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Blaise Compaoré : Entre appétits voraces et défis politiques

Publié le jeudi 1er décembre 2005 à 08h09min

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Blaise Compaoré

Un score à la chiraquienne, c’est ainsi que de nombreux Burkinabè qualifient la victoire de Blaise Compaoré aux dernières élections. La comparaison n’est pas seulement dans les chiffres, mais beaucoup plus dans les conditions qui ont rendu possible ce plébiscite.

Si en France, presque toute la classe politique, toutes tendances confondues avait appelé à faire bloc derrière Chirac pour barrer la route à l’extrême droite, au Burkina ce sont les incertitudes nées du conflit ivoirien ajoutée à l’absence d’une alternative politique crédible qui expliquent la victoire écrasante de Blaise Compaoré. Mais si vaincre a été presque un jeu d’enfants pour Blaise, les défis en revanche rendront la gestion du pouvoir plus périlleuse.

Nous sommes le 7 novembre dans la cuvette du stade provincial du Boulkiemdé dans l’attente de l’arrivée du candidat Blaise Compaoré. L’animation est à son comble. Sur l’aire de jeu où l’on a planté le décor du meeting, les hommes de média grouillent pour immortaliser l’événement. Un artiste musicien bien connu s’approche de nous, me tire de côté et me confie la raison de sa présence sur le plateau : " Je suis là pour soutenir le candidat Blaise Compaoré. Il y a un peu de gombo c’est vrai, mais je le fais surtout par militantisme. J’avoue que je n’ai pas trouvé mieux. Quand quelqu’un me convaincra qu’il peut faire mieux, je n’hésiterai pas à le suivre ". " C’est très bien mon gars ", lui ai-je répondu.

Des propos du genre, nous en avons entendus maintes fois et de la part de gens qui sont très loin du gombo. Quand on a le temps pour les écouter, ils acceptent volontiers d’aller au fond des choses. Comment pouvez-vous confier votre sort à quelqu’un qui a du sang sur les mains ? " C’est vrai, il a fait des erreurs, mais il a reconnu et promis de ne plus recommencer. " Cela suffit-il ? " Quand un chef reconnaît qu’il s’est trompé et qu’il met les moyens pour réparer les torts, c’est une preuve de noblesse d’âme et il faut s’en féliciter. " Mais pourquoi ne pas faire confiance à quelqu’un de nouveau ? " Blaise, on le connaît. Il nous est plus facile de le surveiller. "

Sur la Côte d’Ivoire, Blaise apparaît aux yeux de l’opinion comme l’homme de la situation, même si quelque part, on le trouve proche de la rébellion. Pour l’essentiel, les responsables ivoiriens sont perçus comme des xénophobes et face à eux, Blaise leur apparaît le meilleur jockey. Blaise a surfé sur cette image qu’il a mis tout le soin à façonner, image reprise et amplifiée par de redoutables propagandistes de la machine politique du système.

L’opposition qui a vu venir les risques de marginalisation sur ces thèmes n’a pas su trouver la parade adéquate. D’une part, elle n’a pas su capitaliser durablement les acquis de la lutte du Collectif contre l’impunité afin de le traduire en thèmes électoraux pertinents, d’autre part, l’offensive du pouvoir sur le front ivoirien l’a complètement submergé et même désarmé. Elle n’a pas su cultiver sa différence tant la complexité du problème a brouillé sa lecture politique et rendu sa posture insignifiante sur la question. Hermann Yaméogo a bien tenté sur cette question particulière de constituer son fonds de commerce politique, mais sa ligne de combat s’est totalement confondue avec celle de Gbagbo, ce qui l’a fortement discrédité aux yeux de nombre de Burkinabè, largement hostiles à Gbagbo.

Hermann a compris que ce positionnement abusivement exploité par ses adversaires qui n’hésitaient pas à le présenter comme un apatride pouvait lui poser quelques problèmes auprès des populations. Il a surtout compris que la revanche de Blaise passait aussi par sa marginalisation sur le plan électoral. Il en a donc tiré les enseignements en jetant l’éponge. En général d’armée, il a compris que livrer bataille sur un théâtre d’opérations non favorable est tout simplement suicidaire.

Les défis du prochain quinquennat : Blaise doit mettre de l’ordre dans son camp

Parmi les artisans de la victoire de Blaise, nombreux sont ceux qui attendent le retour de l’ascenseur. Les pagnes, tee-shirts et autres casquettes, sans parler des nombreux autres gadgets de campagne qui lui ont permis de diffuser l’image du chef opulent mais généreux, sont pour une large part le fait de militants qui tirent leur fortune du système. Ils attendent en retour que leur candidat devenu président fasse preuve de reconnaissance, en termes de marchés à octroyer ou en termes de postes juteux à prendre.

Il y a même un de ces militants particuliers qui a tenu à faire publier dans la presse le montant de sa contribution à la campagne qu’il a chiffré à plus de 40 millions. Salif Diallo qui connaît bien sa clientèle politique s’est empressé de fermer son téléphone dès la fin de la proclamation des résultats. Mais il devra bien se résoudre à faire face à ces ogres qui piaffent d’impatience. Pire, il y a la belle-mère dont l’appétit dit-on en matière d’affaires est insatiable. Déjà que des opérateurs économiques se plaignaient de sa manie à vouloir tout prendre sans rien laisser aux autres, on se demande ce qu’il en sera demain, maintenant que la victoire a balayé tous les doutes qu’elle pouvait avoir.

En matière de gadgets de campagne, c’est par camions- remorques entiers que d’aucuns évaluent sa contribution. Quant au petit frère, le véritable patron des ABC, la victoire du grand frère est sa victoire personnelle. Il a personnellement mouillé le maillot comme on l’a vu au dernier meeting des ABC. Il a sa liste de protégés qu’il voudrait bien voir caser, sans compter que lui-même pointe le nez dans les affaires. Ce sont là autant de récompenses attendues qui ne vont pas manquer de parasiter la gouvernance du futur président. Entre ces différents appétits à gérer, lesquels sont souvent sources de conflits, il faut bien que Blaise ait le temps de s’occuper du pays réel.

Etre plus proche des préoccupations des Burkinabè

C’est connu, le Burkina est un pays réputé pauvre. Entre les milliards promis pour désenclaver les différentes régions et provinces, Blaise avait aussi ses moments de rêve. On en a perçu un bout lors de son meeting de clôture au Kadiogo. Ouagadougou, la capitale aura un destin féerique, foi de candidat. Le dernier conseil des ministres avant le lancement de la campagne a été l’occasion pour le président candidat de dévoiler la maquette d’un projet futuriste, avec pas moins de 5 échangeurs et il s’est fait fort de l’annoncer à une foule en délire venue l’acclamer.

Mais les préoccupations des Burkinabè sont plus terre à terre : de la formation et de l’emploi pour les jeunes, un pouvoir d’achat réel pour les travailleurs, la possibilité effective pour les enfants d’aller à l’école, l’accès des populations à des centres de santé, de l’eau potable en quantité suffisante et de l’énergie électrique pour le plus grand nombre. Ce sont là des choses élémentaires nous dira t-on et cela figure en bonne place dans le programme du candidat. N’empêche que le constat qui s’impose est celui de populations de plus en plus pauvres et une poignée d’oligarques dont la richesse croît de manière exponentielle. C’est bon d’avoir songé à habiller et à coiffer quelques personnes l’espace d’une campagne et même d’avoir parfois donné de quoi acheter un bol de riz par ci, une tine de mil par là, mais le développement économique et social qui affranchira tous ces hommes et femmes qui vivent des conditions de misère exige d’autres types de comportements.

Plus d’engagement dans la résolution des dossiers pendants

Il ne faut pas se leurrer, les Burkinabè ont voté massivement Blaise, non pas parce qu’ils adhèrent réellement à sa gouvernance économique et sociale, mais bien plutôt parce qu’il tient fermement le pays et en maîtrise toutes les ficelles. Nombreux sont aussi ceux qui portaient les pagnes et tee-shirts à son effigie parce qu’ils ont préféré hurler avec les loups plutôt que de s’exposer inutilement. L’opposition n’est pas suffisamment forte pour chasser la peur chez certains qui seraient tentés de la suivre, ou qui tout simplement voudraient afficher leur indifférence.

Quand dans son service, on se retrouve deux à trois fois seul au bureau parce que les autres sont mobilisés pour le meeting du président candidat, on finit par se laisser aller, pour ne pas être différent des autres collègues. Le système fonctionne ainsi par contagion et non par adhésion consciente. Si on comprend cela, il devrait alors être possible d’éviter le piège du triomphalisme et donc de la dictature du vainqueur. Le Collectif contre l’impunité est très affaibli, mais les affaires qui l’ont sécrétées sont plus présentes que jamais. Il est dans l’intérêt de Blaise de leur donner une issue judiciaire acceptable. Aucune victoire électorale ne peut constituer un dédouanement pour l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et ses compagnons. Il vaut mieux pour Blaise que ce soit lui qui résolve cette question que quelqu’un d’autre. Il faut donc espérer qu’il soit mieux inspiré pendant le quinquennat à venir.

Le contentieux ivoirien

L’image exécrable de Gbagbo auprès des Burkinabè ne pourra pas être indéfiniment exploitable. Le conflit est en train de s’installer dans la durée, pas toujours par la faute de Gbagbo. Les protégés de Blaise démontrent chaque jour que Dieu fait, qu’ils ne souhaitent guère voir la fin de l’état de belligérance qui a été pour eux source de nombreux profits. Ils apparaissent de plus en plus comme des prébendiers qui, profitant d’une économie de guerre faite de divers trafics mafieux : or blanc, diamants etc... tandis que le Burkina s’installe dans une spirale inflationniste du fait de cette situation. Ce ne sont pas les quelques maquis ouverts à Ouaga par quelques chefs rebelles qui pourront compenser le manque à gagner. Le contentieux ivoirien est donc aussi un autre défi que Blaise devra relever même s’il est vrai qu’il n’en maîtrise pas toutes les dimensions.

Les problèmes sont nombreux et il ne suffit pas de se déclarer prêt. Il faudra donc faire montre d’une volonté réelle de changement. L’opposition est aujourd’hui K.O, mais ce n’est pas elle qui est aux commandes. C’est ceux qui sont à la manœuvre qui sont le plus exposés. Et quand on voit le dispositif qui a conduit la campagne victorieuse du " grand camarade ", on ne peut qu’être inquiet. Sur ce terreau, les politiciens que l’on croît finis pourront se ressourcer pour rebondir.

Déjà les travailleurs affûtent leurs armes et l’épreuve de force pourrait avoir lieu plus tôt que prévu. Plutôt que de préparer le grand banquet de la victoire, on gagnerait à prendre la mesure des défis et à commencer à préparer ici et maintenant les conditions pour y faire face avec responsabilité. En rappel, aux élections présidentielles de 1965, Maurice Yaméogo l’avait emporté avec un score de 97%. Quelques semaines après, le peuple était dans la rue. La suite, on la connaît. A méditer

Germain N. Bitiou

L’Evénement

P.-S.

Voir notre dossier :
Présidentielle 2005

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