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Quel modèle de démocratie pour l’Afrique noire ?

Publié le lundi 21 novembre 2005 à 13h36min

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Quel modèle de démocratie pour l’Afrique noire ?

Quel modèle de démocratie pour l’Afrique ?

Laurent Bado
Editions Presses Africaines S.A
Burkina Faso
Mars 1998

INTRODUCTION

La société traditionnelle, avec son ordre politique, son ordre économique, son ordre social et son ordre culturel était et la société moderne est née. La première doit mourir ou la seconde est mortnée.

Bien entendu, mort-résurrection, qui veut que la société traditionnelle sorte de sa chrysalide pour s’adapter aux temps nouveaux, au nouvel environnement international : ou la tradition accède avantageusement à la modernité, ou les peuples africains sont définitivement condamnés.

La jeune histoire des nouveaux Etats africains témoigne malheureusement que le passage obligé de la tradition à la modernité est, depuis les indépendances formelles de 1960 jusqu’à nos jours, très mal négocié. Un exemple parmi tant d’autres : le pouvoir politique moderne, c’est-à-dire, la nouvelle organisation politique de la société.

Ce n’est pas seulement que la colonisation a fait prendre au pouvoir traditionnel un virage’" imprévu qui l’a conduit à l’accident final, c’est encore et surtout que les dirigeants africains eux-mêmes, loin d’avoir songé à prendre la succession poli tique du colonisateur sous bénéfice d’inventaire, persistent à vouloir imposer à leur peuple des lois, des principes et des institutions politiques en rapport de contrariété avec les réalités ; par un long, lent,
pénible et obstiné processus volontariste d’assimilation à rebours de la société africaine à la société libérale occidentale qui lui est étrangère, ils en sont arrivés, comme le déplore Eugène schaeffer1, à complexer les élites africaines sur leur identité propre et à faire douter les peuples africains de leurs valeurs spécifiques, amputant ainsi ces derniers de leurs capacités créatrices intrinsèques.

Le mimétisme politique s’était traduit par des constitutions - programmes ; les constitutions programmes, par le divorce consommé entre le droit et la pratique, avaient expliqué et même justifié les nombreux coups d’Etat intervenus entre 1960 et 1990 dans l’indifférence populaire. rl ne restait,
pour assurer la stabilité politique, que les régimes autocratiques : au 31 décembre de l’année 1970, sur trente Etats africains indépendants (Ethiopie non comprise), on dénombrait seulement onze régimes pluralistes 2 contre quatorze régimes de parti unique et cinq régimes militaires !

Au lendemain de l’effondrement du bloc communiste, de la chute du mur de Berlin et sous l’effet direct du fameux discours de la Baule de juin 1990 3, la démocratie libérale occidentale sera érigée en modèle idéal planétaire. Elle s’élèvera comme un feu de brousse sur l’Europe de l’Est et sur l’Afrique où les dictateurs, privés de leur point d’appui alternatif qu’était l’Union soviétique,
seront contraints d’entamer des processus de démocratisation.

Mais cette démocratie libérale occidentale, une fois de plus transposée mécaniquement sur le continent noir avec toutes ses oppositions aux structures africaines traditionnelles, incomprise des gouvernés autant que des gouvernants, apparaît comme un remède pire au
mal de la dictature. Nombreux en effet sont les Etats démocratiques africains où le modèle libéral occidental accouche d’anarchie sociale, de tensions politiques permanentes, de guerres civiles et même de velléités séparatistes.

Ce qui apparaît désormais que trop clair, c’est que le processus démocratique ne peut pas se présenter aux peuples africains comme une
construction de l’extérieur.

C’est sur les traditions et valeurs dominantes des peuples africains, sur le droit africain, sur l’authenticité africaine comme sur du roc que la démocratie doit se fonder, car la force de toute société est faite à la fois de la conscience qu’elle a de son passé et de la confiance qu’elle a dans son avenir : la culture est pour toute société humaine un élément de vie et une source de puissance.

Près de quarante ans après les indépendances, l’Afrique noire, avec le modèle occidental d’organisation politique adopté sans adaptation, est toujours politiquement à la croisée des chemins.

L’Afrique, pour paraphraser Henri Kissinger, se retrouve dans la situation impossible du continent que guettent simultanément deux crises : une crise sociale s’il ne fait rien pour changer son
organisation politique et une crise politique s’il fait quelque chose.

La question est donc posée : ne vaut-il pas mieux une crise politique dont la sage résolution ouvrira aux africains une ère nouvelle qu’une crise sociale qui les conduira inéluctablement à la divagation parmi les ruines politiques ?

Dans l’ affirmative, il faut se résoudre à « inventer »,
au sens latin du terme, un modèle démocratique à la hauteur des réalités africaines, étant entendu que les peuples, comme les individus, rayonnent ou demeurent obscurément stériles selon qu’ils sont dociles ou rebelles à leur vocation spécifique.

La présente réflexion est une modeste contribution à la recherche de ce modèle africain propre. Elle s’articule autour de trois axes principaux :
- d’abord, une critique des principes fondamentaux de la démocratie libérale occidentale ;
- ensuite, la mise en relief des oppositions du modèle traditionnel africain au modèle libéral occidental ;

- enfin, des propositions de voies nouvelles pour l’Afrique d’aujourd’hui dont les populations sont jusqu’ici politiquement parquées dans une salle d’attente où elles n’attendent plus rien...

1 Eugène Schaeffer, Aliénation - Réception - Authenticité - Réf1exions sur le droit du développement, Pénant, numéro 745, juillet - août - septembre 1974.

2. Botswana, Cameroun, Gambie, Kénya, Lesotho, Libéria, Malawi. Ouganda. Rwanda. Somalie et Zambie.

3. A ce sommet France-Afrique, le Président François Mittérand avcrtissait ses ram:s africains que l’aide publique au développement sera désormais liée il l’ouverture démocratique.


Laurent Bado

Titulaire du doctorat d’Etat en droit public fondamental de l’Université de Bordeaux et du diplôme de l’Institut international d’Administration Publique de P, ;.ris (I.I.A.P.), Laurent BADO a exercé d’abord comme administrateur civil et professeur permanent à l’ENA-Ouagadougou avant d’être versé à l’enseignement supérieur en 1984.

Il a occupé successivement les fonctions de chef du service de la coordination et du contentieux au Ministère de la Fonction Publique et du Travail, chef du service du recouvrement et du contrôle des risques à la Banque Nationale de Développement, Directeur de la Fonction Publique, Conseiller technique du Ministre de la Fonction Publique et du Travail, Conseiller juridique du Ministre chargé des relations avec le Parlement, Directeur général de l’ENA-Ouagadougou, Commissaire à la reforme et à la modernisation de l’administration du Burkina Faso.

A la Faculté de Droit et de Science Politique (ex Ecole Supérieure de Droit), il fut chef du département de droit public, puis Vice-doyen à la recherche.

A travers ses publications et ses nombreuses conférences en Afrique et en Europe, Laurent BADO dénonce le mimétisme comme le véritable frein au développement du continent noir.

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Vos commentaires

  • Le 23 novembre 2005 à 19:30, par Nogo En réponse à : > Quel modèle de démocratie pour l’Afrique noire ?

    Je trouve excellente l’idée de faire la présentation des oeuvres burkinabès, dommage que la maison d’édition n’ait même pas de site web sur quoi commander un livre quand on est à l’extérieur du pays.

    • Le 24 novembre 2005 à 17:05 En réponse à : > Quel modèle de démocratie pour l’Afrique noire ?

      J’apprecie à sa juste valeur les idées de l’homme.

      • Le 12 décembre 2005 à 13:46, par Mogmenga En réponse à : > Quel modèle de démocratie pour l’Afrique noire ?

        merci de nous permettre de partager les idées combien novatrices et dignes d’un intellectuel qui veut voir son continent enfin amorcer son developpement !!!
        C’est dire que je saisi l’opportunité pour saluer la pregnance et l’originaliité de l’analyse de M. BADO.
        Nous avons d’ailleurs eu la chance de lire quelques écrits de l’homme, et surtout de suivre ses debats et conférences en public.
        Nous lui souhaitons bon vent ; puis nous invitons la jeunesse africaine dans son ensemble de lire le Professeur et d’apprehender la quintescence de l’approche de développemnt de cet intellectuel.
        merci

  • Le 8 décembre 2005 à 12:28 En réponse à : > Quel modèle de démocratie pour l’Afrique noire ?

    SVP dites nous où on se procurer le livre au pays et aussi quand on est à l’extérieur

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