LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

Publié le vendredi 4 mars 2022 à 23h40min

PARTAGER :                          
Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

En matière de réalisation de barrages, le Burkina Faso a une grande expérience, car le tout premier ouvrage a été réalisé vers 1920. De nos jours, le pays compte plus de 1000 barrages mais plus de la moitié sont en état de dégradation moyenne ou avancée. Qu’est-ce qui peut expliquer cette situation ? Un manque de politique nationale ? Madame Seïmata Oubian, directrice générale des infrastructures hydrauliques (DGIH) répond à nos questions.

Lefaso.net : Combien de barrages compte le Burkina Faso et combien sont fonctionnels actuellement ?

Seïmata Oubian/Derra : Le Burkina Faso est un pays sahélien. Nous avons pris conscience très tôt, avant les années 1960 parce que le premier barrage est réalisé entre 1915 et 1920, en fonction de la littérature. C’est le barrage du petit séminaire de Pabré. A cause de la sècheresse de 1970, nous avons élaboré une politique de réalisation d’ouvrages de mobilisation de ressources. A ce jour, le Burkina compte 1 035 barrages.

En 2011 (le dernier inventaire), sur les 1001 barrages, nous avons 95% qui sont des petits barrages. 80% ont eu une capacité de moins d’un million de m3 et 87% ont une moyenne d’âge de 30 ans. Environ 41% sont dans un état de dégradation avancée, 48% dans un état de dégradation moyenne et 11% sont en bon état.

Actuellement, combien de barrage sont en état d’assèchement ?

En termes de pérennité, il faut dire que sur les 1 035 barrages que compte le Burkina actuellement, nous avons environ moins de 10% de ces barrages qui sont pérennes donc ce sont les grands barrages. Sinon pour la grande majorité, leur pérennité varie en fonction de la saison.

Le barrage de Guitti, tel que annoncé, devrait soulager les populations de Ouahigouya en eau potable. Qu’est-ce qui explique ce retard ?

Les travaux ont été réceptionnés depuis juillet 2017, ce qui veut dire que le barrage est déjà fonctionnel. Pour la question de l’Approvisionnement en eau potable (AEP) de la ville de Ouahigouya, ce projet concerne le transfert de l’eau depuis Guitti jusqu’à Ouahigouya. Les prestataires ont été déjà sélectionnés. Le projet concerne trois volets. Il y a un marché qui concerne uniquement les stations de pompage. Le deuxième lot est la réalisation du château d’eau et le troisième est le réseau de distribution d’eau. Le financement que l’AFD (Agence française de développement) veut donner pour la réalisation ne couvre pas l’ensemble des trois lots. Il va falloir que les nouvelles autorités puissent voir, dans les jours à venir, comment le budget de l’Etat peut supporter le gap de financement.

Quels sont les principaux défis de la direction des infrastructures hydrauliques ?

Les défis qui se présentent à nous sont nombreux. Notre premier défi consiste à mobiliser conséquemment (quantité et qualité) les ressources en eau pour l’ensemble des usages. Il faut réaliser le maximum des ouvrages notamment les barrages pour mobiliser assez de ressources en eau de surface en quantité et en qualité. Quand on dit tous les usages, ce sont les producteurs, les éleveurs, l’hydroélectricité, etc.

Vous avez tantôt parlé d’assèchement des barrages. Parmi les facteurs, nous avons les facteurs naturels comme l’évaporation et le niveau du cours d’eau. Pour construire un ouvrage, il faut tenir compte des conditions hydrologiques du cours d’eau. Il y a également le bassin versant n’est pas totalement encaissé parce que nous sommes dans un pays où le relief est plat donc pour réaliser des barrages qui doivent mobiliser assez d’eau, il faut réaliser des grands barrages dont les digues peuvent s’étaler sur un à trois kilomètres. En matière de réalisation de barrages, la topographie ne facilite pas la tâche. Ce sont des contraintes naturelles qui s’imposent à nous pendant la réalisation.

De l’autre côté, nous avons les changements climatiques donc l’évaporation qui nous tire 2 000 millimètres d’eau par an. Il y a également l’aspect anthropique. Les mauvaises pratiques autour de nos ouvrages font que nous perdons beaucoup d’eau. Il n’y a pas une utilisation efficiente et rationnelle. Ce qui fait que le peu d’eau que nous avons et qui dépend de la pluviométrie, est perdu. Il va falloir que les usagers autour des barrages prennent conscience que nous sommes dans un pays sahélien. Il faudra aussi qu’on puisse les accompagner pour une agriculture qui économise de l’eau notamment par les types d’irrigation goutte-à-goutte.

Seïmata Oubian, directrice générale des infrastructures hydrauliques (DGIH)

Actuellement, nous sommes en train de programmer l’inventaire de 2022, c’est-à-dire que plus de dix ans après, nous n’avons plus la même situation actuellement. Le nombre de dégradation a encore augmenté. Peut-être que dans l’inventaire de 2022, on trouvera plus de 55% de barrages totalement dégradés. A l’heure actuelle, nous ne pouvons pas vous donnez une situation exhaustive de l’état sur le terrain.

A l’heure actuelle, nous lançons un cri de cœur pour que les partenaires puissent nous venir en aide. Lors d’une rencontre, je disais que même si on prend tout le budget du Burkina Faso pour nous donner, on ne pourrait pas remettre en état tous les 1035 barrages du pays. Pour réaliser un barrage, le budget varie de 1,5 à 20 milliards FCFA, selon la capacité de la retenue d’eau et la situation géologique du site. Nous avons mis malheureusement la charrue avant les bœufs parce que nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance et d’entretien. Au niveau des routes, il y a un fonds routier pourtant il n’y en a pas pour les barrages. C’est aussi un défi pour nous pour que chaque année, avant et après la saison de pluie, on fasse des suivis à l’image du ministère des Infrastructures. C’est un cri de cœur pour que les nouvelles autorités puissent avoir un regard sur la maintenance et l’entretien des ouvrages qui coûtent chers.

Sans eau, il n’y a pas de vie. Sans eau, on ne peut pas parler de développement. Avec le contexte actuel, il y a l’insécurité alimentaire. Plus de 80% de notre population est à vocation agricole donc il va falloir les accompagner. On ne peut pas compter sur la saison de pluie. L’Etat a péché, nous en sommes conscients, mais il va falloir que nous puissions nous rattraper rapidement sur ces aspects.

Parlant des pratiques des hommes, on constate que la bande de servitude n’est pas respectée par les usages autour des barrages. Est-ce qu’il ne faut pas aller au-delà de la sensibilisation ?

Nous faisons déjà cela avec les polices de l’eau qui sont logées dans les directions régionales en charge de l’eau. Les agences de l’eau font la sensibilisation mais la police de l’eau a deux missions essentielles : sensibilisation et répression. Lorsqu’on sensibilise et on voit que les gens s’entêtent, il y a la mission de répression.

Y’a-t-il eu des cas qui ont servi d’exemple pour les autres ?

Oui, il y a eu des cas d’école. Au niveau de Tenkodogo, nous avons amené un usager qui n’avait pas de bonnes pratiques agricoles, au tribunal, et il a eu des sanctions. Dans les autres localités, même si on n’arrive pas à emmener des gens dans les tribunaux, au moins il y a les sanctions pécuniaires que nous infligions aux mauvais usagers.

Au regard de ces difficultés dont vous venez de faire mention, quelles sont vos perspectives à la direction des infrastructures hydrauliques ?

Pour le moment, en termes de défis, c’est la réalisation des ouvrages. Une autre perspective qui nous tient à cœur, c’est d’adopter le document cadre d’entretien et de sécurité des barrages. Depuis plusieurs années, nous n’avons pas pu mettre en place ce document qui va permettre à tous les usagers de savoir comment utiliser l’eau et comment entretenir le barrage, avec l’accompagnement de nos structures déconcentrées et centrales.

C’est un défi qui nous tient à cœur. Il va falloir que nous puissions adopter ce document dans les jours à venir parce qu’il a déjà été élaboré et validé en atelier. Dans ce document, s’il est adopté, il va falloir que nous donnions des formations et des sensibilisations pour tous les usagers parce qu’on se rend compte que les gens ne connaissent pas les bonnes pratiques autour des usages.

Il faut que chaque mois ou trimestre, nous puissions, à travers nos directions déconcentrées, avoir une fiche de suivi de chaque ouvrage. Cela nous permettra d’éviter les ruptures qui nous surprennent chaque année. Nous sommes premiers dans la sous-région à avoir plus d’un millier de barrages donc nous devons donner un exemple en matière d’entretien et de sécurité des ouvrages.

L’autre défi auquel nous faisons face quotidiennement, c’est de continuer à réaliser des barrages là où on a des sites potentiels parce que les gens pensent qu’on peut réaliser des barrages partout, alors qu’il y a plusieurs conditions.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 4 mars 2022 à 14:27, par Zach En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Ca me fait tres mal au coeur de « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance ».
    C’est comme si on achetait une voiture sans prevoir le prix de l’essence.

  • Le 4 mars 2022 à 16:41, par triandekou En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Madame la directrice, le nom de barrages est bien supérieur à ce que vous donnez. prière revoir la base BEWACO pour ajuster vos dires. En plus vous êtes là depuis combien de temps ? et qui devra mettre en place cette politique ? a très bientôt.

  • Le 4 mars 2022 à 17:23, par Paul En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Il y a plusieurs problèmes dont le problème est le NON respect de la zone de servitude. Les conséquences sont l’ensablement rapide des barrages. L’autre problème est que les usagers ne font pas un minimum d’entretien annuel. On voit qu’il manque 3 cailloux sur la digue mais on ne fait pas le nécessaire. Idem s’il y a des arbustes sur la digue, etc. La bande de servitude de 100 mètres doit permettre de faire des ouvrages antiérosifs comme cordons pierreux, bandes enherbées et surtout replanter des arbres. On réduirait de manière significative la pollution de l’eau par les produits chimiques de l’agriculture conventionnelle ou de l’orpaillage sans oublier les sachets plastiques, etc. Il y a nécessité absolu d’aller vers l’agroécologie/agriculture biologique.

  • Le 4 mars 2022 à 22:06, par Un Burkinabê En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Madame, commencez par faire une cartographie géographique des barrages sur l’étendue du territoire. Vous verrez que les zones (provinces) où les barrages devaient être mis n’en ont aucune. Vous laissez les régions à fortes pluviométries (Cascades, Sud-Ouest, Hauts-Bassins, Boucle du Mouhoun et Est) et allez les mettre au Centre, Plateau Central, Nord, Sahel, Centre-Est, etc... Il faut vraiment être au Burkina pour voir de tels choix. Et ces choix "non productif" ont été fait sous tous les régimes sauf le CNR.

    • Le 5 mars 2022 à 20:07, par Djibril En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

      Je pense qu’elle a bien dit qu’il y a des paramètres topographiques qu’il faut prendre en compte. Si on implante d’une certaine manière aussi ça va causer des dégâts.
      En ce qui concerne les lieux d’implantation, c’est à mon avis dans les zones moins arrosées que le besoin est d’ailleurs plus élevé. Les pluies qui y tombent peut approvisionner un barrage. L’autre problème peut être la vitesse d’infiltration et d’évaporation qui vont contribuer au tarissement rapide ; bien sûr aussi les actions anthropiques (juste une contribution !)

  • Le 5 mars 2022 à 09:17, par Fat24 En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Je suis d’accord avec l’internaute " un Burkinabé’. On a laissé les zones à forte densité pluviométrique pour aller bombarder d’autres zones en barrages, souvent dans un forcing qui ne dit pas son nom. c’était la politique régionaliste de feu Salifou Diallo quand il était ministre des infrastructures hydrauliques et halieutiques de 1196 à 2007. Et même ces régions n’ont pas eu de promotion, de politique de développement de l’agriculture, on se contentait de distribuer des intrants agricoles et autres charrettes et quelques fois des tracteurs. c’est pourquoi j’ai toujours prôné un développent participatif et non pas que l’on s’asseye à Ouaga et concocté des politiques de développement et imposé à des gens. les régions du sud-ouest, boucle du Mouhoun, hauts-bassins ont été pendant longtemps ignorés et minorés dans les politiques agricoles, alors que ces trois régions à elles seules nourrissent les Burkinabés à 95%. Idem pour la construction de pistes rurales. Cette zone a été oubliée sous le mandat de Rock. Qui a déjà vu le ministre Bougouma dans cette région pour des infrastructures routières durant tout le mandat de Rock ? Oublions l’affaire du 11décembre où le goudron se limite à la ville de Gaoua. c’est dommage !

  • Le 5 mars 2022 à 12:52, par Africa En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Je félicite Mme la DG pour ses éclairages bien documentés en ce qui concerne l’état et le parc national de barrages . La réalité est que plusieurs de ces barrages ressemblent plutôt à des retenues d’eau villageoises comme j’en connais dans mon terroir. Dès le mois de mars il tarit après que les populations se soient invitées à faire collectivement la pêche à la nasse. Malgré tout, nous l’appelons "barrage".
    En ce qui concerne l’absence de planification de la maintenance de ces ouvrages, Mme la DG a mis le doigt sur une tare bien africaine. En effet, les africains n’intègrent pas suffisamment la culture de la maintenance dans leurs stratégies de développement, encore moins lors de l’élaboration des projets d’infrastructures. Or, la planification de la maintenance devrait commencer par là, en évaluant toutes les charges récurrentes qui en résulteront. En raison du clientélisme politique en Afrique, les acteurs négligent l’entretien des ouvrages déjà réalisés pour ne s’intéresser qu’aux nouveaux projets pour marquer leur passage.
    Quant à la répartition inéquitable des barrages sur le territoire national, il faut relever que cet état de fait n’est pas propre aux ouvrages hydrauliques.. les politiciens ont supprimer le ministère du PLAN et du Développement pour laisser place à des opérations sans cohérence, souvent au profit des communautés dont ils sont issus. D’où les ressentiments qui ont fini par disloquer le sentiment d’appartenance à une et une seule communauté nationale au destin commun. Le nouveau pouvoir doit poser des diagnostiques sans complaisance afin de permettre à ceux qui viendront au pouvoir à l’issue des élections, de s départir de ces pratiques régionalistes et ethnicistes.

  • Le 5 mars 2022 à 15:15, par le Vigilant du Sahel En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Madame la Directrice Générale raconte des émotions. Il y a bien une politique de suivi et d’entretien des barrages. Il y a des Agences de l’Eau qui ont édité des manuels d’entretien. Le problème se trouve au niveau des moyens financiers et l’organisation pratique sur le terrain. Tout le monde chante que l’eau c’est la vie, mais rien n’est fait en matière de finance. De plus, connaissant l’état du climat (2 à 3 mètres d’évaporation/an) on devrait éviter de réaliser de petits barrages qui seront à sec 2 mois après la saison pluvieuse. Le MEA devrait s’orienter vers la réalisation de grands barrages : type Kompienga, Bagré, Samendéni et surtout essayer de voir comment les valoriser au mieux en améliorant l’approvisionnement en eau potable des zones concernées et en pratiquant une agriculture/production performante en synergie avec le secteur du commerce. Rien ne sert de produire des tomates ou des choux qui ne seront pas absorbés par le marché.
    Concernant les infrastructures et ouvrages hydrauliques de façon générale, il faut noter que le maillage du territoire par les services du MEA est satisfaisant.(Directions provinciales, Directions Régionales, Agences de l’Eau). Si chaque structure joue correctement sa partition, on aura moins de barrages dégradés.
    Enfin, votre cri de coeur lancé aux nouvelles Autorités n’a pas de sens. Croyez-vous sincèrement que les nouvelles autorités puissent relever un tel défi en 3 ans alors que la problématique est posée depuis une soixantaine d’années ? Soyons honnêtes ! Les priorités de la Transition sont connues. Il ne s’agit pas de réaliser des barrages, des hôpitaux, des Universités ou lycées et collèges. Dans tous les cas, quelle entreprise ira s’occuper d’un barrage à Logobou ou à Tina-Koff dans la situation actuelle ?

  • Le 5 mars 2022 à 20:22, par Djibril En réponse à : Barrages du Burkina : « Nous avons réalisé des ouvrages sans mettre en place une politique de maintenance », reconnaît Seïmata Oubian

    Interview très intéressante.
    Au lieu de pointer en premier lieu les utilisateurs (populations), il faut plutôt voir les actions contradictoires entre acteurs étatiques. Les fonctions de la "bande de servitude" étant définies différemment d’un ministère (du développement rural surtout) à l’autre, à quoi donc s’attendre ?

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique