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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (20)

Publié le mardi 1er novembre 2005 à 13h51min

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Norbert Zongo

"Un avenir tranquille". C’est ce que promettait le candidat à la présidentielle du dimanche
15 novembre 1998, Blaise Compaoré. Il ne va pas falloir longtemps pour que le chef de l’Etat burkinabè, réélu pour un nouveau septennat, voit s’abattre sur lui les "sept plaies de l’Egypte ".

La presse internationale, depuis plusieurs années, en avait fait le "chouchou" de Paris et l’expression africaine de la "bonne gouvernance", "Le Burkina Faso reste un des pays les plus pauvres de la planète, menacé par les sécheresses et les déficits alimentaires, mais les ressources de l’Etat y sont mieux employées qu’ailleurs et la paix sociale y a été préservée", écrivait dans Le Monde Thomas Sotinel à la veille de la présidentielle 1998.

Rapidement, le ton va changer et, pendant quelques années, de trop longues années, Compaoré va devenir "infréquentable" après avoir été incontournable. La mise en quarantaine médiatique du chef de l’Etat burkinabè va arriver au mauvais moment : il préside l’OUA jusqu’à mi-1999 !

Cinq lettres pour plomber un régime. Cinq lettres dont un "Z" comme dans Zorro. Mais dans cette affaire de justice c’est de Norbert Zongo qu’il s’agit. Norbert Zongo, journaliste et directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant. Norbert Zongo carbonisé avec ses compagnons dans son 4 x 4, sur la route de la Sissili, non loin de Sapouy, le dimanche 13 décembre 1998. Tout juste quatre semaines après l’élection de Compaoré à la présidence de la République.

Zongo était un homme bénéficiant de la popularité qui, en Afrique noire, s’attache aux journalistes ; pour lui information rimait avec investigation. Dans un pays comme le Burkina Faso où il y a, tout au plus, une centaine d’hommes et de femmes de premier plan, où le monde politique est toujours en grande proximité avec le monde des affaires (et vice versa) plus limité encore, où les liens familiaux sont plus fondamentaux que les règles institutionnelles, l’assassinat de Norbert longo ne pouvait que mettre le feu aux poudres.

Dès le 15 décembre 1998, les lycéens et les étudiants vont organiser des manifestations de grande ampleur contre le régime Compaoré. C’est son frère, François Compaoré, qui était depuis plusieurs mois dans le colimateur de Zongo. François s’était fait remarquer, le 3 septembre 1994, lors de son mariage qualifié par la presse locale de
"mariage du siècle au Burkina Faso". François, 41 ans, épousait ce jour-là Salah Ouédraogo, 20 ans.

Salah est la fille de Alizèta Ouédraogo, la plus richissime des femmes d’affaires du pays (elle possède, notamment, la Société burkinabè des cuirs et peaux ce qui lui a valu le surnom de Alizèta Gando "le cuir") ; son témoin de mariage n’était autre que Oumarou Kanazoé, l’autre grosse fortune du pays. François, devenu pour l’occasion (mariage musulman) Cheick Omar, avait pour témoin Chantal Compaoré, l’épouse du chef de l’Etat.

C’est dire que tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette affaire criminelle une affaire d’Etat. Après la manifestation du 15 décembre 1998 (le lendemain, 15.000 personnes assisteront aux obsèques du journaliste et de ses compagnons), la rue ne va plus cesser d’être occupée par les jeunes burkinabè et l’opposition politique.

Il est incontestable que ce dossier a été mal géré par les responsables politiques burkinabè. Certes, une commission d’enquête indépendante a été nommée ; elle a rendu son rapport ; mais la justice n’a toujours pas jugé l’affaire. Car le meurtre de Zongo et de ses compagnons est devenu" l’affaire Zongo". Dont la presse panafricaine et française va s’emparer.

L’assassinat non élucidé d’un journaliste politique est la pire des choses pour un régime qui ne se réclame d’aucune idéologie, prône les pratiques démocratiques et dénonce la corruption. Quand on est le président de la "Patrie des hommes intègres", cela est pire encore.

Un régime corrumpu corrompt ; une dictature se moque de la mort d’un journaliste et plus encore de rendre des comptes. Au Burkina Faso, au lendemain d’une présidentielle (boycottée par l’opposition) et alors que le chef de l’Etat préside l’OUA, cela fait nécessairement désordre ; plus encore quand le chef de l’Etat est un ancien officier putschiste dont les compagnons ont été éliminés en cours de route.

Alors, bien sûr, beaucoup se sentent pousser des ailes et, morts de trouille chez eux où, souvent, on n’ose même pas, quand cela est encore possible, passer devant la présidence de la République, entonnent quelques airs revanchards.

Des diplomates africains n’hésitent pas à me décrire Compaoré comme un "tueur froid" ; des hommes politiques français m’affirment qu’il est devenu "infréquentable" ; des chefs d’Etat du continent, qui ne sont pourtant pas, chez eux, des parangons de la démocratie et de la transparence et ont érigé la corruption en système de gouvernement, auraient, aux dires de leurs conseillers, la même attitude.

La presse quotidienne française entonne son habituel refrain sur l’Afrique et ses tyrans. Il faut noter, cependant, le commentaire de Thomas Sotinel, envoyé spécial du quotidien Le Monde à Ouagadougou : "La commission [d’enquête] dispose de pouvoirs qui feraient envie à bien des magistrats instructeurs de par le monde" (Le Monde daté du 20 mars 1999).

Quelques mois plus tard, il consacrera une page entière (Le Monde du mardi 4 mai 1999) à Norbert Zongo. Il y écrit notamment : "Société imparfaite, démocratie en construction, le Burkina a souvent l’énergie d’affronter directement des problèmes que d’autres pays ignorent. Cela tient aussi bien au reliquat de l ’héritage révolutionnaire qu’à l’exigence de justice du peuple burkinabé. Dans beaucoup de pays d’Afrique, l’arbitraire va de soi. Les citoyens en souffrent comme de la sécheresse ou des inondations. Le Burkinabé a toujours fait preuve d’une capacité de révolte d’autant plus surprenante que la vie du pays est généralement calme". Bel hommage.

Mais Sotinel est une exception. Beaucoup d’autres, pourtant habitués à la laisse, vont hurler avec les loups. Africa International stigmatise "un régime criminel" ; le Nouvel Afrique Asie évoque "le vrai visage du régime". En 2001, Reporters sans frontières n’hésitera pas à faire publier dans la presse française une pleine page à l’adresse du juge en charge du dossier :
"Monsieur le juge, maintenant que vous tenez le bras qui a tué, cherchez plus haut, vous allez trouver la tête [...] Qui peut imaginer que ce militaire ait agi de sa propre initiative ? Qui avait intérêt à faire taire Norbert Zongo ? Aujourd’hui, il est impossible de tenir Blaise et François Compaoré à l’écart de l’enquête sur les assassins de Norbert Zongo".

RSF est alors au creux de la vague. Créée le 25 juin 1985 à Monptellier par Robert Ménard, reporter à... Radio France Hérault, ancien militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avant de rejoindre (et de quitter) le Parti socialiste, RSF a vu ses têtes d’affiche quitter l’association : Jean-Claude Guillebaud, son président, a démissionné en février 1993, Rony Brauman, un des fondateurs, est parti en janvier 1995 en dénonçant la "dictature domestique" de Ménard. Qui va surfer pendant des années sur "l’affaire Zongo".

Ménard, dans L’Autre Afrique (13-19 janvier 1999), qui lui accordait longuement la parole au lendemain de l’assassinat de Zongo et alors qu’il rentrait du Burkina Faso, déclarait pourtant : "Nous avons pu travailler dans une transparence totale et sans l’ombre d’un problème. On a eu des visas immédiatement, je le souligne. Sur place, on a pu rencontrer ceux qui sont en charge de l’enquête aux plus hauts niveaux de la justice et de la police. On a rencontré le ministre, etc. [...] Je dis donc que les autorités de Ouaga ont, vis-à-vis de nous, joué le jeu".

Pour la petite histoire, je souligne que Ménard est revenu à Ouagadougou (où il était persona non grata) à l’occasion du Xème sommet de la Francophonie (novembre 2004). Il n’a pas manqué d’y rendre hommage à Compaoré qui
"n’est plus dans les prédateurs de la liberté de la presse de RSF" et de souligner qu’au Burkina Faso "il y a encore plus de pluralisme [de la presse] qu’il y a cinq ans".

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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