196, associée au CEAF, EHESS Paris.

Cornelia B. Sidler, Diagnostic : Enfant pauvre, Inégalité et santé de l’enfant – Pauvreté dans le quotidien pédiatrique., Bâle. Traduction : Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds ; Paediatrica vol.22 N° 1 2011.

Garbi-Goutel, P. Le Coz, B. Chabrol, L’enfant en fin de vie. Enquête sur les pratiques et les besoins relatifs à la prise en charge de l’enfant en fin de vie liée à une pathologie chronique Original Research Article, Archives de Pédiatrie, Volume 19, Issue 7, July 2012, Pages 684-692.

A. Auvrignon, S. Fasola, C. Loedec, C. Aumont, S. Nomdedeu, J. Landman-Parker, S. Gervaise, G. Vaudre, S. Renolleau, G. Leverger, Comment parler de la mort à un enfant en fin de vie : un conte peut-il être une aide ? Original Research Article, Archives de Pédiatrie, Volume 13, Issue 5, May 2006, Pages 488-500

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