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Médias : Lancement du Programme Media Campus Pro

Publié le vendredi 28 octobre 2005 à 07h12min

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Le réseau des Journalistes en Afrique pour le développement (Jade), en association avec les quotidiens nationaux, publie à partir de ce jour une série d’articles d’étudiants du département de journalisme et communication de l’Université de Ouagadougou.

Média Campus Pro est un programme de formation tutorat qui permet à des aspirants journalistes de se familiariser avec la pratique du métier aux côtés de professionnels aguerris. L’initiative, dont la première phase prendra fin en décembre prochain par l’attribution du « Prix du jeune reporter 2005 », bénéficie du soutien de l’Agence intergouvernementale de la Francophonie et de l’agence de presse Syfia.

Les « pressés-pressés » du PMU’B

Bienfaiteurs ou arnaqueurs ?

Pour les uns, ils rendraient service aux gagnants en rachetant leurs tickets. D’autres les considèrent comme des escrocs. Les « pressés-pressés », ou racheteurs de tickets gagnants, suppléent les lenteurs de la Loterie nationale burkinabè (LONAB), qui laisse faire.

Il est 8 heures. Une quarantaine de gagnants attendent devant les guichets de la LONAB. Un homme consulte sa montre. Comme les autres gagnants, il s’impatiente devant les portes closes de la LONAB, pourtant censée accueillir les clients. Dans les rangs, la tension monte. Bousculades, menaces et insultes fusent de toutes parts. Deux jeunes gens se disputent un ticket au point d’en venir aux mains.

L’agent de sécurité, un gendarme, intervient et expulse les indisciplinés. Il met l’ordre en faisant reculer les gens. A peine a-t-il tourné le dos que la pagaille reprend. A 8 heures 46, deux guichets s’ouvrent. Derrière des fenêtres, deux femmes procèdent aux payements.

Dans la file, Amadou Ouédraogo ne tient plus. Excédé, il vend son ticket à son voisin de rang. Aussitôt, deux autres gagnants l’imitent. Contre une somme inférieure à la valeur de leurs gains, ils cèdent leur ticket gagnant à des racheteurs. Ce sont les « pressés-pressés », qu’il aurait fallu plutôt appeler les « patients-patients », tant ils profitent de l’impatience des gagnants, obligés de vendre leur ticket pour vaquer à leurs occupations.

Clients pressés, proie des « pressés-pressés »

Le manège des « pressés-pressés » fonctionne à la perfection : dès qu’un client s’approche du siège de la LONAB, ils lui proposent d’échanger son ticket gagnant en insistant sur les avantages de l’opération. Si cette approche « marketing » échoue, alors ils créent le désordre dans les rangs. Les bousculades, insultes, vols de portefeuilles et de portables finissent par dissuader les plus sceptiques de rester dans la file.

Ousséni Sawadogo, un parieur, rend la LONAB responsable de la situation. La lenteur dans le paiement des gains favoriserait l’action des « pressés-pressés ». Le commis à la paye des gains est aussi chargé d’encaisser les recettes des jeux. Le paiement des gains s’arrête à la fermeture des guichets. Pourtant, au bout d’une semaine, le gagnant perd tout droit sur son ticket.

Recourir aux « pressés-pressés » reste alors la seule solution pour nombre de parieurs pour éviter le couperet du délai d’expiration. Un patron « pressé-pressé » affirme sous anonymat « faire des gestes » aux caissières pour faciliter le payement de ses nombreux tickets alors qu’officiellement aucun gagnant ne peut présenter plus de deux tickets aux guichets.

Entre débrouillardise et amour du gain facile

Les « pressés-pressés » font leur apparition avec l’arrivée du Pari mutuel urbain (PMU) au Burkina au début des années 1990. S’inspirant d’une pratique ivoirienne, une poignée d’individus commence le rachat des tickets. « Nous ne dépassions pas une vingtaine de personnes au début » se remémore, nostalgique, Evrard Nikièma, un vétéran du métier. Mais aujourd’hui, leur nombre accroît chaque jour.

Rien qu’aux alentours du siège de la LONAB, on compte environ deux cents « pressés-pressés ». Le chômage explique leur prolifération. Mika et Paul, anciens manœuvres, pratiquent le métier pour vivre. « Depuis la fin des travaux sur le chantier de construction, nous sommes devenus « pressés-pressés » parce qu’on n’a pas de boulot ». Plusieurs de leurs collègues justifient ainsi leur choix. « Nous nous débrouillons », avouent-ils. La fermeture du marché Rood Woko fait également grossir le lot des « pressés-pressés ».

Des petits marchands ruinés par l’incendie trouvent dans le rachat des tickets une nouvelle occupation. Les gros bénéfices escomptés restent la véritable raison de cet engouement. En effet, les « pressés-pressés » retiennent en général 10% de la valeur réelle du ticket gagnant. Pour M. Ziba, patron d’un des grands groupes de « pressés-pressés », l’activité est juteuse et attire beaucoup de jeunes qui espèrent faire fortune (voir encadré).

Escrocs ou débrouillards

Mais que pense le parieur de la pratique des « pressés-pressés » ? Pour certains turfistes, ils sont « des escrocs » sans scrupules qui profitent malhonnêtement de l’ignorance des gagnants. « Une fois, ils ont racheté à un vieil homme son ticket à 130 000 FCFA en lui faisant croire que l’ordre a payé 150 000 FCFA alors que son ticket valait 300 000 FCFA » , raconte Grégoire Sanou, un parieur.

Pour d’autres parieurs cependant, les « pressés-pressés » leur rendent service. « Je m’adresse à eux parce que je ne veux pas que mon entourage sache que j’ai gagné. Alors je passe un coup de fil à mon « pressé-pressé et c’est vite réglé », se satisfait Issa. Beaucoup les comprennent et les considèrent comme des battants. « Que voulez-vous qu’ils fassent d’autre ? Ils se débrouillent à leur manière. Je ne trouve rien à dire » , affirme un commerçant.

Les efforts de lutte contre cette pratique restent vains. La traque des forces de l’ordre, l’interdiction faite à tout gagnant de se présenter aux guichets avec plus de deux tickets n’y peuvent rien. Avec la complicité de certaines caissières, ils parviennent à se faire payer leurs nombreux tickets. Mais depuis 5 mois, les payements de la LONAB sont plus fluides grâce à l’informatisation des guichets.

Ce qui réduit la clientèle des « pressés-pressés ». « Nous perdons certes des clients avec l’informatisation. Mais elle nous évite des ennuis avec la gendarmerie. Les clients malhonnêtes ne peuvent plus nous tromper en nous revendant des tickets falsifiés » commente un « pressé-pressé », preuve que des efforts restent à fournir.

Boureima P. Salouka

Département de Journalisme et Communication de l’université de Ouagadougou/Jade Burkina


Un brai business aux relents mafieux

L’activité de « pressé-pressé » est avant tout affaire de gros sous. Leur organisation rappelle celle de la mafia. La plupart des « pressés- pressés » travaillent en groupe, avec à leur tête le chef, l’équivalent du parrain. Sous l’autorité du chef travaillent une dizaine de personnes ayant chacune son rôle dans la chaîne. Les plus expérimentées reçoivent du parrain l’argent nécessaire à l’achat des tickets. Les autres se chargent de toucher les gains. Dans le groupe de Mika, « un pressé-pressé », ils sont cinq. Mika reçoit après chaque course hippique 500 000 F de son patron pour acheter les tickets gagnants.

Comme chez les maffiosi, où on rencontre des familles très puissantes, quatre grands groupes règnent sur l’activité des « pressés-pressés » à Ouagadougou. Mais la concurrence ne fait pas perdre de vue l’intérêt commun. En effet, ils savent s’unir à l’occasion pour racheter les tickets de grande valeur. Ne pouvant payer à l’échelle du seul groupe des millions, les grands groupes s’unissent pour payer les « gros » tickets. « Je me suis associé à un autre grand patron, pour racheter à un agent de l’ASECNA, son ticket de 7 millions de francs CFA » témoigne M. Ziba, patron d’un des grands groupes. Tout comme dans la mafia, les « pressés-pressés » travaillent sous contrat. Les gagnants désirant garder l’anonymat remettent leur ticket à un « pressé-pressé », qui apparaît comme le vrai gagnant.

Une fois la manœuvre terminée, le « pressé-pressé » touche sa commission. « J’ai touché 12 millions pour un fonctionnaire, en retour, il m’a payé une mobylette P50 », témoigne un « pressé-pressé ». Mais à la différence de la mafia, chez les « pressés-pressés », il n’y a pas d’omerta. Ici s’arrête la comparaison.

BPS

Observateur Paalga

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