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Braquage de la BCEAO en 2002 : Béatrice Sanon, la policière à l’origine de l’arrestation de Sia Popo Prosper n’a pas été décorée

Publié le mardi 8 mars 2022 à 23h21min

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Braquage de la BCEAO en 2002 : Béatrice Sanon, la policière à l’origine de l’arrestation de Sia Popo Prosper n’a pas été décorée

Officier de police à l’époque, elle est médaillée d’honneur de la Police nationale en 2000.Son dévouement au travail et son intégrité lui ont permisde mettre fin à la cavale del’un des hommes les plus recherchés d’Afrique de l’Ouest en 2002.Béatrice Sanon a en effet contribué à l’arrestation de Sia Popo Prosper, auteur du hold-up de plus de 2 milliards de francs CFA dont a été victime l’agence nationale de la BCEAO à Abidjan, le 27 août 2002.C’était au poste de police de l’aéroport de Ouagadougou. Du haut de ses 62 ans, elle est aujourd’hui admise à la retraite. Approchée à Ouagadougou, ellenous relate l’histoire.

Lefaso.net : Pouvez-vous rappeler les conditions dans lesquelles Sia Popo Prosper a été arrêté à l’aéroport de Ouagadougou en 2002 ?

Béatrice Sanon : C’est un travail d’équipe. Le commissaire que je secondais, était malade. Tout a commencé un samedi dans l’après-midi lorsque les formalités d’embarquement ont démarré pour un vol Air France. Hénoch Sorgho, le chef de la brigade de recherche de l’aéroport à l’époque, avec qui je collaborais est venu me présenter un passeport. C’était un passeport ghanéen avec un visa Schengen falsifié. J’ai donc donné l’ordre de bloquer le passeport et de dire à l’intéressé que son voyage se terminait ici. Ordonnant également à ce qu’il se présente le lundi prochain au bureau, c’est là que l’on m’a présenté de loin un homme grand de taille qui portait une perruque.

C’est de là que tout est parti !

Et en ce moment on ne savait pas à qui on avait à faire. Quand il est revenu le lundi, après avoir été entendu par la brigade de recherche, l’équipe est venue me faire le point de leurs échanges. Il est ressorti que le suspect a dit qu’il avait été abusé et escroqué par ses amis au Ghana grâce à qui il avait obtenu le visa. Il a aussi précisé qu’il avait payé entre 1 500 000 et 2 000 000 de francs CFA pour l’acquérir. Après ce compte-rendu de la brigade, j’ai demandé moi-même à l’écouter pour mieux comprendre.

« J’ai dit quand on demande un visa, on se présente à l’ambassade non ? », a souligné Béatrice Sanon, s’adressant à Sia Popo Prosper

Dans ce genre de situation, il ne faut jamais être tout seul avec le suspect pour l’auditionner. Parce que ce dernier peut à l’issue de l’interrogatoire sortir dire aux autres qu’il a remis telle chose au patron et il est en ce moment difficile de nier en pareilles circonstances.

Donc les agents de la brigade l’on conduit à moi et s’en est suivi une série de questions que je lui ai adressées. J’ai ainsi cherché à comprendre comment se fait-il qu’il demande le visa tout en restant à la maison ? J’ai dit quand on demande un visa, on se présente à l’ambassade non ? À moins que l’intéressé ne soit malade pour qu’on aille à sa place demander le visa pour l’évacuer, ce qui n’était pas son cas.Même si Sia Popo Prosper était très courtois, il y avait assez d’incohérences dans ce qu’il racontait. J’ai alors jugé qu’il fallait annuler ce visa, chose qui a été immédiatement faite. Et les agents sont repartis avec lui. Quelques instants après je me suis absentée du bureau pendant la période de la pause aux environs de 13 heures mais j’y suis encore revenue à cause de l’absence du commissaire. Cela dans le but de gérer les urgences vu que le visa se délivrait aussi à l’aéroport.

Donc à mon arrivée au bureau, j’ai rencontré mes éléments qui m’ont fait savoir que je tombais à pic parce qu’ils s’apprêtaient à laisser Sia Popo Prosper partir.

Quelle a été votre réaction en ce moment précis ?

Le chef de la brigade qui tenait le passeport et son adjoint me disaient comme ils ont fini… J’ai aussitôt répliqué fini !? Je leur ai alors demandé, s’il s’agit bien d’un passeport ghanéen à moins que je me trompe ? Ils m’ont répondu oui. Puis j’ai demandé s’ils ont déjà entendu un mot anglais sortir de sa bouche depuis qu’ils l’on interpellé le samedi soir malgré son accent pas du tout anglophone ?J’ai donc décidé de récupérer le passeport parce qu’il y avait quelque chose qui clochait.

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Lire aussi 8 mars 2022 : « L’autonomie de la femme ne doit pas affecter son foyer », exhorte Béatrice Sanon, policière à la retraite

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Comment se comportait Sia quand il s’est rendu compte qu’il n’allait pas s’en sortir ?

Il ne restaitpas du tout tranquille. Il tenait environ quatre téléphones en main et défilait sans cesse dans la salle d’attente.Je me suis également souvenu qu’il portait une perruque le samedi alors qu’il s’est présenté le lundi sans ce déguisement. Je lui ai donc fait la remarque suivante. Mais monsieur, le lundi vous portiez une perruque n’est-ce pas ? Il m’a répondu que cette perruque lui provoquait des démangeaisons à la tête. C’est pourquoi il l’avait enlevée. J’en ai déduit qu’il n’y était pas habitué tout en lui disant ceci : mais je pensais que vous étiez artiste. La conclusion que j’ai tirée, c’est que Sia Popo Prosper portait une perruque pour se masquer.

À quel moment avez-vous eu la certitude qu’il s’agit du cambrioleur de la BECEAO ?

L’un des agents m’a rappelé pendant que nous cherchions à tirer au clair cette histoire, qu’il y avait dans mon bureau un journal ivoirien faisant cas d’un avis de recherche internationale de l’individu à l’origine du braquage de la BECEAO.
On a donc fouillé dans le placard pour retrouver le journal. L’avis de recherche concernait effectivement la même identité que nous avions sous la main, Sia Popo Prosper. Mais il n’y avait aucune autre description sur la taille… La photo de l’article présentait une personne de petite taille alors qu’on avait face à nous, un homme qui faisait environ deux mètres.

« La fouille qui s’est déroulée en présence d’Interpol à la Direction générale, a permis de retrouver sa pièce d’identité ivoirienne et avec beaucoup d’argent (des liasses d’euros, de dollars et de FCFA) », a confié Béatrice Sanon

Je n’ai pas pu avoir accès au responsable de la Direction centrale dont je relève pour lui exposer le problème car l’on m’a fait savoir qu’il était en réunion.C’est ainsi que nous avons fait appel à Interpol. Mais eux aussi n’en savaient pas plus que nous.

Vu la sensibilité de la situation, nous avons procédé à la fouille des bagages du suspect et avons repris l’interrogatoire. La fouille qui s’est déroulée enprésence d’Interpol à la Direction générale, a permis de retrouver sa pièce d’identité ivoirienne et beaucoup d’argent (des liasses d’euros, de dollars et de FCFA).

Et chose curieuse, plusieurs des personnes qui mènent une activité dans l’aéroport nous en voulaient. Des porteurs de bagages jusqu’à l’enregistrement, tout le monde avait été servi. Même jusqu’au niveau de Air France. Certains d’entre eux qui me connaissent passaient et demandaient ce qui se passait avec “leur ami” ayant constaté qu’on l’avait retenu. Je leur ai répondu que leur ami n’était pas mon ennemi.

C’est peu de temps après qu’un cireur a révélé que Sia Popo Prosper a distribué de l’argent aux gens. Ce dernier a affirmé qu’il était généreux envers tous ceux qui exécutaient une tâche pour lui depuis son arrivée.

Du Ghana, Sia Popo Prosper avait loué spécialement un véhicule pour Ouagadougou. Et toutes les filles avec qui, il a été en contact depuis l’hôtel où il séjournait dans la capitale ont bénéficié d’une moto.

C’est après tous ces épisodes que le commissaire (qui était malade) est revenu prendre les choses en main après qu’on lui ait fait le point de la situation.

Sia Popo Prosper ne vous a-t-il pas proposé de l’argent pour que vous le laissiez prendre son vol pour l’Allemagne ?

Non ! Je ne lui ai pas donné l’occasion. Même s’il a passé son temps à vouloir m’impressionner en me faisant savoir qu’il avait beaucoup d’argent sur lui. Lorsque je lui ai demandé le but de son voyage en Allemagne.Il me disait qu’il a pris tout son capital pour aller prendre les grosses cylindrées…

Comme je l’avais dit précédemment, je n’ai jamais été seule un seul instant avec Sia Popo Prosper. Quand cela s’est avéré qu’il était bel et bien le braqueur recherché de la BECEAO, le commissaire s’est mis en avant et moi en retrait.

Que s’est-il passé par la suite ?

Il a été gardé au camp CRS de Dassasgho le mardi. Deux ou trois jours après, il y a euun vol spécial (avec deux ministres à bord) qui est venu le chercher au niveau de la base aérienne. Et à leur arrivée, il paraît que certains criaient et lui demandaient pourquoi est-ce qu’il est passé par le Burkina Faso ?

Après cela, la BECEAO a récompensé toute la police nationale en lui offrant de l’argent.

Combien la police nationale a-t-elle reçu de la BECEAO pour avoir mis la main sur Sia Popo Prosper ?

En toute sincérité je n’ai pas connu le montant.

Combien avez-vous personnellement reçu ?

Mes éléments et moi avons bénéficié chacun d’une somme d’un million de francs CFA. Je pense qu’il est mieux de prendre cette enveloppe et pouvoir dormir paisiblement que de prendre l’argent de Sia Popo pour après palpiter.

Quel a été l’impact de l’arrestation de Sia Popo Prosper à laquelle vous avez contribué dans votre carrière ?

Grâce à cela, notre équipe qui a traité le dossier n’a pas été affectée ailleurs. Nous avons tous été maintenus à nos postes à l’aéroport. En plus de cela, les parlementaires de l’époque ont demandé à ce que toute l’équipe qui a traité ce dossier soit décorée Mais ce ne sera malheureusement pas le cas. Car ce sera uniquement les deux agents de la brigade de recherche qui ont été distingués tandis que j’ai été mise à l’écart.

Cette injustice ne vous a-t-elle pas bouleversée ?

Cela m’a choquée mais j’ai avalé la pilule. La décoration des deux agents a été faite à partir de la liste qu’avait transmise le commissaire. Il n’a jamais voulu faire savoir qu’il était malade pendant cette période avant de venir prendre le dossier en main. Une partie du personnel a voulu manifester contre cette situation mais je leur ai demandé de ne pas le faire. Je leur ai dit que j’avais fait mon travail.

Qu’auriez-vous souhaité face à cette discrimination que vous avez subie ?

J’aurai aimé qu’on soit traité sur le même pied d’égalité. À ce sujet, l’un des deux qui ont été décorés, Hénoch Sorgho qui est aujourd’hui commissaire, n’a pas aimé ce qui s’est passé. Parce que c’est avec lui que j’avais pris le passeport avant de savoir par la suite qu’il s’agissait de la même personne qui était l’auteur du hold-up de la BECEAO. Pendant que M. Sorgho était mécontent de la situation, son adjoint à l’époque, lui, a fait croire qu’il était celui qui avait arrêté Sia Popo.

Si l’enquête a permis d’appréhender 28 personnes présumées impliquées dans le hold-up, seuls 350 millions des deux milliards de francs CFA avaient été retrouvés à l’époque. Après tous ces épisodes, l’on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de l’homme.

Propos recueillis par Hamed NANEMA
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Crédits Photos : Auguste PARÉ

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