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La question de la dynamisation de la commission nationale des langues burkinabè ; enjeux et perspective

Publié le mardi 13 juillet 2021 à 10h03min

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La question de la dynamisation de la commission nationale des langues burkinabè ; enjeux et perspective

Résumé :

Cet article traite de la problématique du fonctionnement de la commission nationale des langues du Burkina Faso (CNLB). A partir d’entretiens, de fouille d’archives et de l’analyse croisée de toutes ces sources, la naissance, la mission, les outils de fonctionnement, les acquis et les difficultés de fonctionnement de la commission nationale ont été ont été analysés. Il ressort que les fora et ateliers organisés depuis 2010 pour la sortir de son hibernation depuis 1984 se sont plus focalisé sur l’ancrage institutionnel que sur la rupture de son inscription budgétaire suite à son rattachement au ministère en charge l’enseignement supérieur et de la recherche, aspect essentiel de sa survie.

Introduction

Les langues nationales, officialisées ou non, revêtent une importance capitale dans un pays. Elles jouent un rôle politique, social économique et culturel. Elles constituent le socle de l’identité d’une communauté humaine. Depuis 1953, l’UNESCO avait souligné l’importance de prendre en compte les langues nationales dans l’éducation. La conférence des chefs d’Etats et de gouvernements africains a reconnu depuis 1963, l’importance des langues africaines dans la confirmation de leur indépendance, de leur souveraineté et de la nécessité d’en faire des outils de développement.

L’article 29 de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) mentionne que « les langues de travail de l’Organisation et de toutes ses institutions sont, si possible, des langues africaines, ainsi que l’anglais et le français ». La mention « si possible » avait tout son sens parce que les langues africaines devaient d’abord être décrites, outillées et instrumentées afin de répondre aux aspirations légitimes de développement et d’intégrité du continent.

Au Burkina Faso ( ex Haute Volta), les plus hautes autorités ont mis en place une instance chargée de faire des langues nationales des outils d’intégrité et de développement économique, social et culturel depuis 1969. Elle a fonctionné jusqu’en 1984, puis elle a connu des périodes de disfonctionnement ou même de léthargie.

Des actions ont été entreprises pour sa dynamisation. On note entre autres, le forum des langues tenu les 10, 11 et 12 mai avec pour thème « Les langues nationales, levier du développement socio-économique et culturel du Burkina Faso ». Ensuite, ce fut la succession des ateliers, notamment en 2015 à Bobo Dioulasso, en 2017 à Koudougou, en 2018 encore à Bobo Dioulasso et en 2020 à Manga.

La rencontre de Bobo Dioulasso tenu les 14, 15 et 16 août 2018 sur l’harmonisation des règles orthographique semblait la plus orientée vers les besoins de la Commission Nationale des langues burkinabè (CNLB) . Si toutes ces rencontres n’aboutissent pas aux résultats escomptés, on pourrait se poser la question suivante : N’y aurait -il pas des aspects pertinents omis dans les débats sur la dynamisation de la CNLB de 1984 à nos jours ?

L’objectif principal est de mettre en lumière, s’il en existe, les faits ignorés ou négligés dans la recherche de dynamisation de la commission nationale des langues
Nous partons de l’hypothèse que si les débats se succèdent sans succès sur la dynamisation depuis plus d’une décennie, c’est que la cause réelle est omise ou ignorée.

Après un bref rappel de la méthode de collecte des informations, nous évoquerons d’abord la création de la commission nationale, ses outils de fonctionnement et ses acquis, ensuite les difficultés de fonctionnements et les tentatives de solution, le non-dit sur le budget de la CNLB, et enfin l’interprétation du flou supposé de ses textes de création

Méthodologie

Pour disposer des données sur la commission nationale des langues, nous avons d’abord consulté les archives de l’INSS. Ensuite nous avons réalisé des entretiens individuels semi-directifs auprès des personnes de ressources. Certains sont même filmés et gardés aux archives sonores de l’INSS. Il s’agit de deux (2) personnes qui ont dirigé la structure en charge du secrétariat permanent de la commission nationale des langues identifiées ici par A1 et A2, de trois (3) linguistes nommés Ling1, Ling2 et Ling3, d’un agent de liaison qui a servi le courrier de la CLNV/CNLB et des sous-commissions nommé C1, d’un chauffeur retraité C2, de quatre (4) responsables de sous-commissions nationales codés B1, B2, B3 et B4.

Certains parmi eux, avant d’aller à la retraite, ont occupé de hautes fonctions administratives et politiques au Burkina Faso. Nous avons également échangé avec deux agents, Ag1 et Ag2, qui avouent être recrutés au nom de la CNLB. Nous prenons en compte aussi les avis de Ag3, un agent du DLLN assumant actuellement une certaine responsabilité. Pour croiser les informations ou tout simplement enrichir notre corpus, nous avons fouillé les archives d’autres structures.

Nous avons ainsi été au secrétariat général du gouvernement, au service de la documentation et des archives du ministère en charge de l’éducation nationale et de la promotion des langues nationales, au service des archives du ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et enfin aux archives nationales. Pour les entretiens exprimant des points de vue convergents, nous n’avons retenu que les plus riches.

La naissance de la Commission Nationale des Langues Voltaïques (CNLV)

Au Burkina Faso (Ex Haute Volta), les premières autorités ont très tôt compris la nécessité de mettre en place les jalons pour l’utilisation effective de nos langues. Le 17 janvier 1969, Feu le Président Aboubacar Sangoulé Lamizana signait le décret no 69-012/PRES portant création de la Commission Nationale des Langues Voltaïques (CNLV).

Placée sous la tutelle administrative du Ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports (MENJS), cette CLNV avait pour mission « d’encourager et de coordonner les études sur les langues voltaïques ; se prononcer sur la valeur des textes établis dans les différentes langues voltaïques ; de contribuer à la définition des vocabulaires de base et des syntaxes des langues voltaïques ; de codifier les systèmes de transcription et de grammaires des langues voltaïques ». C’est après que le volet « revalorisation des langues » été ajouté.

A cette époque, le pays ne disposait pas encore d’un ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Avant l’année 1978, nous lisons dans les archives de l’INSS, une copie conforme du Décret N°75-488.PRES. EN du 16 décembre 1975 portant modification autre décret no 69-012/PRES du 17 janvier 1969 portant création de la CNLV.

Ce décret stipule en son article 2 que « la Commission Nationale des Langues Voltaïques est placée sous l’autorité du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique » et en son article 9, que « le Ministre de l’Education Nationale est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République et communiqué partout ou besoin sera »

En 1978, deux décrets mentionnant la CNLV ont été adoptés. Le décret n°78-256/PRES du 16 juillet 1978 portant composition du gouvernement de la Haute Volta notifie la création du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS) en nommant à sa tête Arouna Traoré et le décrét n°78-262/PRES portant définition des secteurs ministériels ramenant la CNLV du ministère en charge de l’éducation nationale au MESRS comme organe rattaché au Centre Voltaïque de la Recherche Scientifique (actuel CNRST). Le Ministère de l’Education Nationale et de la Culture (MENC) était alors dirigé par Domba Konaté.

Les outils de fonctionnement de la CNLV

Le décret no 69-012/PRES du 17 janvier 1969 instituant la CNLV et publié dans le journal officiel (JO) du 23 janvier 1969 évoquait déjà les pistes de son fonctionnement. L’article 2 de ce décret note que « Pour l’exécution de sa mission de codification grammaticale, la commission nationale procède par « actes » ou « décisions » qui ont un caractère officiel et font l’objet de la publicité appropriée ».

Aussi, la Commission était autorisée à s’adjoindre « toutes personnes dont les avis lui paraitraient utiles » (JO 69, p.58). Les dispositions de cet article 2 sont remplacées dans le décret no 75-488.PRES. EN par ceux de l’article 3 en ces termes : « Pour l’étude de chaque langue voltaïque, il sera créé une Sous-Commission Nationale par arrêté du Ministre de l’éducation nationale ».

Les articles suivants de ce décret 75 instaurent un règlement intérieur sur approbation du ministre de tutelle et attribuent les fonctions de Secrétaire Permanent de la CNLV au Directeur de l’Office National de l’Education Permanente, de l’Alphabétisation Fonctionnelle et Sélective. Il faut rappeler que c’est avec le décret n°78-262/PRES que l’Institut de Recherche en Sciences Sociales et Humaines (IRSSH), actuel Institut des Sciences des Sociétés (INSS/CNRST) s’est vu confier le secrétariat permanent.

Dès sa création, La CNLV, comptait parmi ses membres permanents, les ministères en charge de la culture, de l’intérieur, de la sécurité, de l’information et des représentants des trois grandes confessions religieuses Elle disposait également d’un règlement intérieur et des Sous-Commissions pour son fonctionnement. Le règlement intérieur définit les conditions de fonctionnement de la commission.

On y trouve les attributions du secrétariat permanent, des Sous-Commissions, le fonctionnement des Assemblées Générales (AG) annuelles et des orientations pour l’utilisation du Budget alimenté principalement par les crédits alloués par le gouvernement. Les textes des Sous-commissions sont calqués sur ceux de la commission nationale.

Elles constituent le lieu de réalisation des activités de recherche et de promotion des langues nationales, avec l’appui du comité technique composé de spécialistes des langues à la solde de la CNLV. Chaque Sous-Commission de langue établissait, en principe, son programme d’activité en début d’année et son rapport d’activités en fin d’année et en tient informée la commission nationale. Elles bénéficient (ou bénéficiaient) chacune, d’un petit budget de fonctionnement. Ce qui lui permettait de faire un rapport financier en fin d’année.

Au niveau des archives de la CNLB, le rapport financier de 1982 par exemple fait état d’une subvention de 250 000F CFA pour chacune des 14 Sous-Commissions (SC) de l’époque. Au regard des besoins, certaines SC demandaient des subventions spéciales à la CNLV pour des recherches/études ou acquisition de matériel spécifique (machines à caractères spéciaux pour langues nationales).
Le SP établit les projets, coordonnes les activités des SC, noue des relations avec des organismes en Afrique et ailleurs dans le but d’atteindre les missions assignées à la CNLB.

Les SC ont une organisation autonome. Elles ont seulement obligation de tenir informé le SP sur leurs programmes et rapports d’activités, et de leur donner les copies de documents produits. Ce qui permet au SP d’être mieux informé afin de leur apporter l’appui adéquat.

Les acquis de la CNLV/CNLB

Les chercheurs en charge des langues nationales se sont pourtant bien battus à l’époque et ont produits des résultats. Nous l’avons dit plus haute, le Secrétaire permanent a pour mission de nouer des relations nationales et internationales au profit des langues nationales. C’est ainsi qu’après des rencontres successives et annuelles de concertation entre chercheurs à Abidjan, à Nouakchott et à Lomé dans le cadre de la thématique « Atlas et Etudes sociolinguistiques des Etats du Conseil de l’Entente (ASOL) », il y eut la signature de contrat entre le PNUD et le CNRST en 1978 dont l’objectif était de « fournir des renseignements susceptibles d’aider à la mise en place du projet de réforme de l’enseignement ».

L’ambition était d’introduire les langues nationales dans le système scolaire comme véhicules et matières d’enseignement. Suite à ce contrat, une équipe de recherche est mise en place à l’INSS (ex IRSSH) dirigé par A1. Cette équipe a procédé à des enquêtes topologiques ayant conduit à la rectification orthographique de toponymes au Burkina Faso (ex Haute Volta).

Il y a eu des enquêtes linguistiques qui ont permis d’affiner la classification des langues et l’élaboration de la carte linguistique en 1982. Et enfin, les enquêtes sociolinguistiques ont permis d’établir la dynamique des langues et l’orientation pour leur prise en compte dans la réforme de l’enseignement. La CNLB a compté très tôt des acquis. A titre illustratif, nous citons entre autres ;

-  La codification de l’Alphabet National Voltaïque adopté par le décret n° 79/055/PRES/ESRS du 2 février 1979 ;
-  L’enregistrement sur bande magnétique et sur cassettes de l’Alphabet National en mars 1980, cassettes distribuées gratuitement à toutes les Sous-Commissions existantes ;

-  Les enquêtes linguistiques, sociolinguistiques sur l’ensemble du territoire ayant conduit, en plus de la carte susmentionnée, à la rédaction des œuvres intitulés :
• Situations des langues parlées en Haute-Volta (1982)
• Langues et groupes ethniques en Haute-Volta (1983)
• Langues du Burkina Faso : les langues gurunsi (1986)
-  L’organisation des journées internationales de l’alphabétisation en 1979, en 1980 et en 1981

-  La participation du Secrétaire Permanent aux débats télévisés et à des campagnes de sensibilisation sur les langues nationales auprès de certains cabinets ministériels entre 1979 et 1984
-  L’organisation de réunion de linguistes afin de créer un pont entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée avant 1982

-  La supervision de la traduction et de la mise en musique du Ditanyè en quatorze (14) langues nationales sous la révolution
-  La traduction de la constitution dans treize (13) langues nationales
-  La traduction du code électoral dans trois (03) langues nationales
- Les études sur la grammaire et sur l’orthographe, la confection de syllabaires. Réalisées avec les SC.

Le DLLN semble même être le fruit de la CNLB. Selon Ag1, tous les agents du DLLN sont recrutés au compte de la CNLB. Mais après vérification, les fonctionnaires mis à la disposition ou recrutés au nom de la CNLB ne valent pas la moitié du personnel dans ce département, même si tous exécutent le programme du DLLN en lien avec les missions de la CNLB.

Au niveau du personnel, le dernier recrutement de chercheur au compte de cette CNLB date de 2017. Suite à un besoin exprimé par le département linguistique et langues nationales (DLLN) de l’INSS, Ag2 est recruté avec son doctorat par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation et mis à la disposition de l’INSS puis affecté à ce département. Dès sa prise de service, Ag2 dit avoir reçu une lettre de mission avec des indications claires sur ce qu’il doit faire pour la CNLB. Mais il a trouvé une situation difficile. Ce qui ne lui facilite pas la tâche.

Les difficultés fonctionnement de la CNLB

En relisant le procès-verbal de la 6e Assemblée Générale de la CNLV tenue le 07 janvier 1982, on constate que la Commission a connu des difficultés de fonctionnement liées à la non tenue d’AG en 1980 et en 1981. La raison évoquée en était la conjoncture nationale défavorable.

Quelques années plus tard, cette CNLV se grippe à nouveau, et cette fois pour de bon. On ne parle plus d’AG, les Sous-Commissions ne reçoivent plus la subvention de l’Etat et, de ce fait, ne fonctionnent plus que par bénévolat. Un des acteurs clé, en l’occurrence A1, note récemment que « La rupture du financement intervenue depuis 1984 a entrainé la CNLB dans une hibernation d’où elle doit sortir le plus urgemment possible ».

Tout comme A1, C1 accuse le manque de moyen sans pour autant accepter s’aventurer dans des commentaires. Il reconnait que quand tout allait bien, il parcourrait beaucoup de services et savait exactement où amener un courrier pour la création de SC et un courrier destiné aux autres services. C2 avoue avoir parcouru une grande partie du territoire avec ses supérieurs pour localiser géographiquement les différentes langues et échanger avec les locuteurs de ces langues. Mais, lui non plus ne sait pas pourquoi ce n’est plus ainsi. Pour A2, la question des langues n’intéresse personne en réalité.

Il fait partie des personnes sceptiques quant à l’utilité des langues tant vantée par les didacticiens et trouve même dangereux de vouloir faire une politique claire, car pour lui « le flou au niveau politique maintient la cohésion sociale ». Le non fonctionnement de la CNLB n’est donc pas un souci. Des frustrations internes pourraient traduire cette position, parce que A2 est en réalité un spécialiste de la chose linguistique. B2, qui est président d’une des trois plus grandes Sous-Commissions, insiste sur les raisons internes à la CNLB comme étant sources de disfonctionnement.

Il souligne que certains premiers responsables du secrétariat permanent ont passé le temps à favoriser leur langue en empêchant les autres Sous-Commissions d’émerger ou en alourdissant la procédure de reconnaissance officielle des Sous-Commissions pour certaines communautés linguistiques. Ce qui a contribué à les décourager. A2, B3, B4 et Ling3 ont évoqué des situations similaires. Lors des ateliers, ces frustrations sont très souvent rapportées dans les échanges, mais elles n’apparaissent nulle part dans un rapport.

Certaines communautés linguistiques disent avoir fait le tour des ministères en charge de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de l’administration territoriale en vain pour la reconnaissance de leurs Sous-Commissions. Et ceci, par manque d’information sur la procédure de reconnaissance officielle des SC. Il nous a par exemple été difficile de trouver un seul arrêté de création des SC dans les archives de l’INSS. La reconstitution est actuellement faite à partir du journal officiel. Les 60 casiers destinés au SC sont actuellement vide à l’INSS.

Au niveau des fora et ateliers susmentionnés, il ressort que la CNLB a bien fonctionné entre 1978 et 1991, avec des activités intenses entre la date de sa création et la période de la révolution. Et les difficultés qui l’ont mise en hibernation sont citées par ordre d’importance. La première, semble-t-il, est son ancrage institutionnel, la deuxième est liée à la dispersion de sa mémoire dans plusieurs ministères. Et la question de son financement vient en troisième position des difficultés.

Des solutions ont été proposées pour chaque type de difficultés.
Pour l’ancrage institutionnel, Après relectures des textes au Forum de 2010, la proposition majeure de était de placer la CLNB sous l’autorité directe de la présidence du Faso. Ce qui fut sans suite. A l’atelier de 2015 consacré au diagnostic et à la proposition de pistes de dynamisation, il a été proposé que la CNLB soit placée sous l’autorité du Ministre de la Recherche Scientifique et de l’Innovation.

A l’atelier de Koudougou tenu les 15, 16 et 17 février 2017, il y a encore eu une relecture des textes de la CNLB avec les membres présents des sous-commissions. Et cette fois-ci, une équipe de 5 personnes a été mise en place pour rencontrer les autorités et en parler de vives voix. Il y avait une volonté manifeste de certains organisateurs de remettre la CNLB au MENA qui a financé cet atelier, même si certains représentants du secrétariat permanent de la CNLB présents dans la salle étaient visiblement contre cette idée après avoir compris que tout avait été discuté et préparé avant l’atelier.

Les Cinq personnes ainsi mandatées n’ont jamais été reçues par les autorités. Le dernier atelier, celui de Manga tenu du 20 au 25 juillet 2020 sur la dynamisation de la CNLB et de ses sous-commissions, a eu lieu au moment où la question de la promotion des langues nationales est dorénavant dévolue au Ministère en charge de l’éducation nationale.

Pour la question de l’archivage, aucune action n’est notifiée. Il ressort de l’intervention de certains conférenciers lors des ateliers, que la vision actuelle est de confier au MENAPLN toute question relative aux langues nationales.

Enfin pour la difficulté liée au financement de la CNLB, le ton semble changer au niveau des organisateurs des fora et ateliers au nom de la CNLB et où les membres de son Secrétariat Permanent participent comme invités. Ils ne veulent plus que l’on dise qu’il n’y a pas de financement de la CNLB, dans la mesure où c’est sur les fonds destinés à cette CNLB que les ateliers se tiennent depuis un bout de temps. Mais dans la réalité, la CNLB ne reçoit aucune allocation budgétaire pour son fonctionnement.

Le non-dit de la ligne budgétaire de la CNLB

Lors de nos entretiens, nous avons rencontré un acteur, B1, qui a suivi la question de la commission nationale des langues depuis belle lurette. Il est Conseiller d’administration scolaire et universitaire de formation, ex Chef de cabinet puis Directeur de cabinet successivement auprès de deux ministres en charge de l’enseignement de base et de l’alphabétisation, responsable du pouvoir révolutionnaire provincial (PRP) sous la révolution, personne de ressource en organisation et méthodes administratives et président d’une Sous-Commission au Burkina Faso. Il est familier des premiers linguistes responsables du secrétariat permanent de la CNLB et donc de l’INSS et du CNRST.

Nous avons pensé qu’il détiendrait certaines informations souvent omises lors des débats sur les langues nationales. Il ressort de notre entretien, qu’il a participé en tant que PRP sous la révolution à l’arbitrage du budget national de 1986 à l’occasion de la conférence nationale sur le budget. Et tous les acteurs au niveau local, central et rattaché prenaient part à cette rencontre.

Selon ses explications, la séance était présidée par le Feu le camarade Thomas Sankara, Président du Faso, chef du gouvernement révolutionnaire. Il situe la période autour de juin-juillet 1986 à la maison du peuple. C’était une période où on faisait le bilan à mi-parcours de l’exécution du budget de l’année, et puis on donnait la lettre circulaire pour l’élaboration du budget de l’année N+1, donc de l’année 1987.

Chaque ministre défendait le budget de son département. B1 commente :
« S’agissant du Ministère de l’Education Nationale, on est arrivé à une inscription, 5 millions en faveur de la commission nationale des langues. Et cette inscription était une reconduction des écritures de 1985. Et 1985 était un report des écritures de 84 … Et ces lignes-là n’avaient jamais été utilisées. On a demandé au ministre qui a dit « Et bien, écoutez. C’est inscrit, mais on n’a jamais su si c’est au profit de qui et pour quelle activité exactement il fallait débloquer ces sommes-là ».

C’est ainsi que le président de séance (Camarade Capitaine Thomas Sankara) a dit « à quoi ça sert de maintenir des inscriptions qui ne sont pas employées alors qu’on a besoin de ça ailleurs. Ecoutez, biffez-moi cette ligne. ». Alors, c’est lorsque je me suis retrouvé dans les réalités de collaboration de la Sous-Commission du bissa et la commission nationale des langues que cela m’est revenu dans la tête ».

En comparant ce témoignage de B1 et les dires de A1, on constate une complémentarité. A1 dit que c’est en 1984 que la ligne budgétaire a été supprimée tandis que B1 note que c’est en 1986. Pendant donc 2 ans, la ligne budgétaire a existé sans être utilisée, puis reversée au trésor public. Elle existait au ministère en charge de l’éducation et de l’alphabétisation alors que l’activité a été attribuée au ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette information, si elle est avérée, n’est évoquée dans aucune des rencontres de dynamisation de la CLNB.

On note avec B2, que c’est le manque de financement des sous commissions existantes qui a mené certaines communautés linguistiques à aller se faire enregistrer comme des associations au ministère de l’administration territoriale. Elles ont ensuite utilisé ces attestations, ajoute-t-il, pour obtenir des fonds au FONAENF. Mais ces sous commissions qui n’ont que des attestations ne sont pas en réalité statutairement reconnues par la CNLB.

Le flou des textes créations de la CNLB, tentative d’interprétation

Les débats se sont beaucoup focalisées ces dernières années sur l’ancrage institutionnel. Les textes de la CNLB semblent contenir une insuffisance, du point de vue d’une analyse superficielle. Le Décret N°75-488.PRES. EN a été pris au moment où le Burkina Faso n’avait pas de ministère en charge de la recherche. Et il fallait attendre pour cela 3 ans.

Si nous prenons la version de ce Décret 74-488 publié dans le journal officiel du 25 décembre 1975 à la page 986, il est dit à l’article 3 que « Pour l’étude de chaque langue voltaïque, il sera créé une Sous-Commission Nationale par arrêté du Ministre de l’éducation ». Et lorsque le MESRS a été créé en 1978 par Décret n°78-256/PRES du 16 juillet 1978 portant composition du gouvernement, le Décret n°78-262/PRES portant définition des secteurs ministériels a ramené la CNLV au MESRS la même année.

La copie certifiée conforme Décret N°75-488.PRES. EN du 16 décembre 1975 signée par le Directeur de l’IRSSH dit à l’article 3 que « Pour la revalorisation de chaque Langue Voltaïque, il sera créé une Sous-Commission Nationale par arrêté du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique ». Cette copie n’est pourtant pas conforme à la lettre du décret N°75-488.PRES.

EN, mais plutôt à l’idée du décret n°78-262/PRES portant définition des secteurs ministériels. Et c’est sur cette base que le Secrétariat Permanent de la CNLB faisait créer des Sous-Commissions par le ministère en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Et sur les deux versions, l’article 9 dit que « Le Ministre de l’Education Nationale est chargé de l’exécution du présent décret qui sera publié au journal officiel de la République et communiqué partout où besoin sera ».

Nous constatons tout naturellement que les décrets sont pris en fonctions des périodes et des besoins. C’est vrai qu’il aurait fallu un 3e décret plus clair sur l’ancrage institutionnel, mais il est clair qu’il n’y avait pas de confusion chez les premiers acteurs concernés à l’époque. Si le volet recherche ne peut être conféré à un autre ministère autre que celui en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, le volet promotion concerne beaucoup d’autres ministères qui s’intéressent à l’information en langues nationales et à l’alphabétisation fonctionnelle.

On peut citer de façon non exhaustive, le ministère en charge de la culture, le ministère en charge de l’information, le ministère en charge de l’économie et du budget, et le ministère en charge de l’éducation nationale. Il faut aussi souligner, que l’Alphabétisation n’a pas toujours été confiée au ministère en charge de l’éducation nationale. Elle a d’abord appartenu au ministère en charge de l’agriculture, dans le cadre de la formation des jeunes agriculteurs.

Puis, à partir de 1988, le ministère en charge de l’éducation nationale, tout en perdant le volet Arts et Culture, a acquis la dénomination Ministère de l’Enseignement de Base et de l’Alphabétisation de Masse (MEBAM) par Kiti N°AN-VI-0003/FP/PRES du 23 août 1988 selon nos sources. L’actuel MENAPLN est l’organe de prédilection de la promotion des langues dans la mesure où il s’occupe aussi de l’enseignement bilingue et de la formation des adultes en langues nationales.

Il nous contente de mentionner le commentaire très instructif de A1 en ces termes :
« L’activité de recherche ne peut être contesté à l’université, au CNRST et à l’INSS. Ça ce sont leurs attributions de droit reconnues de manière régalienne, c’est leur travail. Si nous voulons avoir des repères, des normes, des codifications stables, utilisables dans la durée, il faut que les langues se réfèrent à ces institutions-là. Et naturellement dans un partenariat avec les différentes Sous-Commissions. Et le deuxième niveau, c’est que l’alphabétisation et la politique d’éducation non formelle se déroulent dans un autre ministère.

Ce ministère-là c‘est le MENAPLN qui réussit avec le budget de l’Etat et les partenaires techniques et financiers, à avoir des inscriptions d’année en année en faveur de sa politique de vulgarisation et de promotion des langues nationales. Ça aussi c’est une réalité que personne ne peut contester. On note par ailleurs que l’alphabétisation est utilisée dans les domaines de l’agriculture, de la justice, de l’administration du territoire, de l’environnement, de l’élevage et même du ministère de l’économie et des finances.

Ce dernier ministère par exemple qui a en charge de mobiliser les moyens pour financer des politiques publiques, a intérêt à ce que ses textes, notamment les impôts, soient connus de tous à la base parce que c’est le secteur informel qui contribue à une large part à la mobilisation des fonds. Il faut que ses textes soient connus des populations. Donc on peut les disponibiliser dans les langues nationales. C’est pour vous dire que tous les démembrements du gouvernement sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans la promotion des langues nationales. Et ceci du point de vue de l’administrateur que je suis, je sais à peu près comment fonctionne les structures de l’Etat.

Un ministre ne peut pas activer un autre ministre s’il ne passe pas par leur supérieur hiérarchique commun qui est le premier ministre, et un premier ministre agit en fonction des lettres de mission qui lui sont confiées par le chef de l’Etat. Si le chef de l’Etat ne maîtrise pas les questions des langues nationales, c’est un problème. C’est pourquoi personnellement et à mon humble avis, il faut que l’on aille dans le sens où l’on peut sécuriser les financements ».

Dans le même sens, Ag3 en concluant son audition devant un groupe d’élus à l’Assemblée Nationale en avril 2019 à propos du projet de loi portant promotion et officialisation des langues nationales du Burkina Faso, disait ceci :
« Nous craignons donc que le document de politique linguistique et les modalités d’application ne viennent attribuer à un département autre que celui chargé de la recherche et de l’enseignement supérieur, les questions de recherche sur les langues nationales ».

On peut naturellement proposer que l’ancrage institutionnel existant soit réaménagé en l’amenant à la Présidence ou en la maintenant à la recherche comme le suggère A1. Un nouveau décret s’impose, afin que la Commission Nationale et les Sous-Commissions puissent reprendre leur fonctionnement normal conformément aux dispositions ayant servi à la création de ces Sous-Commissions.

Aussi, la ligne budgétaire doit être clairement affectée à la CNLB, afin qu’elle puisse mener de façon autonome avec ses démembrements, les missions à lui assignées. Ce décret doit être suffisamment claire pour ce qui est de la reconnaissance des sous -commissions pour les langues non encore suffisamment étudiées et des frais de fonctionnement des sous-commissions reconnues. Il faut enfin appliquer le règlement intérieur à tous les niveaux, et veiller à ce qu’il y ait des responsables objectifs, qui ne soient pas en mesure de favoriser une communauté linguistique sur les autres en dehors des dispositions de la politique linguistique du Burkina.

Conclusion

Au regard de tout ce qui vient d’être dit, nous pouvons affirmer que la cause réelle du disfonctionnement de la Commission Nationale des Langues Burkinabè (CNLB) est omise ou ignorée depuis plus d’une décennie. Les fora et ateliers organisés pour sa dynamisation ont failli en faisant de l’ancrage institutionnel le problème majeur. Même s’il est souhaitable qu’un nouveau décret soit pris dans ce sens, il faut reconnaitre que c’est plutôt la non affectation de la ligne budgétaire à la CNLB dans les années 1985 suivie de sa suppression et le silence qui s’en est suivi qui en sont les vraies causes.

Les acquis engrangés par la CNLB montre à suffisance qu’elle est bien capable d’assumer sa mission. Les structures institutionnelles en place au moment où la CNLB fonctionnait existent toujours et se sont même renforcées en personnel. Il lui faut une inscription budgétaire propre et des actions concertées avec plus d’honnêteté et d’objectivité sur la recherche, la vulgarisation et la promotion des langues nationales afin que chaque département puisse faire des langues nationales des outils du développement durable du Burkina Faso.

Dr GUIRE Inoussa
INSS/CNRST

Bibliographie

TIENDREBEOGO, G. et YAGO, Z. (1983). Les langues et groupes ethniques de Haute-Voltat,Volta, ACCT-ILA, Abidjan, 64 p.
TIENDREBEOGO, Gérard et Al. (1983). Situation des langues parlées en Haute- Volta : perspectives de leur utilisation pour l’enseignement et l’alphabétisation, ACCT-ILA, Abidjan, 74 p.
CALVET, Jean-Louis (1987). La guerre des langues et les politiques linguistiques, Hachette, 300 p.

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DECRET no 69-012/PRES du 17 janvier 1969 instituant une Commission Nationale des Langues Voltaïques (CNLV), Journal Officiel (JO) du 23 janvier 1969
DECRET N°75-488.PRES. EN portant modification du décret no 69-012/PRES du 17 janvier 1969, copie certifiée conforme DIRSSH

DECRET n°75-488/PRES/ du 16 décembre 1975 portant modification du décret n°69-12/PRES/ du 17 janvier 1969 portant création d’une Commission Nationale des Langues Voltaïques¸ Journal Officiel n°52 du 25 décembre 1975 pp. 986
DECRET n°78-256/PRES du 16 juillet 1978 portant composition du gouvernement de la Haute Volta

DECRET n°78-262/PRES du 27 juillet 1978 portant définition des secteurs ministériels
DECRET n° 79/055/PRES/ESRS du 2 février 1979 portant codification de l’alphabet national voltaïque

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