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Charles Konan Banny : La mort de « l’homme du centre » !

Publié le lundi 13 septembre 2021 à 12h25min

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Charles Konan Banny : La mort  de « l’homme du centre » !

Charles Konan Banny est mort le vendredi 10 septembre 2021 après avoir été transféré, une semaine auparavant, à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine suite à une aggravation de son état de santé. Il était, depuis plus de trente ans, une personnalité ivoirienne majeure qui se trouvait à la confluence de toutes les familles politiques. Etre un « homme du centre » lui avait laissé penser qu’il devrait jouer un premier rôle au plan national : « Je ferai un jour partie de ceux qui changeront l’Afrique », disait-il. Il assumera des fonctions moins prestigieuses, certes, mais essentielles dans l’histoire troublée de la République de Côte d’Ivoire. Et cela sans jamais renier son engagement rigoureux « d’houphouëtiste » au sein du PDCI.

Né le 11 novembre 1942, à Divo, en pays Dida, au Nord-Ouest d’Abidjan, Charles Konan Banny a étudié tout d’abord à l’Ecole primaire de Yamoussoukro puis au Collège d’orientation du Plateau et au Lycée classique d’Abidjan. Bachelier « sciences ex », il sera admis à l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec) de Paris. Il en sortira en 1968. Revenu en Côte d’Ivoire, il débutera sa carrière dans le cadre de la Caisse de stabilisation et soutien des prix des productions agricoles (Caistab) puis de l’Organisation interafricaine du café (OIC) avant de rejoindre la BCEAO en 1976.

C’est dire qu’il sera un des hommes dont la carrière (à l’instar de celle de Alassane D. Ouattara) aura débuté sous la férule de Abdoulaye Fadiga, premier gouverneur de la BCEAO après avoir été le patron de la Caistab (et un passage par la case prison quand Félix Houphouët-Boigny voyait des comploteurs partout !). Dix ans plus tard, en 1986, Konan Banny sera nommé directeur national de la BCEAO-Côte d’Ivoire, poste qu’il occupait quand Ouattara sera nommé gouverneur de la banque centrale en 1988 à la suite de la mort brutale de Fadiga.

Konan Banny et Ouattara se connaissaient déjà de longue date. Quand, en janvier 1983, Fadiga, alors gouverneur de la BCEAO, avait nommé Ouattara au poste de vice-gouverneur, ce dernier avait cédé son poste de directeur central des études à Konan Banny. Quand le 7 novembre 1990, Ouattara sera nommé Premier ministre de Côte d’Ivoire c’est Konan Banny qui, le 4 décembre 1990, sera nommé gouverneur intérimaire de la BCEAO. C’est le 1er janvier 1994, au lendemain de la mort du « Vieux » et de la démission de Ouattara de son poste de Premier ministre (mais aussi après que la dévaluation du franc CFA ait été décidée par Paris), que Konan Banny sera nommé définitivement gouverneur de la BCEAO, fonction qu’il occupera jusqu’à la fin de l’année 2005.

A noter que Charles Konan Banny était le frère cadet de Jean Konan Banny, avocat baoulé familier de Félix Houphouët-Boigny (c’est lui qui a reçu les condoléances pour le compte de la famille lors des obsèques du « Vieux »), protégé de Mamie Fataï, la sœur aînée de Houphouët, député de Yamousssoukro, maire de la ville-capitale, membre du premier gouvernement formé le 30 avril 1959 par Houphouët (alors Premier ministre), ministre de la Défense de 1961 à 1963 et de 1978 à 1990 (entre-temps, il aura passé quelques années en prison après avoir été condamné à mort… !), et bien sûr membre du bureau politique du PDCI-RDA. Jean Konan Banny a été le délégué du PDCI à la Table ronde de Marcoussis !

Un banquier à la primature au temps de Gbagbo

Au cours du week-end du 3-4 décembre 2005, Charles Konan Banny sera nommé Premier ministre de la Côte d’Ivoire ; il était en charge, dans le cadre de la résolution 1633 du Conseil de sécurité des Nations unies, de sortir le pays de la crise en organisant, en octobre 2006, une élection présidentielle. Il prenait la suite de Seydou Diarra. Cette nomination avait été entérinée à Abidjan par le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, après un ultime entretien avec les présidents Thabo Mbeki et Olusegun Obasanjo qui, aussitôt, iront rendre compte à Jacques Chirac et aux chefs d’Etat et de gouvernement rassemblés dans la capitale malienne à l’occasion du sommet France-Afrique 2005.

Konan Banny était alors le candidat le plus « acceptable par tous » à Abidjan comme à Bouaké, le fief des forces rebelles, en Afrique de l’Ouest comme en France. Le problème cependant, c’est qu’il faisait l’unanimité parce que chacune des parties en présence pensait qu’il serait « à sa main ». Il était le plus grand dénominateur commun entre Henri Konan Bédié et Alassane D. Ouattara (qui venaient de signer un accord électoral de désistement réciproque au deuxième tour de la prochaine présidentielle). Il était, pour Gbagbo et les Forces nouvelles une personnalité du passé sans réelle expérience politique qu’il serait facile (pensaient-ils) de contourner et de déborder. Pour l’Afrique de l’Ouest, étant gouverneur de la BCEAO, il était panafricain. Pour Paris, c’était un technocrate et non pas un politique donc un neutre. En quelque sorte, Konan Banny était en 2005 l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait tout comme l’avait été Ouattara en 1990.

La présidentielle en ligne de mire

Il était cet homme là en 2005 mais cessera de l’être en 2007. La présidentielle n’a pas pu être organisée. Ni en 2005 bien sûr ; ni même le 31 octobre 2006 malgré les pouvoirs accrus qui auront été concédés à Charles Konan Banny par la résolution 1721 du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour Konan Banny, c’était le retour dans l’ombre après la lumière. Il y perdait en visibilité mais y gagnait en perspective.

Premier ministre, il se trouvait du même coup dans l’impossibilité d’être candidat à la présidentielle, ce qui demeurait son ambition. « C’est quand même là un sacrifice non négligeable qui devrait rassurer les uns et les autres » avait-il commenté. Mais sa « stratégie d’attente » et sa volonté de « transiger avec le président en évitant l’affrontement » laissaient penser à beaucoup de commentateurs que son action s’inscrivait dans « une alliance objective » avec Gbagbo. Du même coup, les Jeunes Patriotes mettant sans cesse la pression sur le gouvernement, il était apparu que Konan Banny n’était plus l’homme de la situation.

Le 29 mars 2007, Konan Banny cédera la primature à Guillaume Soro à la suite de l’Accord politique de Ouagadougou, regrettant que Gbagbo n’ait pas voulu, plus tôt, « que les ennemis d’hier se parlent, discutent et envisagent l’avenir du pays ». Pas question pour lui de rempiler à la BCEAO. Ce sera la présidence de la République et rien d’autre. Sous l’étiquette PDCI. Mais Henri Konan Bédié, le patron du parti, veillait au grain : ce sera lui le candidat désigné.

On connaît la suite. Eliminé dès le premier tour de la présidentielle 2010, l’ancien président déchu, instigateur de « l’ivoirité », ne pourra qu’apporter son soutien à Alassane D. Ouattara, l’autre candidat « houphouëtiste ».

Réconciliation et brouilles multiples

Alassane D. Ouattara élu puis installé au pouvoir à la suite de la capture de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, Charles Konan Banny obtiendra la présidence de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDRV). Un choix qui s’imposait : Ouattara le connaissait par cœur, y compris dans ses zones d’ombre ; gouverneur de la BCEAO, il avait été contraint au silence politique pendant toutes ces années ; Premier ministre de Gbagbo, il connaissait les arcanes de l’ancien régime. Et c’était un « houphouëtiste irréductible » qui, pour autant, n’avait pas rejoint la meute des tenants de « l’ivoirité ».

Konan Banny pouvait penser qu’il serait le candidat du PDCI à la présidentielle de 2015. D’autant plus que Henri Konan Bédié n’avait plus l’âge pour être candidat ni même patron du PDCI. Mais le XIIè congrès du parti, en 2013, décidera que l’âge du capitaine importait peu. Quant au capitaine, il décidera que ne pouvant pas être candidat du PDCI à la présidentielle, il n’était pas question que quelqu’un d’autre le soit, et surtout pas Konan Banny. Qui, toujours membre du BP du PDCI, proclamera : « N’ayons pas peur du débat », rappelant au passage qu’il avait incité le « Vieux » à instaurer le multipartisme et avait appelé, en 2007, à « l’union sacrée ».

Le « débat » portait sur « l’appel de Daoukro » lancé par Bédié en 2014. Il avait assuré Ouattara qu’il sera « le candidat unique pour l’élection présidentielle », dénonçant « les irréductibles qui voudront se présenter en leurs noms propres ». Il s’agissait de Konan Banny (qui avait qualifié l’appel de Daoukro de « coup de force inacceptable ») et de tous ceux qui, opposés au candidat unique « houphouëtiste » pour la présidentielle de 2015, tentaient leur chance notamment au sein de la Coalition nationale pour le changement (CNC).

« Ouattara n’est plus mon ami », proclamera publiquement Konan Banny qui développera un discours tout en « ruptures » qu’il s’agisse de Ouattara (qualifié de « sécurocrate »), de Bédié, de Gbagbo (y compris de Simone), de Guillaume Soro, parlant de lui, désormais, à la troisième personne. « Gouverner ce n’est pas frustrer ! Gouverner ce n’est pas humilier ! Gouverner ce n’est pas exclure ! » dira-t-il dans son message de nouvel an pour 2015. Candidat à la présidentielle de 2015, en tant que dissident du PDCI, il retirera finalement sa candidature à la dernière minute. Ouattara, candidat du RHDP (dont le PDCI était membre), obtiendra près de 84 % des suffrages !

Du même coup, Konan Banny reviendra rapidement dans le giron du PDCI (« Je n’étais parti nulle part », dira-t-il, commentant ce que certains qualifiaient de « retour » ; il ajoutera : « Bédié et moi n’avons jamais été fâchés ») et il militera pour une candidature PDCI en 2020 au nom de « l’alternance au pouvoir » entre RDR et PDCI, considérant qu’il était le mieux placé pour cette candidature.

Ouattara ne devait pas être candidat en 2020. Mais la mort brutale de Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et candidat du RHDP à la présidentielle, changera la donne. Il remportera plus de 95 % des voix. Bédié, qui s’est présenté au nom du PDCI, finira troisième et s’accoquinera, un temps, avec le FPI pour faire opposition à la victoire de Ouattara. Quant à Charles Bonan Banny le combat politique n’était plus sa préoccupation. Il s’occupait de ses plantations et de son business.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
12 septembre 2021

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Vos commentaires

  • Le 13 septembre 2021 à 13:13, par AMKOULEL En réponse à : Charles Konan Banny : La mort de « l’homme du centre » !

    Voilà le prototype même de l’Africain au service des intérêts françafricains et résolument contre les intérêts Africains. Il est mort, que le vent l’emporte loin des mémoires des dignes fils de ce continent, qu’il a travaillé toute sa carrière à les asservir au profit de ses maitres de Washington, Londres et Paris. Lui, que ses maitres de Paris et Washington vont imposer à Gbagbo à la primature a été au four et au moulin pour implémenter la dévaluation du FCFA en 1994. Il va orchestrer avec ses amis la plus grande évasion monétaire et planqué les sous à l’étranger, le plus vulgaire délit d’initié et revenir narguer les misérables populations avec "oui la dévaluation a permis un changement de comportement des africains dans le bon sens..." malgré que cela a poussé plusieurs banques a quitté la zone franc, des centaines d’entreprises à péricliter, à jeter des centaines de milliers de travailleurs dans une précarité abjecte. Ce Monsieur bedonnant avec des yeux gluants de hiboux a été une catastrophe pour les peuples africains et sa mort ne nous attriste point. Au suivant !

  • Le 13 septembre 2021 à 14:20, par zemosse En réponse à : Charles Konan Banny : La mort de « l’homme du centre » !

    Paix à son âme
    Pourquoi un pays dit riche comme la Côte d’ivoire envoie t elle ses malades en France ? Après 62 ans de indépendance !

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