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ONG « Tamounte » : Ensemble pour la renutrition des enfants et l’autonomisation des femmes à Réo (Sanguié)

Publié le mercredi 23 mars 2022 à 18h58min

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ONG « Tamounte » : Ensemble pour la renutrition des enfants et l’autonomisation des femmes à Réo (Sanguié)

Depuis 2009, l’ONG Tamounte (ensemble en langue berbère) œuvre dans la prise en charge des enfants malnutris et l’autonomisation des femmes à Réo (Sanguié) au Burkina Faso. En décembre 2021, elle a reçu des mains du ministre en charge de l’économie son accréditation et des félicitations pour son dynamisme. Nous avons rencontré sa présidente, Valérie Passeport, une enseignante française de la région d’Avignon.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ?

Valérie Passeport : Avignonnaise et enseignante, mes études de géographe m’ont permis de pouvoir être utile sur le terrain du développement. Des formations, des stages, une énorme dose de motivation et une équipe très dynamique me permettent d’être présidente d’un vrai acteur du développement.

Que veut dire Tamounte ?

Cela signifie « ensemble » en berbère. Nous avons choisi ce nom … tous ensemble ! Nous le voulions à l’image de nos valeurs et de notre fonctionnement en gouvernance partagée. Chacun pose sa pierre, même minime. Nos valeurs se basent sur ce sens premier de partage et d’humanisme. J’ai toujours eu beaucoup de chance, de belles rencontres m’ont permis d’avancer et de faire avancer le programme actuel. La démarche de co-construction est le point clé de la base du projet.

Nous avons tout décidé ensemble et à la suite des expertises réalisées sur le terrain. Notre ONG. est constituée à part équitable de Français, de Burkinabè et de la population via des responsables locaux formés. J’ai appris beaucoup de la part de mon coordinateur. Il m’a permis de mieux appréhender la culture et de mieux comprendre, déconstruire certains à priori. Mon équipe est sur le terrain pour jouer un rôle d’accompagnement régulier.

Le dialogue que nous avons entamé inclut les femmes des villages - qui sont souvent les grandes oubliées ! Elles ont souvent la charge de tout dans leur village, même des gros travaux, car beaucoup d’hommes sont partis travailler ailleurs. Elles ont choisi des représentantes qui ont suivi une première formation et qui sont devenues les porte-paroles pour communiquer plus simplement avec nous. Chacun s’exprime ; il y a des réunions régulières, sur les sites ou via les réseaux.

Nos expertises de faisabilité sont expliquées, certaines propositions ont été abandonnées car elles n’étaient pas réalisables. Nous intégrons également la population aux travaux. Chacun peut suivre également des formations pour acquérir une autonomie, l’appropriation de toutes les étapes est vitale. C’est leur projet de vie, pas le mien.

Depuis quand votre ONG a-t-elle été créée ?

En 2004 pour collaborer avec un village marocain isolé à mettre en place un programme complet pour y développer un pôle d’activités rurales, nous avons mis en place une vaste ferme et créé des emplois durables.

Qu’est-ce qui a motivé sa création ?

En 2004 j’ai donc eu envie de prendre le relais d’une ONG qui partait d’un village isolé. Un coup de foudre pour ce tout petit village et la perspective d’être en capacité d’aider à rendre un peu le monde meilleur. Très localement certes.

Dans quelles régions du Burkina et dans quels secteurs d’activités intervenez-vous ?

Nous sommes à Réo, que j’ai découvert à la suite d’un séjour personnel sur les pistes de la spiruline. Un peu par hasard, j’ai rencontré Mme Kando, la personne qui gère le Centre de nutrition. Elle m’en a expliqué le fonctionnement, les difficultés. La réalité m’a sauté au visage très durement.

J’ai rencontré sans parole, une femme dont l’enfant était si petit. Elle l’avait sorti de ses châles, il tenait dans ses mains. Je ne comprenais pas ce qui se passait, les échanges se sont faits en langue mooré mais je voyais la détresse de cette femme, sa solitude et la résignation de la responsable, Mme Zongo, qui n’avait rien à offrir. Le bébé n’a pas survécu. Je suis mère, je me suis dit que je ne pouvais pas rester ainsi sans tout tenter. C’est mon point de départ au Burkina Faso.

Comment rester indifférente ?

Je ne suis jamais sortie indemne de mes voyages, cela engendre une profonde remise en question. Pour moi, la raison première d’agir, c’est simplement l’aspect humain. Après il y a bien évidemment des raisons plus générales mais qui ne concernent pas que moi, elles sont plus politiques au sens premier du mot. Je n’avais pas réellement compris avant de voir. Je devais agir, je ne pouvais pas me contenter de rentrer chez moi ainsi.

Comment a évolué Tamounte ?

Doucement mais surement. Nous avons beaucoup progressé grâce aux réseaux mis en place. On avance assez bien en microprojets ; cela fait 20 ans que je dirige cette structure que j’ai créée. Je garde la flamme parce qu’au final, nous avons toujours réussi à atteindre nos objectifs. Par petits pas, mais durablement.
Une de mes activités principale est la recherche de fonds, c’est lourd mais nous avons un très bon dossier pro. Je suis en permanence à la recherche de partenaires et certains sont à nos côtés depuis longtemps car nos résultats sont solides, pérennes surtout. Nos réalisations parlent pour nous.

Quelles sont vos principales réalisations ?

Nous sommes partis du constat que les CREN (Centres de récupération et d’éducation nutritionnelle) qui doivent accueillir les femmes et leurs enfants en situation de sous-nutrition n’étaient que rarement en capacité de le faire. Absence totale de fonds, de denrées, approvisionnement très aléatoire en lait infantile, en aliments thérapeutiques, désintérêt des autorités de tutelle, désorganisation globale. Le néant. L’idée était de sortir un CREN, celui que je connaissais à Réo dans le Sanguié, de toutes formes de dépendance à l’aide. Les rendre aptes à aider leurs bénéficiaires et de faire en sorte que les femmes soient vite à leur tour, indépendantes.

Nous sommes parfois obligés de faire du « one shot » en lait et spiruline. Mais ce n’est pas le but. Mettre sous perfusion de dons est juste impossible et ce n’est pas l’objectif. Nous avons donc construit ensemble un programme « ACRENA » visant à créer trois périmètres irrigués et à donner aux femmes des lopins avec une solide formation en agroécologie. Nous avons quasi fini avec deux des sites à Vuur et Bonyolo au Burkina Faso, nous sommes parvenus à installer des forages, des châteaux d’eau et du goutte à goutte.

La vie a changé radicalement. En quelques mois, les sourires se sont dessinés sur les visages et je l’ai constaté. De voir leurs sourires, d’entendre l’eau couler est une joie inestimable pour mon équipe qui efface tous les obstacles auxquels nous avons été confrontés. Ainsi, nous nous retirerons progressivement. L’autonomisation et la pérennisation sont en place.

Quels sont vos partenaires ?

Des fondations françaises essentiellement et depuis cette année des entreprises burkinabè nous rejoignent avec leur RSE comme Mabucig, ATS minings, Ecocert bientôt. Nous venons de nouer un partenariat avec le Lion’s club Baobab de Koudougou, qui va être très important pour l’avenir.

Quelles sont les grosses difficultés que vous rencontrez ?

Pour moi la première est l’indifférence. Beaucoup de gens vivent dans l’ombre, personne ne s’intéresse à eux. Ils sont invisibles. Même les médias au fond ne s’y intéressent plus beaucoup. La grande époque de la com’ sur l’Afrique pauvre est bien loin. Les pays eux-mêmes ne veulent pas une publicité « négative ». On communique sur ce qui fonctionne et cela est normal. Il est évident que lorsqu’on rencontre une population démunie, c’est extrêmement difficile car généralement on ne sait pas comment agir. On se sent un peu voyeur, le décalage est si grand. C’est fréquemment un gouffre.

La deuxième est le désintérêt de la société moderne vis-à-vis du monde rural profond. Ces zones où on pense qu’il n’y a rien et pire on pense qu’il n’y a pas d’avenir. Les gens ont perdu le sens de la réalité simple, y faire du développement paraît incongru, on me l’a dit. Les projets pharaoniques ou dans la Tech attirent plus les investisseurs ou donateurs, des fonds pour un cybercafé sont beaucoup plus faciles à trouver que pour un forage.

Le troisième vient paradoxalement des bénéficiaires eux-mêmes : les jeunes veulent quitter la campagne et aller en ville. C’est plus moderne. C’est normal, mais c’est un mirage le plus souvent. Beaucoup de jeunes ne réalisent que trop tard qu’ils n’y auront rien. A Vuur, les hommes sont dans les mines clandestines. Ils vivent dans la misère loin de chez eux et les bras manquent dans leur village, cela a été un obstacle au développement de notre programme. Le fond même de mon projet reste de redonner des lettres de noblesse à la terre. Nous avons réussi cela dans le projet au Maroc.

Le dernier obstacle, et non des moindres, est de trouver des fonds en quantité suffisante et rapidement. Aller forer des puits au milieu de la brousse représente un risque, c’est vrai, mais en même temps tout est possible. Cependant les donateurs ne veulent pas toujours prendre ce risque. Nos deux premiers sites sont une vitrine, nous avons réussi, ça me donne de l’espoir et j’espère ainsi pouvoir déclencher plus facilement des financements pour le second village.

Quelles sont les perspectives de Tamounte ?

Nous voulons continuer en micro-projet, accompagner encore les bénéficiaires jusqu’à une autonomisation durable. À mon sens les institutionnels, les structures onusiennes et traditionnelles devraient nous faire confiance. Les petites ONG sont sur le terrain et ont souvent une expertise fine. La taille de nos structures nous permet d‘être réactifs, flexibles. Nous allons nouer d’autres partenariats, notamment avec une grosse ONG qui finance en microprojets. Dans notre boite à idées il y a beaucoup de projets.

Nous n’abandonnerons pas malgré les nombreuses difficultés de terrain.
Le fait d’avoir été accrédité comme ONG officielle au Burkina Faso est pour nous un grand pas.

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