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Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

Publié le mardi 7 décembre 2021 à 10h30min

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Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

Le président Roch Marc Christian Kaboré, en s’adressant à la nation le 25 novembre2021, a parlé de changement de paradigme de gouvernance et de gestion de la crise sécuritaire du pays. Depuis ce discours, il consacre son énergie à mettre en œuvre les points de rupture qu’il a relevés. Des changements de tête sont intervenus dans l’armée encore une fois.

Il a demandé des approfondissements sur le rapport d’enquête d’Inata de sorte à situer les responsabilités autant individuelles que collectives. Le changement de visions, d’interprétations, de conceptions est un exercice qui rien que sur les mots feraient bien de baume sur les plaies et les malheurs que nous vivons. Nous essayons d’y contribuer aussi.

Face au conflit qui nous oppose à des ennemis que nous ne connaissons pas, nous n’avons pas osé l’appeler par le nom qui nous fait peur : la guerre. A ce mot terrifiant, qui est ce qui peut nous arriver de pire, le mal absolu, nous avons préféré celui de terrorisme ou de « djihadisme ». Comme si ne pas le dire, l’évitait, le conjurait. Comme si lui accoler le terme de guerre augmenterait notre malheur. Quand on acceptait de parler de guerre enfin c’était encore pour dire que ce n’était pas une vraie guerre, une guerre pas comme les autres, mais une guerre asymétrique.
Nous avions peur de parler de guerre parce qu’elle oppose deux États.

Et que ceux-ci se font la guerre avec un certain formalisme, une déclaration de guerre, un code d’honneur etc. Ici il est vrai, on ne voit pas la trace d’un code d’honneur chez ceux qui nous attaquent, ils n’ont pas donné d’ultimatum avant de s’en prendre à nous, ils ne font pas de différence entre civils et militaires et n’ont pas de pitié pour les femmes et les enfants. Les groupes armés qui nous attaquent ont une certaine connaissance de l’art de la guerre, de la guérilla, puisqu’ils nous font une guerre de mouvement frappant ici aujourd’hui et là demain. Aujourd’hui au Soum, demain à l’est après demain au centre-nord…

S’ils ne respectent pas les lois de la guerre, cela ne fait pas d’eux de doux pacifiques, ils sont en guerre et font « une affirmation par la force » comme le dit Cicéron. Que disent-ils, que revendiquent-ils ? Que proposent-ils ? Ils parlent peu et les discours tendant à se présenter comme des représentants de l’islam est un faux ami qui cachent leurs intentions vénales.

Ceux qui nous attaquent sont dans leur tête un État, ils en ont la prétention et le désir de l’être face aux États sahéliens en faillite qui sont en train de perdre leur statut.

Même s’ils ne sont pas des entités étatiques, les groupes armés, auxquels nous avons à faire veulent créer des États, c’est un objectif que Daech affiche et sa succursale dans notre région s’appelle l’État islamique au Sahel et au grand Sahara. Son concurrent le GSIM,(Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) une franchise de Al Qaéda composée de plusieurs groupes aux prétentions territoriales diverses veut aussi conquérir le Macina, le Djelgoji, le Liptako Gourma, l’Azawad …

Même si nous n’avons pas à faire à des États, nous sommes confrontés à des embryons d’Etat qui nous font la guerre, nous disputent notre territoire et ses richesses et essaient d’administrer les zones que nous perdons selon leurs lois qu’ils imposent aux populations.

On l’a vu les zones d’orpaillage et d’exploitation minière ont été des zones des attaques les plus meurtrières : Bongou, Solham, Inata…

C’est une guerre de prédation, d’accaparement des richesses de notre sous-sol particulièrement de l’or. Les autorités burkinabè reconnaissent que la quantité d’or extraite par orpaillage et les mines artisanales représente plus du double de celle des mines modernes. En 2014, le Burkina Faso était le 19e producteur mondial d’or avec 38,9 tonnes produites soit 1,24% de la production mondiale. En 2017, nous avons produit 46,4 tonnes et nous étions au sixième rang africain. Le double de cette production est dans une zone grise et est captée par les trafiquants associés ou non aux groupes armés.

Cet or, cette richesse est source de convoitise de sociétés criminelles et d’États qui ne s’embarrassent pas de légalité et de justice sur les sources de provenance et les moyens par lesquels ses biens ont été obtenus. Les groupes armés qui contrôlent ces sites prélèvent des taxes, achètent l’or au prix fixé par eux et l’exportent du pays. Les pays par lesquels cet or transite pour être vendu, et ceux qui l’achètent sont des pays qui nous agressent et sont en guerre contre nous de fait. Un changement de paradigme voudrait qu’on le leur fasse comprendre sans ambages.

Développer un soft power

Le changement de paradigme voudrait que l’on réfléchisse sérieusement sur les moyens de recouvrer la souveraineté sur les richesses de notre sous-sol. Clausewitz dit que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Il faut que nous ayons à l’esprit que les compagnies multinationales et certains États veulent obtenir et exploiter les richesses sans rien céder aux États et aux populations locales et la guerre est le moyen le plus sûr pour eux d’arriver à leurs fins.
Voyez le scandale géologique qu’est la République démocratique du Congo et le pullulement de groupes armés qu’elle connaît, cette insécurité n’empêche pas l’exploitation des richesses du pays.

C’est ce modèle qu’ils veulent imposer aux États sahéliens. Faire le chaos dans nos pays où des groupes armés se partagent le territoire et la prédation des richesses. Rendre impossible toute possibilité de dialogue et d’union pour défendre la patrie au niveau des forces politiques qui vont aussi entrer en crise en devenant de plus en plus apatrides.

Dans cette guerre, nous avons des faiblesses multiples, mais le changement de paradigme voudrait que nous développions des points forts comme un soft power qui nous permettrait d’avoir le dessus par une intelligence et une meilleure compréhension du conflit.

Pourquoi ne pas mettre à contribution nos universités par la création de département d’études géostratégiques, du Sahel et du Liptako-Gourma, d’études de nos langues et des langues étrangères comme l’arabe, le chinois et le russe en plus de celles existantes, d’études sur la connaissance des engins explosifs et le déminage etc.

La question des études stratégiques ne doit pas non plus être négligée. Il faudrait mobiliser nos forces de défense et de sécurité sur la nécessité de défendre le pays et donc de la justesse de cette guerre, car elle vise à défendre le bien commun, sécuriser les populations, et empêcher les assaillants de les chasser et de brûler leurs récoltes et retirer leur bétail. Remobiliser la nation pour la défense du pays est aussi une œuvre de réconciliation nationale.

Sana Guy
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 6 décembre 2021 à 19:56, par Barry Idrissa En réponse à : Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

    Le gouvernement pourrait déjà résilier tous les contrats miniers, industriel et artisanal..et séquestré ces mines en attendant de jours meilleurs..

  • Le 6 décembre 2021 à 22:32, par Fandata En réponse à : Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

    Merci cher Sana pour la pertinence de ton écrit. Que si la pluie vous bât évitez de vous battre. Mais enfin certains pensent que c’est le moment de prendre le raccourci pour accéder au pouvoir. Pauvre de nous, les centaines des morts que nous avons enregistré est il écrit sur leurs fronts PAI, Faso Meteba, ADF RDA, MPP ou CDP. Comment nous ne pouvons comprendre que nous avons tous intérêt à nous mobiliser pour la défense de la nation plutôt que des calculs politiciens

  • Le 7 décembre 2021 à 08:47, par LE FORGERON En réponse à : Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

    Bonjour,

    Nous pensons que le Président doit déclarer le pays en guerre et voir ce que les Burkinabè pourront contribuer pour la victoire. M. Le Président vous avez commencé à voir clair dans l’affaire de INATA en rejetant ce rapport car vous avez eu quelques éléments grâce aux réseaux sociaux. Sans les informations des réseaux sociaux vous aurez dû recevoir ce rapport et croire à cela. Autrement dit vous devez laisser les réseaux sociaux et mettre des conseillers pour vous apporter les informations importantes à vérifier leur véracité. Pour avoir les vrais responsables du drame de INATA vous devez vous poser certaines questions telles que :
    1- Pourquoi il y a eu fuite d’information qui montre que le détachement était en rupture de vivre ?
    2- Pourquoi le Secrétaire Principal est mort ? Et comment il est mort ?
    Si vous avez les réponses exactes à ces deux questions alors vous serez situé sur les responsabilités de ce drame de INATA car les soldats de rang sont frustrés et quand il y a frustration il n’y a plus de secret. C’est pourquoi il faut mettre le commandement sur le terrain. Tout gradé qui ne veut pas aller sur le terrain sera écarté et demis de ses fonctions.

    Les discours ne tiennent plus. Il faut passer aux actes, les politiciens doivent se taire et laisser les patriotes faire le combat.
    Le Président doit permettre aux hommes de terrains de prendre le commandement. C’est à dire celui qui veut commander va sur le terrain car une citation mossi dit " Celui qui a vu le lion et celui qui n’a pas vu le lion n’ont pas la même façon de courir". Celui qui a vu le lion, court sans se retourner et l’autre se retourne pour voir si c’est vraiment un lion. Conséquence il sera le premier à être attrapé par le lion. Nos hommes sont sur le terrain, l’ennemi menace de les tuer et le commandement à Ouaga demande d’attendre des autorisations pour tirer. C’est quel genre de guerre ? C’est pourquoi les Tchadiens sont repartis chez eux. Ils veulent combattre l’ennemi et on leur demande d’attendre des autorisations.
    Seul le Chef d’Etat-major peut rester à titre consultatif et les décisions seront prises sur le terrain et il sera juste informé de l’évolution. Son rôle principal sera la disponibilité de la logistique en qualité et en quantité dans le temps et dans l’espace. Tous les gradés de l’armée qui ne voudront pas aller sur le terrain seront déclarés comme abandons et mis à la retraite anticipée avec poursuite judiciaire. Pour le faire, il faut que le pays soit déclaré en guerre.

    La Patrie ou la mort Nous vaincrons !!!!!

  • Le 7 décembre 2021 à 12:58, par Nani En réponse à : Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

    Monsieur Sana, vous avez une plume qui dépeint une situation préoccupante de manière si simple et je vous en remercie !
    "Remobiliser la nation pour la défense du pays est aussi une œuvre de réconciliation nationale" que je préfère de très loin à ces grandes messes budgétivores. Comme si la réconciliation pouvait se décréter. C’est un état d’esprit, un comportement.

    Oui, vous dites vrai ! lorsqu’on avait pas encore découvert que le Burkina était "assis" sur l’or, nous étions en paix, pauvres mais assez heureux de vivre chez nous.

    Oui, nous sommes en guerre et une guerre prédatrice ; nous devons en être tous conscients et surtout prendre la menace au sérieux, au delà de tout autre considération !!!

  • Le 7 décembre 2021 à 14:47, par Bikutu En réponse à : Burkina : Deux ou trois choses pour changer de paradigme face à la guerre

    Je le dis respectueusement. Votre article est vague : "Les pays par lesquels cet or transite pour être vendu, et ceux qui l’achètent sont des pays qui nous agressent et sont en guerre contre nous de fait. Un changement de paradigme voudrait qu’on le leur fasse comprendre sans ambages." QUELS SONT CES PAYS ? Nous sommes dans une région où presque tous les pays vivent une instabilité, la bande Sahara-sahelienne et même les pays du golfe de Guinée ne sont plus épargnés ! Au lieu de proposer une solution pour plus de collaboration régionale pour lutter contre cette crise sécuritaire qui s’étend, vous jeter de l’huile sur le feu pour succiter des conflits entre les États.

    Aussi de grâce arrêter de confondre les choses les revendications territoriales ne concernent pas tous les États sahéliens en crise. Au Burkina par exemple nous ne sommes pas dans une configuration où un groupe armée "à la MNLA" réclame une partie du territoire comme c’est le cas au Mali. Jusqu’à preuve du contraire aucun groupe armé au Burkina n’a posé des revendications territorialistes.

    Enfin n’oublié pas que la montée du tourisme dans le Sahel avec comme épicentre la zone des trois frontières est alimentée par la matrice du chaos Lybien depuis la chute de Moamnard Kadhafi en 2011. Donc de grâce faite un peu sortir la tête hors de l’eau pour avoir une analyse plus large de cette "guerre" comme vous l’appelez.

    Respectueusement.

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