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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (28)

Publié le mercredi 23 novembre 2005 à 09h30min

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Des femmes rapatriées de Côte d’Ivoire au cours d’une séance d’alphabétisation

2004 promettait d’être remarquable pour le Burkina Faso. Il allait accueillir le Sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté puis le Xème Sommet de la Francophonie. Je ne pouvais m’empêcher de penser que 1998 avait été, également, remarquable. Et s’était achevée dans le chaos.

Je croise donc les doigts. D’autant plus fort que la situation en Côte d’Ivoire est dramatique. Ouaga en subit le contre-coup économique et social mais également l’impact militaire. Abidjan songe à prendre à revers, avec son aviation, les
"rebelles" installés au Nord ; en violation de l’espace aérien burkinabè. Casus belli assuré. Je sais que Laurent Gbagbo est adepte de la politique du pire.

Le 17 janvier 2004, à l’occasion d’un
"léger remaniement" du gouvernement, Yéro Boly est nommé ministre de la Défense ; il remplace le général Kouamé Lougué. Yéro Boly était jusqu’alors le directeur de cabinet du président du Faso ; la proximité des deux hommes ne fait pas de doute, c’est bon signe !

Le 3 février 2004, le président Blaise Compaoré a eu 53 ans. Il est le plus jeune des chefs d’Etat de la sous-région. Mais il a déjà une longue expérience du pouvoir. Ce n’est pas un hasard si dans ce pays, c’est un officier qui n’avait pas connu la période coloniale (et qui plus est n’a pas patiicipé aux guerres coloniales de la France), qui a conduit le Burkina Faso sur le chemin de la démocratie et du libéralisme.

Ce n’est pas un hasard, non plus, si ce même officier s’est formé au débat politique, dans le courant des années 1970, dans les rangs des communistes révolutionnaires. Blaise Compaoré est un passeur parce qu’il s’est trouvé au coeur d’un flux politique majeur dont il a toujours perçu les contradictions.

C’est la Révolution de 1983 qui a permis à toute une génération de prendre conscience qu’il y avait une urgente nécessité à s’engager dans une action de long terme dont nul ne pouvait alors savoir où elle menait, ni comment elle devait être menée. Il a fallu bien du pragmatisme à Compaoré et aux autres pour métamorphoser, en vingt ans, le Burkina Faso et faire passer ce pays de la dépendance à l’indépendance. L’affirmation de l’indépendance burkinabè est, d’abord, intellectuelle.

Ce peuple a, au cours de sa longue histoire, créé sa propre culture, ses propres institutions, sa propre voie de développement, etc. C’est ce que le "sankarisme" a tenté (maladroitement) d’affirmer en rupture avec le Reste du Monde. La leçon qui a été retenue par Compaoré, c’est que pour être perçue sans être rejetée, la "différence" burkinabè doit être affirmée en tenant compte du contexte mondial.

En Afrique noire, la parole est souvent monopolisée par le chef de l’Etat. La chance du Burkina Faso est d’avoir imposé une polyphonie qui n’est pas une cacophonie. On y entend, bien sûr, Compaoré. Mais, dans le fond et dans la forme, il y a une permanence dans son discours. Ce qui explique sans doute que, depuis la Révolution de 1983 jusqu’à nos jours, en passant par la Rectification, le Front populaire, la démocratisation, etc. il soit encore en adéquation avec la majorité de son électorat.

Le 23 avril 2004, à Lyon, alors qu’il était élevé au grade de docteur Honoris Causa de l’Université Jean Moulin, il entendait rappeler qu’il "existe aussi une Afrique qui change, qui tourne la page, qui mue et renaît", une Afrique qui "réclame une autre mondialisation plus solidaire et plus respectueuse de l’Homme", une Afrique qui met "en cause, dans ce processus de mondialisation [u.] sa philosophie de mise en oeuvre".

Du Burkina Faso tel qu’il nous apparaît aujourd’hui, façonné par des siècles d’histoire (et non pas seulement quelques décennies comme la Côte d’Ivoire). c’est cette leçon qu’il faut retenir : la permanence de l’exigence de la "différence". C’est à cette aune que l’on peut comprendre les errements qui ont, parfois, marqué l’histoire de ce pays.

Le Burkina Faso a cette chance d’avoir une classe politique dense, structurée, expérimentée et diversifiée. Je pense à ceux qui sont au pouvoir ; je pense, aussi, à ceux qui sont dans l’opposition. Plus de vingt ans après la Révolution du 4 août 1983, le Burkina Faso a connu une évolution politique et économique dont aucun autre pays d’Afrique noire ne peut se targuer.

Des années difficiles, certes, mais qui ont permis aux Burkinabè d’acquérir une expérience incomparable en matière de développement. Du marxisme-léninisme prôné alors par les jeunes officiers rebelles jusqu’à la démocratie politique et au libéralisme économique d’aujourd’hui en vigueur, ce sont (pratiquement) les mêmes hommes. En un autre temps ; et avec d’autres expériences.

Ceux qui pensent que le Burkina Faso aurait pu faire l’économie d’une révolution (qui a eu un coût humain) doivent se poser la question de savoir pourquoi, pendant plus de vingt ans, les régimes précédents n’ont pas permis de sortir la Haute- V oIta du misérable gouffre dans lequel ses responsables politiques l’avaient précipitée.

Quand on a connu ce pays avant 1983 et depuis la Rectification menée à compter du 15 octobre 1987 (23 ans entre l’indépendance du pays et la Révolution de 1983 ; 23 ans entre la Révolution de 1983 et aujourd’hui !), on peut peut témoigner de l’immense chemin qui a été parcouru. Quand beaucoup d’autres pays d’Afrique noire, pourtant mieux lotis en ressources économiques, piétinaient, reculaient ou sombraient.

Au-delà des mots, dont les révolutions sont gourmandes, il y a (surtout) l’action. Et (plus encore) le suivi de l’action. La preuve ? Le Meeting national sur la production et les Six engagements nationaux pris publiquement le jeudi 2 juin 1994. Compaoré partait d’un constat sans concessions : "Nous avions, disait-il au quotidien ivoirien Fraternité-Matin (mardi 7 juin 1994), des économies exangues. Nous n’avons pas su créer des conditions d’intervention des investisseurs étrangers,. nos productions locales étaient fragilisées du fait que nous aimions beaucoup importer pour notre consommation. Même là où nous avions les moyens de réussir l’autosuffisance, nous nous sommes contentés de manger le riz d’Asie, d’Amérique. Nous avons laissé nos sociétés se désagréger. Les Etats n’avaient même plus la capacité de payer leurs
fonctionnaires [...] Nous devons assumer nos responsabilités économiques".

Dix ans plus tard, le jeudi 3 juin 2004, Compaoré pouvait dresser le bilan du Meeting national sur la production qu’il avait convoqué au Stade du 4 août, à Ouagadougou, et auquel avaient participé plusieurs milliers de délégués des villages burkinabè. Il voulait alors "galvaniser, redonner confiance à nos populations [...] traumatisées par la dévaluation" afin qu’elles voient comment "il est possible de s’en sortir, par le travail, par la mobilisation".

"L ’homme, disait-il alors, sera à l’avenir au centre de la production dans notre pays". Alima Ki, une bénéficiaire du programme des Six engagements nationaux, aura, pour en caractériser l’apport, cette belle phrase : "Ils ont permis d’améliorer mon vécu quotidien". C’est que Compaoré sait que le développement solidaire n’est possible que si l’on a conscience d’appartenir à une même communauté. Autrefois, au temps de la Révolution, on parlait de
"conscientisation". Cela avait un côté endoctrinement désagréable, mais aussi une fonction pédagogique. Le chef de l’Etat, maintenant, met l’accent, en la matière, sur la promotion des
droits humains et notamment le fait que "nos concitoyens doivent pouvoir se doter des principaux documents administratifs qui symbolisent son appartenance à la communauté nationale".

C’est, effectivement, un point de départ. Et une jolie pierre blanche dans le jardin de l’Ivoirien Laurent Gbagbo, le voisin du Sud, qui a choisi d’exclure plutôt que d’intégrer. La remarque vaut d’être faite. C’est que Gbagbo se vantait d’asphyxier le Burkina Faso dès lors que la liaison ferroviaire entre Abidjan et Ouaga serait stoppée. Il s’est trompé. Les Burkinabè ont été capables de gérer, aussi positivement que possible, tous les effets de la crise ivoirienne.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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