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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (26)

Publié le jeudi 17 novembre 2005 à 05h56min

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Compaoré et GbagboQuand les "mutins" se soulèvent, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, contre le pouvoir en place à Abidjan, le Burkina Faso se retrouve en première ligne. Non pas militairement mais diplomatiquement d’une part, politiquement d’autre part.

Le président Blaise Compaoré est mis en cause, violemment, par l’entourage du président Laurent Gbagbo ; et la communauté "burkinabè" (autrement dit les "étrangers" et les "porteurs de boubou ") va être la cible des
"milices" qui rapidement se mettent en place dans la capitale et toute la zone Sud de la Côte d’Ivoire. A Ouagadougou et dans tout le Burkina Faso, la population gronde ; elle aimerait bien que Compaoré aille "taper" les Ivoiriens qui dépouillent, violent et assassinent les Burkinabè.

Pour Compaoré, c’est chose facile : l’armée ivoirienne ne tiendrait pas longtemps face aux troupes burkinabè qui ont, par ailleurs, l’avantage de connaître le terrain ivoirien : c’est là qu’elles ont été formées pour l’essentiel ! L’opposition burkinabè, parfois prompte à épouser le "parti de l’étranger" (c’est le cas de Hermann Yaméogo, alors leader de l’ADF-RDA), joue la carte de la "retenue". "Lucidement, me dira Djibril Bassolé, ministre de la Sécurité, l’opposition n’exploite pas la question ivoirienne pour mettre en cause la politique gouvernementale. Il y a une quasi unanimité en la matière.

La crise ivoirienne consolide la cohésion nationale. l_ais si le président Compaoré, qui s’efforce de temporiser, se décidait à être plus agressif, il serait applaudi par les Burkinabè. C’est que la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo en fait un peu trop contre le Burkina Faso. Mais le chef de l’Etat a choisi d’avoir une gestion rationnelle de la crise ivoirienne et d’agir de façon graduée".

La déstabilisation de la Côte d’Ivoire est, pour Ouaga, un handicap majeur auquel le chef de l’Etat et le gouvernement vont chercher rapidement des solutions. Quelques millions de ses ressortissants y travaillent depuis plusieurs décennies. Ces populations ne sont plus à la charge d’un Burkina Faso dont les ressources agricoles sont très limitées ; plus encore, elles facilitent les flux de marchandises entre les deux pays : même origine, même langue, même culture ! Cette prééminence de la question ivoirienne, le chef de l’Etat burkinabè tente d’en limiter l’impact.

Certes, la "question" est primordiale pour le Burkina Faso, ses relations politiques et économiques avec Abidjan, la situation de ses millions de ressortissants en Côte d’Ivoire, la sous-région ouest-africaine. Mais Compaoré, plus serein que jamais, n’entend pas que ce qui se passe à Abidjan fasse oublier qu’il se passe aussi quelque chose à Ouaga.

Me recevant longuement, en tête-à-tête, au palais présidentiel pour un long déjeuner, le lundi 17 février 2003, il tiendra à insister, aussi, sur les programmes de modernisation et de développement mis en oeuvre avec le concours des Libyens et des Chinois notamment. Il s’agit de faire de la capitale burkinabè, plus que jamais, le pôle de croissance de la sous-région.

Compaoré a une vision historique et globale de la crise ivoirienne. Il sait mieux que quiconque que ce pays s’est construit en devenant un condensé démographique de tous les peuples de la sous-région : du Sénégal au Ghana, du Mali au Niger en passant, bien sûr, par le
Burkina Faso, plaque tournante des flux migratoires en Afrique de l’Ouest (quand l’A OF coloniale n’existait pas encore et que l’on parlait, alors, de peuples et non de nations, et encore moins d’Etats) et pôle de développement d’empires et de chefferies.

Compaoré était, bien sûr, à Kléber au lendemain de la signature des accords de Marcoussis, accords signés par tous les acteurs politiques ivoiriens et entériné par l’Onu. Dès lors, le chef de l’Etat burkinabè entendait rester ferme sur sa ligne et ne se déterminer que par rapport aux intérêts du peuple burkinabè, c’est-à-dire aussi des intérêts des ressortissants burkinabè présents en Côte d’Ivoire. Autant dire que le président du Faso entendait laisser le Comité de suivi jouer le rôle qui lui avait été confié en pleine indépendance.

Mais sachant à quoi s’en tenir pour ce qui est de la personnalité de Gbagbo et de sa compétence politique, à chacun d’assumer pleinement sa tâche. Sans jamais perdre de vue que sans pression diplomatique, sans pression militaire et sans pression politique, il est indéniable que Gbagbo refusera d’assumer sa part de responsabilité.

Certes, à Ouaga, beaucoup pensent que si Paris avait laissé s’exprimer pleinement le rapport de forces sur le terrain, la situation ivoirienne serait d’ores et déjà dénouée et que l’on saurait à quoi s’en tenir. A Ouaga, on soulignait alors que Paris détenait la carte maîtresse : que Gbagbo le veuille ou non, il est sous tutelle française. On ne manquait pas de noter, également, que Guillaume Soro, secrétaire général du MPCI, s’était imposé, au fil des jours, comme un authentique leader politique. On soulignait également qu’il y avait le risque que le MPCI mette à profit le temps qui passe pour renforcer ses positions nationales et internationales. Se structurant véritablement en parti politique, il viendrait mordre largement sur l’électorat RDR (le parti d’Alassane Ouattara), ce qui rendrait le PDCI largement majoritaire dans le pays.

Ce ne serait pas, selon, Ouaga, le meilleur scénario. Ouattara, y soulignait-on en février 2003, est incontournable : il a l’expérience, la compétence, les réseaux relationnels internationaux et une fortune qui, étant faite, n’est plus à faire. Il convenait donc de renforcer l’un (le MPCI) sans amoindrir l’autre (le RDR). Un jeu politique délicat dans lequel Ouaga n’était pas le mieux placé pour agir. Rien n’aurait été pire que de laisser penser qu’on veut y tirer les ficelles à Bouaké pour les tirer, ensuite, à Abidjan.

Soro était d’ailleurs à Ouaga, en février 2003, alors que j’y séjournais. Au lendemain de Marcoussis, chacun pensait encore que le jeu politique en Côte d’Ivoire avait été clarifié ; même si personne ne doutait que Gbagbo jouerait le trouble-fête. Dans la capitale burkinabè, Soro affirmait que "le MPCI combat pour l’Afrique. Nous avons la volonté de changer la Côte d’Ivoire avec tous les peuples de la sous-région".

Ayant à gérer la crise sous-régionale la plus grave à laquelle soit confronté le Burkina Faso depuis son accession à l’indépendance, Compaoré me donnait l’impression d’avoir retrouvé une motivation politique qui paraissait lui faire défaut depuis sa mise en cause, fin 1998, dans l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. La crise ivoirienne aurait immanquablement suscité l’émergence d’une crise burkinabè s’il n’y avait eu cette capacité de l’équipe Compaoré à garder son sang froid et à conserver la maîtrise du débat politique. Il y a à Ouaga un exécutif qui fonctionne dans le cadre des institutions, une opposition qui s’exprime totalement, une population prompte à manifester, une presse qui peu à peu a conquis les moyens de sa liberté. C’est l’ensemble de ces composantes de la société burkinabè qui permet à Compaoré de gérer cette crise au mieux des intérêts de son pays et de ceux de ses ressortissants.

Si Compaoré, au plan sous-régional et international, joue pleinement le jeu diplomatique qui s’instaure alors pour sortir la Côte d’Ivoire de l’ornière, son ministre des Affaires étrangères, Youssouf Ouédraogo, va tenir un langage très ferme à l’égard d’Abidjan, relayé avec la même fermeté par Salif Diallo dont les fonctions de ministre de l’Agriculture ne sauraient faire oublier qu’il est un des très proches collaborateurs du chef de l’Etat et a été une des personnalités politiques majeures au temps de la Révolution et du Front populaire.

La fermeté de la diplomatie burkinabè ne visait pas à s’immiscer dans les affaires intérieures ivoiriennes, ni à soutenir le mouvement des "mutins". Il s’agissait, essentiellement, de mettre fermement en garde Abidjan contre toutes les atteintes aux droits de l’homme à l’encontre des ressortissants "burkinabè" de Côte d’Ivoire en se situant, toujours, dans le cadre légal international.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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