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Dr Boukary Sawadogo, meilleur enseignant 2022 Black Studies Program : « Rien ne me prédestinait à une carrière académique aux Etats Unis »

Publié le mercredi 8 juin 2022 à 22h20min

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Dr Boukary Sawadogo, meilleur enseignant 2022 Black Studies Program : « Rien ne me prédestinait à une carrière académique aux Etats Unis »

Dès l’annonce de sa désignation, les réseaux sociaux se sont enflammés. Les Burkinabè sont une fois de plus fiers qu’un des leurs soit distingué à l’étranger. En effet, Dr Boukary Sawadogo, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été élu meilleur enseignant de l’année 2022 du Black Studies Program, au City college de New York, le plus ancien établissement de l’université de New York. Dans cet entretien qu’il a bien voulu donner à Lefaso.net, le natif de Touya, village situé à 25 kilomètres de Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso, nous parle de son parcours et de ses projets pour son pays.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ?

Dr Sawadogo : Je suis Dr Boukary Sawadogo, enseignant chercheur en cinémas africains, écrivain, réalisateur et promoteur d’un festival de cinémas africains d’animation à Harlem, dans l’Etat de New York. Je suis maître de conférences en études cinématographiques au département des arts et de la communication à City university of New York (CUNY) sur le campus du City college of New York et aussi à l’école doctorale du CUNY Graduate center. Au-delà des cinémas africains, mes champs de recherche et d’enseignement portent sur la diaspora africaine, le cinéma afro-américain et les Black studies, d’où mon affiliation au Black studies program du City college of New York.

Quel est votre parcours ?

Mon parcours est celui d’un enfant né en Côte d’Ivoire mais qui a grandi dans le village de Touya qui est situé à 25 kilomètres de Ouahigouya où j’ai obtenu un baccalauréat série A4 au Lycée Yamwaya. Après deux ans au département d’études anglophones de Ouagadougou, j’ai obtenu les diplômes de licence et de maîtrise en langues étrangères appliquées à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar que j’ai intégrée sur concours. De retour au pays, j’ai dû faire des petits boulots à Ouagadougou pendant quelques années avant de réussir au concours direct des conseillers des affaires étrangères. Je faisais partie de la première promotion de l’Institut diplomatique et des relations internationales qui a maintenant changé de dénomination. L’obtention, sur initiative personnelle, d’une bourse d’une université américaine m’a permis de poursuivre des études de master et doctorat dans ce pays où j’ai enseigné dans deux universités avant d’être recruté par City university of New York en 2015.

Depuis combien de temps enseignez-vous aux Etats-Unis ?

J’enseigne à plein temps depuis l’obtention de mon doctorat en 2012. Mais j’avais déjà commencé à enseigner un cours par semestre en tant que doctorant et étudiant en master.

Dans quelle université dispensez-vous vos cours et sur quelles matières portent-ils ?

J’enseigne à City college of New York, l’un des 25 campus qui composent le City university de New York qui compte 275 000 étudiants. Mes différents cours s’inscrivent dans trois catégories ou matières. Il s’agit du cinéma : cours sur les différents métiers du cinéma ; Black studies : diaspora, immigration, villes africaines et Creative writing : cours sur le quartier historiquement noir de Harlem à l’intention des étudiants qui souhaitent devenir des écrivains.

Y a-t-il une différence entre la pédagogie américaine et celle africaine ou burkinabè ?

De mon expérience estudiantine à Ouagadougou et Dakar, je retiens une transmission des savoirs qui s’articulait principalement sur la mémorisation : des enseignants qui dictent des cours inchangés depuis longtemps et des étudiants qui sont tenus de rendre textuellement ces cours aux contrôles. Cela limite évidemment l’esprit de créativité et d’entreprenariat. Aux États Unis, l’enseignant joue un rôle de facilitateur dans l’acquisition des savoirs et des compétences parce qu’il n’est pas considéré comme détenteur omniscient du savoir, aussi expert soit-il dans son domaine. Aussi, la quantité de lecture constituée d’articles et de chapitres d’ouvrage à chaque séance est largement au-delà de ce que j’ai pu voir en Afrique. Évidemment, je ne dis pas que les étudiants africains ou burkinabè sont moins intelligents que les étudiants américains.

Parlez-nous du prix du meilleur enseignant que vous avez reçu récemment ; sur quelles bases avez-vous été distingué ?

J’ai reçu la distinction du meilleur professeur 2022 du Black studies program du City college de New York. Ce prix récompense l’excellence dans l’enseignement et une contribution distinguée à l’enrichissement de l’expérience des étudiants du premier et du second cycle. Dans le système universitaire américain, les enseignants sont évalués par leurs pairs et de façon anonyme par les étudiants dans chaque cours et par semestre. Ce prix célèbre surtout l’excellence dans l’enseignement. Par contre, mon prix Henry Wasser de 2021 célèbre plutôt la recherche à travers les publications.

Parmi combien d’enseignants avez-vous été distingués ?

Pour le prix de meilleur enseignant 2022, c’est parmi une cinquantaine d’enseignants. Le prix de 2021 concernait plus de 12 000 enseignants que compte l’ensemble du système universitaire du City university of New York.

Quelle est la valeur de ce prix aux États-Unis ?

Généralement, les prix décernés dans le monde académique américain concernent l’excellence dans l’enseignement et/ou la distinction au niveau de la recherche. Les prix peuvent être au niveau programmatique, départemental, universitaire ou dans le cadre d’une association professionnelle.

Pour vous personnellement, qu’est-ce qu’il représente ?

Un motif de satisfaction personnelle car rien ne me prédestinait à une carrière académique aux États-Unis. Même si cela n’est pas une fin en soi. Maintenant, il faut continuer à travailler davantage pour relever les défis futurs.

Ce prix vous ouvre certainement des portes à travers le monde. Lesquelles ?

J’évolue dans une culture universitaire américaine où chaque prix, petit ou grand, compte dans la promotion des enseignants chercheurs. À cet égard, une promotion comporte toujours des possibilités et des opportunités professionnelles dont on ne peut pas toujours mesurer la portée tout de suite.

Quels sont vos relations avec vos collègues enseignants chercheurs au Burkina Faso ?

Je connais de nombreux collègues enseignants chercheurs au Burkina Faso. Maintenant, il faudra développer des cadres ou initiatives professionnels de travail au-delà des rapports personnels.

Avez-vous un projet pour l’enseignement supérieur au Burkina Faso ?

Pour le moment, je suis ouvert aux propositions et opportunités qu’on voudrait bien me soumettre pour considération.

Vous êtes spécialiste du cinéma. Quelle est votre appréciation du cinéma africain en général et celui du Burkina Faso en particulier ?

Les cinémas africains sont dans une phase d’expansion par la conjonction de plusieurs facteurs dont le numérique avec ses conséquences induites sur la production et la distribution, le réinvestissement des Etats dans le cinéma à travers des fonds de développement du cinéma et de l’audiovisuel. Ainsi, la cartographie des cinémas africains s’est bien élargie aujourd’hui au-delà de quelques pays jadis. Cependant, la situation reste contrastée, voire régressive dans certains pays comme le Burkina Faso par rapport à celle du Sénégal ou de la Côte d’Ivoire. En général, on a des films et des réalisateurs africains mais pas encore d’industrie cinématographique en Afrique sub-saharienne. Nollywood constitue peut-être l’exception.

Est-ce qu’il y a des similitudes entre le cinéma africain et celui américain ?

Si on ramène le cinéma américain à Hollywood, je dirai qu’il est bien différent des cinémas africains. Hollywood est une industrie qui est axée sur les systèmes de studios et de stars. Des films à gros budget avec des circuits de distribution (en salle et streaming) partout dans le monde. Hollywood est un vecteur de la culture américaine, un instrument de soft power. Nous n’en sommes pas encore là avec les cinémas africains.

Aux États-Unis, il existe plusieurs pratiques et traditions cinématographiques comme le cinéma indépendant ou le cinéma afro-américain. Ce dernier présente des similitudes avec les cinémas africains. Des parallèles peuvent être établis entre le cinéma afro-américain et les cinémas africains : le contexte historique de la naissance de chacun, les thématiques traitées et les acteurs afro-américains dans des films africains ou vice versa. À plusieurs égards, le film Black Panther est un exemple qui illustre la rencontre entre l’Afrique et la diaspora noire.

Vous êtes également écrivain. Combien d’œuvres avez-vous à votre compteur ?

Entre 2013 et 2022, j’ai déjà quatre ouvrages publiés, avec un cinquième qui va paraître en 2023. Je suis actuellement en pleine écriture de mon sixième livre.
Introduction to African Studies : An Introduction. Second edition (Introduction aux études cinématographiques africaines, seconde édition). Publication prévue en 2023 par les presses Routledge au Royaume Uni et aux États-Unis.

Africans in Harlem : An Untold New York Story (Africains à Harlem : une histoire méconnue de New York). Publié en juin 2022 par les presses universitaires de Fordham University, USA.

West African Screen Media : Comedy, TV Series, and Transnationalization (Les médias d’écran en Afrique de l’Ouest : comédie, séries télé et transnationalisation). Publié en 2019 par les presses universitaires de Michigan State University, USA.

Introduction to African Studies : An Introduction (Introduction aux études cinématographiques africaines). Publié en 2018 par les presses Routledge au Royaume Uni et aux États-Unis.

Les Cinémas francophones ouest-africains, 1990-2005. Publié en 2013 par les éditions Harmattan à Paris, France.

Et pour terminer ?

En attendant de trouver des moyens pour rendre mes ouvrages disponibles au Burkina Faso, vous pouvez les commander en ligne sur les plateformes d’Amazon, Ebay, FNAC, Target et Barnes and Noble. Enfin, je souhaite que la paix revienne au Faso. Que Dieu bénisse le Burkina !

Propos recueillis par Obissa Juste MIEN
Lefaso.net

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