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Réponse humanitaire au Burkina : « Le pays a les ressources pour construire l’avenir », se convainc Metsi Makhetha

Publié le vendredi 23 juillet 2021 à 22h50min

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Réponse humanitaire au Burkina : « Le pays a les ressources pour construire l’avenir », se convainc Metsi Makhetha

Depuis 2016, elle était la coordonnatrice du Système des Nations-Unies au Burkina Faso. En fin de mission au Pays des hommes intègres en juillet 2021, Metsi Makhetha dresse un bilan de sa gestion, dans une interview qu’elle nous a accordée. Pour elle, le défi majeur du Burkina, c’est la sécurité et l’accès aux services de base.

Lefaso.net : Quel bilan succinct dressez-vous à l’issue de votre séjour au Burkina Faso ?

Metsi Makhetha : Tout d’abord, il est important pour moi de dire, en tant que représentante du Système des Nations-Unies, qui doit à la fois représenter et le Secrétaire général et qui doit diriger le travail des Nations-Unies à travers les agences, aujourd’hui, le Burkina Faso bénéficie d’un appui des Nations-Unies qui est assez conséquent.

Quand je dis conséquent, cela veut dire que nous étions amenés à voir comment au fur et à mesure que nous faisions le parcours d’accompagnement du peuple burkinabè, il a été nécessaire de voir quels autres instruments déployés pour faire ce travail de manière adaptée.

La réponse directe. En dépit des difficultés que le pays traverse, je dirai qu’au niveau de l’Organisation, j’ai le sentiment d’une mission accomplie. Et de cette mission, le bilan des Nations-Unies peut se mesurer comme suit : dès le moment où il a fallu être proche du peuple burkinabè avec le changement du contexte, alors qu’il y avait pour certaines zones des difficultés, nous, en tant que les Nations-Unies, le choix qui a été fait était de rester auprès du peuple. En 2019, nous n’étions pas sur le terrain dans les cinq régions, aujourd’hui nous avons une présence opérationnelle, une présence qui accompagne le peuple burkinabè, une présence qui assure le gouvernat burkinabè de l’accompagnement du système. Voilà le premier bilan.

Deuxième chose, le pays traverse certes des difficultés mais on a accompagné le pays à engager avec des partenaires, avec des instruments adaptés à ce contexte. Et qui dit adaptation, on a eu une situation qui a bousculé, qui a créé des besoins humanitaires. Le bilan par rapport à cela est qu’on a vite mobilisé sur la base des instruments et aussi sur les capacités nationales afin qu’on puisse rester avec nos frères et sœurs qui avaient tout laissé derrière. Aussi, on a pu mobiliser la communauté nationale pour pouvoir être au service du peuple burkinabè.

Troisième chose, les Nations-Unies au niveau international, le Burkina Faso a eu aujourd’hui une solidarité sans égale. Et je pourrai dire que sans cet engagement avec le gouvernement, sans cet engagement avec les partenaires, on ne serait pas au niveau où nous sommes par rapport aux partenariats que nous avons noués aussi bien au niveau local, au niveau régional, et surtout au niveau international.

Et le dernier qui est le pourquoi du tout cela, c’est qu’en tant qu’acteurs, nous avons tout fait pour que les acquis soient préservés et que nous travaillions de sorte à ce que nous puissions y aller ensemble en tant qu’acteurs. C’est pour cela que tout le monde parle de nexus au Burkina Faso. Qui dit nexus veut dire qu’il faut qu’on travaille ensemble en synergie, mais il faut que cela soit vers les mêmes objectifs dans des localités et avec les communautés, dans les cadres des aspirations des Burkinabè. Voilà en quelque sorte le bilan que je peux donner. En quelque sorte je suis satisfaite.

Quels sont pour vous les défis les plus urgents à relever dans la situation du contexte actuel ?

Pour le contexte actuel, vous-mêmes vous l’avez suivi. Le défi majeur pour les Burkinabè, surtout ceux qui sont dans les régions, c’est la sécurité physique et la protection des personnes. Nous avons tous besoin de la quiétude.

À cause de ce contexte, l’autre défi est l’accès aux services sociaux de base. Il y a des localités où les populations n’ont pas forcément accès aux services de base. Le troisième défi est de prêter une attention particulière à la manière dont on crée les conditions de vie des populations vivant dans les périphéries pour qu’ils se sentent concernés et qu’on vive ensemble en paix.

Quel type d’aide apportez-vous aux Personnes déplacées internes (PDI) ?

Le type d’aide est multisectoriel. Quand on a tout laissé derrière, on a besoin d’abris, on a besoin d’articles ménagers essentiels, on a besoin d’eau, les enfants doivent aller à l’école et aussi d’être en paix avec la communauté d’accueil. Le type d’aide qu’on apporte c’est vraiment l’aide qui tient en compte la totalité de ces besoins multisectoriels. Donc nous nous sommes organisés pour pouvoir apporter ce minimum dans la première phase de l’installation des familles mais dans le temps, on a besoin qu’il y ait des actions de développement parce que la réponse humanitaire ne peut pas durer dans le temps. Il ne faut pas lier l’urgence aux actions de développement afin que les familles puissent avoir une vie digne. Mais c’est vrai qu’on n’en est pas encore là.

L’autre chose, c’est que la réponse humanitaire telle qu’elle est organisée, il faut qu’elle soit vue comme une opération qui appuie l’action des autres et qui doit aider aussi les populations. En apportant notre aide, on aide les populations mais on fait le pont avec les autorités pour bien structurer les populations dans le temps afin de sortir de cette situation. En quatre ans, l’aide totale qui a été mobilisée peut être estimée à 326 milliards de francs CFA. Et cette aide a permis de soulager sept millions de Burkinabè.

En tant que coordonnatrice du Système des Nations-Unies, en quittant le Burkina Faso, avez-vous des craintes ?

Le Burkina Faso a des hommes et des femmes de qualité. Certes le pays a des difficultés, mais le Burkina Faso a le capital humain et socio-culturel. Je crois que le Burkina a les ressources pour construire l’avenir de ce pays. Le chemin ne sera pas facile, vu le contexte, mais les capacités y sont. Je n’ai rien à craindre mais je souhaite juste que les Burkinabè ne lâchent rien, qu’ils gardent cette résilience, qu’ils sachent que ce chemin, c’est le parcours que doit traverser le Burkinabè et il doit y arriver.

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée positivement au Burkina Faso ?

Souvenez-vous que je suis arrivée après l’insurrection populaire [des 30 et 31 octobre 2014]. Je peux dire que c’est le dynamisme de la jeunesse burkinabè qui croit en son pays et c’est très important, car c’est nous-mêmes qui devons développer nos pays. Ça, c’est la première des choses.

Deuxième chose, même si on a la classe politique burkinabè qui, quoi que l’on dise, est assez responsable. Il faut qu’on ait un débat contradictoire. On ne peut pas être tout le temps d’accord. Cette maturité de créer les espaces de contradiction, ça fonde mon espoir.

Le Burkina Faso, en Afrique de l’Ouest, a toujours, en terme de liberté de presse, été à la hauteur et c’est ce qu’il faut garder, qu’il faut bien protéger et vous en tant qu’hommes et femmes de presse, il faut bien protéger cela.

Qu’est-ce qui vous a marquée négativement ?

C’est souvent difficile, parce que je ne vois pas la vie en verre et moitié vide. Je vois la vie toujours en verre moitié plein. Je me protège toujours et j’ai toujours du mal à faire ressortir le négatif. Je préfère transformer le négatif et me demander qu’est-ce qu’on peut faire de ces négativités.

Après cinq années passées à la tête de la coordination de l’action humanitaire, comment a évolué la situation humanitaire au Burkina Faso ?

Les événements tragiques de Solhan du 5 juin 2021, j’ai une pensée pour toutes les familles qui ont perdu leurs parents. Il y a beaucoup de familles endeuillées. Chaque attaque crée des déplacements. En plus de perdre leurs familles, je crois que cette attaque a généré près de 18 000 personnes déplacées. Les besoins humanitaires se sont augmentés, rien qu’avec cet événement. Vous suivez aussi ce qui se passe à l’Est. Rien que cela, vous voyez la réalité.

La réponse est en cours mais les besoins augmentent du jour au lendemain. Ce qui fait qu’avec le contexte, les besoins dépassent la capacité de la réponse. Mais les partenaires et les acteurs restent résolument sur le terrain pour apporter une réponse adéquate et conditionnée par la disponibilité des moyens financiers. Aujourd’hui, nous n’avons pas tout, du point de vue financier, mais avec ce qui existe, les équipes ont pu même aller à Sebba pour apporter l’appui aux familles qui venaient d’être installées. Etant donné que ce sont des situations qui nécessitent des réponses rapides, on a activé cette réponse rapide afin que les familles puissent être soulagées.

Je dirai que la situation évolue. La réponse est au niveau où il faut qu’on garde le cap et avec l’évolution de cette situation, on doit s’adapter. Même par rapport à l’accès aux populations, il a été nécessaire qu’on déploie davantage les moyens pour pouvoir avoir accès. Le service humanitaire aérien a beaucoup servi pour nous permettre d’aller dans des zones qui autrement, n’étaient pas accessibles pour les populations. Le fait aussi qu’on ait des acteurs locaux qui sont des Burkinabè qui participent, cela aide à construire des pans, à ce que les populations ne soient pas laissées pour compte.

En début de cette année, vous avez lancé « Plan de réponse humanitaire Burkina Faso ». Pour vous, quels sont les principaux résultats que nous pouvons retenir et quels sont les objectifs clés ?

Le Plan de réponse qui était lancé, c’est d’abord un plan pour le peuple burkinabè. On se réjouit que ce soit un plan qui a été lancé avec le gouvernement pour accompagner les Burkinabè.

Deuxième chose, ce plan, dans ses objectifs stratégiques, reconnaît qu’il y a l’urgence mais à la fois, il faut qu’il y ait un travail en synergie avec les autres acteurs (acteurs de développement comme ceux et celles qui sont sur le terrain, qui travaillent sur la cohésion sociale).

L’autre point phare pour ce plan, c’est une attention particulière sur la protection des filles et des femmes, vu la situation très délicate sur le terrain.

Et enfin, on prête encore une attention assez spécifique que cette réponse ne soit pas une substitution mais un renforcement des capacités au niveau local. Il faut que ce soit un investissement dans l’humanité et que ce soit des institutions burkinabè qui apportent la réponse.

Selon vous, quels sont les défis clés à relever dans la situation et le contexte actuels et aussi quelles sont les difficultés que rencontrent les acteurs dans la mise en œuvre du « Plan de réponde humanitaire » ?

Le défi majeur, c’est d’avoir accès aux populations dans des zones d’accès difficile. Il s’agit de faire savoir aux populations que nous les Nations-Unies et le gouvernement burkinabè sommes là pour les accompagner. Les populations ne doivent pas se sentir délaissées. Je crois que c’est là le défi majeur. Les efforts sont déployés mais les populations ignorent qu’on se soucie d’elles. On doit communiquer pour que les populations ne soient pas désespérées. Sinon, nous sommes en dialogue permanent avec le gouvernement ; aussi bien le ministre de l’Action sociale que les ministres de la Défense et de la Sécurité.

Durant votre mandat, vous avez beaucoup travaillé à l’opérationnalisation du nexus humanitaire développement et paix. De façon simple, qu’entend-on de nexus HDP et quelle est sa plus-value dans la réponse humanitaire ?

Rire. Soulager la souffrance, ce n’est pas une solution, c’est juste soulager la souffrance. Le nexus, c’est dire qu’au-delà de l’action humanitaire, il faut quand même que les familles trouvent leur dignité et leur espoir en dehors d’une assistance humanitaire. Il faut que les familles aient des opportunités pour gagner leur vie. Il faut que les services sociaux de base soient apportés de manière pérenne ainsi que les investissements soient structurés dans ces zones à pression afin qu’il n’y ait plus ces vulnérabilité et fragilité qui créent des fois ce qu’on voit dans ces zones. Et l’objet du nexus, c’est justement pour qu’on construise cette convergence.

Concrètement, je peux donner un exemple. J’ai suivi un camp dans la région du Centre-Nord, à Kaya, les premiers arrivés à Barsalogho. Il a fallu avec des actions d’urgence faire ce qu’on appelle « Water tracking », le fait d’apporter de l’eau avec des camions d’eau. On ne peut pas faire ça dans la durée. Et le nexus a consisté à avoir des points d’eau au-delà de l’investissement humanitaire. En deux ans, on est passé de 5000 à 100 000 personnes avec le réseau d’ONEA. Le nexus a accéléré la fourniture d’eau.

Quelle lecture faites-vous de l’avancée de la question spécifique du genre particulièrement pour la femme au Burkina Faso ?

Le Burkina Faso est très engagé dans le débat concernant la condition de la femme. Je le dis parce que j’ai fréquenté des jeunes et j’ai travaillé avec quelques-uns. Au niveau de la jeunesse burkinabè, la prise de conscience est un acquis. Pour moi, cet acquis veut dire que d’ici dix ans, on va voir les institutions qui vont refléter ceux qui vont les représenter. Maintenant, on gère le passé. Et dans le passé qui est reflété maintenant, même si le débat est là, mais le quota ne reflète pas cette réalité parce que nous sommes toujours dans le passé, ce qui devrait être construit pour les partis politiques. Si on n’a pas fait dans les partis politiques, ça ne va pas être reflété à l’Assemblée. Je crois que c’est le cumul du passé, du comportement du passé.

L’autre chose c’est que dans l’administration, il y a quand même des femmes ; on voit cet effort. Le gouvernement a voulu faire l’effort mais il n’y est pas encore. Nous savons que l’engagement y est mais en termes de leadership en la participation des femmes, je crois que le gouvernement peut faire davantage. Mais nous savons que le gouvernement est très engagé.

Par rapport à la jeune fille, il y a beaucoup de choses qui sont faites et c’est cette jeune fille qui va être la femme de demain et représenter le futur du Burkina Faso. Avec la « Génération égalité », le Burkina Faso était très bien représenté et porté son engagement.

Propos recueillis par Cryspin Laoundiki
Ariane Nado Paré (Stagiaire)
Images : Bonaventure Paré
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