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Surdité : Le courage de Joceline face à un mal qui handicape 5% des Burkinabè

Publié le lundi 27 septembre 2021 à 23h10min

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Surdité : Le courage de Joceline face à un mal qui handicape  5% des Burkinabè

Chaque dernier samedi du mois de septembre, le monde célèbre la journée mondiale de la surdité. À cette occasion, Lefaso.net est allé à la rencontre de Joceline Ilboudo, aujourd’hui entrepreneure et souffrant d’un handicap sonore depuis l’âge de 13 ans.

Instaurée depuis 1958, la journée mondiale de la surdité est une journée internationale consacrée à la sensibilisation sur la surdité et la présentation de la culture sourde, dont la langue des signes. Son but est de faire découvrir au public et surtout de sensibiliser la société sur les réalités auxquelles font face les personnes souffrant de cet handicap invisible.

La surdité peut être définie comme « toute diminution de l’acuité auditive ou de l’audition. Elle peut aller de la simple baisse (hypoacousie) à la perte totale de l’acuité auditive (cophose) », a expliqué Dr Céline Bambara, médecin ORL au CHU Yalgado Ouédraogo, lors d’une rencontre d’information et de formation au profit des hommes et femmes de média sur la surdité en 2019.

Joceline Ilboudo, que nous avons rencontré est une personne souffrant d’hypoacousie. Elle est initiatrice de Pensées D’Africains, une boutique de vente de livres. Elle est également détentrice d’une page YouTube où elle sensibilise la jeunesse et en profite pour vendre ses produits. La jeune femme de 29 ans se présente comme une personne accomplie et bien dans sa peau. Rencontrée au parc Bangréwéogo à Ouagadougou, dans une après-midi ensoleillée, ‘’Jocé Jocé’’ comme elle se surnomme affectueusement nous raconte son histoire.

Joceline Ilboudo, durant une des vidéos publiées sur sa page Facebook

« Je passais en classe de 4e quand mon problème auditif s’est manifesté. C’était précisément pendant les vacances de 5e. Tout au long de ces vacances j’ai souffert de diarrhée. Selon ma famille, c’était un problème banal qui arrive à tous. On a essayé de traiter cela comme on le pouvait mais à la rentrée, je suis tombée sur un professeur qui ne parlait pas fort et c’est à ce moment précis que j’ai senti qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Parce que, durant les classes antérieures, j’avais le même professeur et je n’ai jamais eu de difficulté à l’entendre. Et c’est là que j’ai commencé à me demander qu’est-ce qui n’allait pas. C’est suite à des examens qu’il a été détecté que je souffrais d’une baisse auditive due à une infection. »

Un parcours scolaire semé d’embûches

Après cet événement, Joceline a été confrontée à certaines difficultés. N’ayant pas choisi de se tourner vers des établissements spécialisés, elle a dû faire face au manque de compréhension des professeurs et au manque de connaissance du phénomène. « Quand tu es nouvellement face à un problème, tu ne sais pas comment t’adapter. Le fait de devoir aller chaque fois vers le professeur alors que tu n’es pas la seule élève de la classe, ce n’était pas facile. Cela a fait qu’au début, je me suis vraiment renfermée sur moi-même. »

Néanmoins cette situation ne fut pas un frein pour la presque trentenaire qui décrocha son baccalauréat en 2011. Ayant décidé de poursuivre ses études supérieures à l’université de Ouagadougou, elle fut confrontée aux réalités des universités publiques ; difficultés qui la poussèrent à abandonner. « L’université ne fut pas un long fleuve calme. Déjà, vous savez qu’à l’UO, même sans handicap, ce n’est pas facile. J’étais obligée de venir tôt pour pouvoir m’asseoir devant, sinon je ne pouvais rien entendre. De plus, vu le nombre élevé d’étudiants, les professeurs ne peuvent pas s’attarder sur une seule personne ; donc je me suis résolue à abandonner, parce que j’estimais que ma place n’était pas là-bas. »

Des débuts difficiles dans la vie active

Après avoir raccroché, Joceline a dû exercer de nombreux petits boulots pour se frayer une place dans la société. Avec son baccalauréat, elle a dû exercer le métier d’aide-ménagère, de vendeuse de vêtements avant de suivre une formation de community manager qui lui permit de trouver sa place. Ces expériences n’ont pas été très faciles pour elle, qui encore une fois, fait face à l’incompréhension des personnes. « Je me rappelle une fois, j’étais commerciale dans une boutique de vêtements de la place, un client est venu il m’a dit qu’il voulait tel habit, lorsqu’il a demandé le prix, je n’ai pas bien entendu, je lui ai donc demandé de répéter pour moi lui expliquant que j’avais un petit problème auditif. Et là il me dit mais madame vous êtes là pour vendre où pour raconter ce qui ne va pas chez vous. J’ai été obligée de m’excuser, pourtant je n’avais rien fait. »

« J’espère qu’un jour la société arrivera à considérer les personnes handicapées comme des personnes à part entière, car personne n’est normale, tout le monde a ses propres problèmes » affirme Joceline plein d’espoir

Aujourd’hui, « Jocé Jocé », est initiatrice du projet « Pensées d’Africains » qui est une boutique composée de plusieurs départements : une bibliothèque, une librairie, une offre de service de community manager, un shop qui revend toutes sortes d’articles.

Un handicap beaucoup plus défavorable pour les femmes

Au Burkina Faso, la femme est très souvent rétrogradée au second plan et la surdité est un facteur aggravant, nous confie Joceline. « Un homme qui vit avec un handicap, on l’encourage plus qu’une femme qui vit avec un handicap. J’ai une amie qui est dans la même situation que moi. Dès que son handicap a été découvert, ses parents ont décidé de la retirer de l’école en lui disant que maintenant, c’est mieux qu’elle trouve un homme qui va l’épouser ».

« J’aimerais que quelque chose de concret soit fait parce que nous les femmes, peu importe la situation dans laquelle nous sommes, nous avons droit aux mêmes choses que les hommes », implore « Jocé Jocé ».

Une vie similaire à un parcours du combattant, c’est ce qui ressort du récit de Joceline. Aujourd’hui, la jeune femme arbore un sourire en toute occasion et se dit fière de ce qu’elle a traversé et qui a beaucoup contribué à forger sa personnalité et la personne qu’elle est aujourd’hui.

La surdité, une maladie aux causes curables qui prend de l’ampleur

Les principales causes à l’origine de la surdité sont la malformation congénitale de l’oreille, les séquelles d’un traumatisme de l’oreille moyenne, un paludisme grave, les oreillons, la méningite, la rubéole, la syphilis, la souffrance fœtale pendant la grossesse, l’anémie sévère de la femme enceinte, une toxicité médicamenteuse, mais aussi l’âge qui entraine un vieillissement de l’oreille interne.

La surdité est un handicap qui n’est pas visible au premier abord et qui malheureusement touche au Burkina Faso 5% de la population, soit 1,2 millions de personnes, selon le recensement général de la population et de l’habitation de 2006.

D’après l’OMS (Organisation mondiale de la Santé), dans le monde, plus de 380 millions de personnes sont atteintes de surdité dont 32 millions d’enfants. Et si rien n’est fait, en 2050, 900 millions de personnes, soit une personne sur 10, en seront atteintes. Pourtant, assure Dr Bambara, 50% des causes de cette pathologie sont curables.

Nado Ariane Paré (stagiaire)
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 28 septembre 2021 à 08:32, par Somda En réponse à : Surdité : Le courage de Joceline face à un mal qui handicape 5% des Burkinabè

    Du courage Joce Joce. Continuez a vous battre. Le meilleur reste a venir.

  • Le 28 septembre 2021 à 14:03, par MICHEL APPRIOU En réponse à : Surdité : Le courage de Joceline face à un mal qui handicape 5% des Burkinabè

    Très favorable à cet article qui dépeint les difficultés de cette jeune femme malentendante. Loué soit son courage car il n’est pas facile de porter un handicap qui ne se voit pas. Je le suis moi-même depuis 60 ans suite à une grave maladie aujourd’hui quasiment disparue et comme elle et tant d’autres j’en souffre.
    La surdité ne se voyant pas est totalement ignorée par tous et chacun mais le plus grave est que cela n’arrive pas qu’aux autres et que tout le monde s’en fout. Ici, dans ce BF, la vie très bruyante est source de mal-audition à tout âge. Les bruits de circulation, les sonorisations de fêtes privées et celle des maquis-musique, celle des festivals et tout l’incivisme qui tourne autour me font penser que ces enfants l’âge venant inexorablement, deviendront sourds et gravement malvoyants en grandissant. Est-ce cela que vous voulez pour eux parents inconscients ?
    Des normes et des études démontrant les méfaits graves des excès de décibels et de lumens existent et sont accessibles à tous sur les moteurs de recherche Internet. Informez vous et respectez les pour vous et pour les autres cela aussi est le vivre ensemble

  • Le 28 septembre 2021 à 15:37, par MICHEL APPRIOU En réponse à : Surdité : Le courage de Joceline face à un mal qui handicape 5% des Burkinabè

    Très favorable à cet article qui dépeint les difficultés de cette jeune femme malentendante. Loué soit son courage car il n’est pas facile de porter un handicap qui ne se voit pas. Je le suis moi-même depuis 60 ans suite à une grave maladie aujourd’hui quasiment disparue et comme elle et tant d’autres j’en souffre.
    La surdité ne se voyant pas est totalement ignorée par tous et chacun mais le plus grave est que cela n’arrive pas qu’aux autres et que tout le monde s’en fout. Ici, dans ce BF, la vie très bruyante est source de mal-audition à tout âge. Les bruits de circulation, les sonorisations de fêtes privées et celle des maquis-musique, celle des festivals et tout l’incivisme qui tourne autour me font penser que ces enfants l’âge venant inexorablement, deviendront sourds et gravement malvoyants en grandissant. Est-ce cela que vous voulez pour eux parents inconscients ?
    Des normes et des études démontrant les méfaits graves des excès de décibels et de lumens existent et sont accessibles à tous sur les moteurs de recherche Internet. Informez vous et respectez les pour vous et pour les autres cela aussi est le vivre ensemble

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