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Eglise évangélique baptiste de Bobo-Dioulasso : L’argent de la clinique, le nerf de la crise, relate le pasteur Badiou Nébié

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Publié le vendredi 14 mai 2021 à 08h00min

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Eglise évangélique baptiste de Bobo-Dioulasso : L’argent de la clinique, le nerf de la crise, relate le pasteur Badiou Nébié

C’est une ancienne crise qui a fait surface le samedi 8 mai 2021 à Bobo-Dioulasso. Certains fidèles de l’Eglise évangélique baptiste de cette ville ont exprimé leur ras-le-bol face à la gestion de leur clinique Baptiste. Dans cette interview, le pasteur Badiou Nébié, président de l’Eglises évangélique baptiste du Burkina, fait la genèse de la crise. L’argent de la clinique, la cause cachée de l’histoire. Lisez plutôt !


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Lefaso.net : En tant que président des églises évangéliques baptistes du Burkina, quand avez-vous eu connaissance de cette affaire entre les jeunes de l’église de Bobo-Dioulasso et leur pasteur ?

Badiou Nébié : Nous avons eu réellement connaissance de cette situation depuis le 29 octobre 2020 suite à notre déplacement à Bobo-Dioulasso pour rencontrer les pasteurs et les travailleurs parce qu’on a appris qu’il y a un problème entre le personnel (permanent et le gestionnaire) de la clinique. Lorsque nous sommes arrivés, les pasteurs nous ont remis une liste de doléances. Premièrement, ils ont dit qu’il faut que le gestionnaire quitte la clinique.

Deuxièmement, il faut que la clinique soit confiée à la région de Bobo-Dioulasso. Troisièmement, il faut un audit de la clinique. Je leur ai dit que pour l’audit, ce n’est pas un problème puisque chaque année, on fait un contrôle donc ça va de soi. Pour le gestionnaire, je leur ai dit que je ne pouvais pas prendre une décision sur place parce qu’on était quatre membres du bureau présent et que nous avons un contrat de deux ans avec le gestionnaire donc je ne peux pas arrêter son contrat sans preuve.

Ils ont fait cas de son comportement, de son caractère, de sa confession qui est contraire à la nôtre, etc. J’ai dit qu’à mon niveau, ce n’est pas possible. Pour confier la gestion de la clinique à ceux de Bobo-Dioulasso, j’ai dit que cela aussi n’est pas de mon ressort. Pour cela, il fallait que les pasteurs viennent à la conférence annuelle des pasteurs, qui se tient chaque février, suivie de l’Assemblée générale (AG). A cette AG, les pasteurs pouvaient demander la gestion de la clinique. Si l’Assemblée donne quitus, je n’ai pas de problème parce que ça fera, au contraire, une charge de moins. Ils ont insisté que je prenne la décision mais j’ai dit que ce n’était pas possible.

On s’était donné rendez-vous le 26 novembre 2020 pour qu’on puisse revenir donner notre décision. Dans la soirée, on avait une rencontre avec le personnel de la clinique. La grande majorité des travailleurs n’était pas venue. On a posé le problème, on a discuté ; j’ai dit que c’est vrai que lorsqu’on travaille ensemble, il peut avoir des comportements qui frustrent, le gestionnaire peut avoir un caractère sanguin.

Pendant qu’on parlait, ils ont mobilisé une trentaine de jeunes dans la cour qui manifestaient. Ces jeunes exigeaient une décision séance tenante. Les pasteurs ont refusé de s’adresser aux jeunes. Deux pasteurs et moi sommes allés voir les jeunes pour leur signifier qu’on ne peut pas prendre une décision séance tenante. Pendant ce temps de discussion, la jeunesse m’a adressé un courrier pour me dire que le 2 novembre 2020, si une décision n’est pas prise, ils vont fermer la clinique. J’ai accusé réception.

C’est ainsi qu’on s’est séparé le 29 octobre.

Le 30 octobre, nous sommes rentrés à Ouagadougou. Le 2 novembre, lorsque j’expliquais la situation au président national de la Jeunesse et son secrétaire général, celui-ci a reçu un message lui indiquant que la jeunesse de Bobo avait fermé la clinique. Le 24 novembre, on est repartis à Bobo pour rencontrer les pasteurs. Ils disent qu’ils ne changeaient pas d’avis, c’était le statu quo.

Le bureau a proposé qu’on puisse mettre un comité de gestion de cinq membres donc deux de Bobo. Par la suite, on allait confier la clinique à des laïcs pour que les pasteurs se retirent et se mettent de côté. Tout cela a été rejeté. Après plusieurs négociations à Bobo et Ouagadougou, la clinique a été rouverte le 14 décembre 2020 et le personnel qui avait refusé de travailler au début, a repris service. Il faut rappeler qu’à la rencontre du 24 novembre, les travailleurs permanents avaient refusé de reprendre le service tant que les pasteurs ne leurs donnaient pas d’autorisation. Ils ont fait appel à deux prestataires (attachés de santé). Je dois faire une précision. Il s’agit des gens qui étaient déjà des prestataires dans la clinique et après le Covid-19, ils avaient demandé qu’on augmente leurs primes de 20% à 34% sans déduction de charge.

Nous leur avons dit que la clinique ne recevait pas de subvention, la clinique poursuivait un but social. Par exemple, la consultation avec un médecin est de 2000 francs CFA.

Dans la foulée, lorsque la clinique a eu un chirurgien-dentiste et que le gestionnaire l’a programmé, tous les prestataires ont décidé d’arrêter le travail. Durant cet arrêt de travail, nous avons trouvé un deuxième chirurgien-dentiste.

Le pasteur Denis Dakuyo de l’église centrale de Bobo-Dioulasso où se trouve la clinique est par ailleurs le président régional de l’église évangélique baptiste. Les autres pasteurs trouvaient qu’il n’était pas de leur côté. Le 25 novembre 2020, ils l’ont destitué et mis son vice-président pour bien mener leurs actions.

Le 15 décembre 2020, j’ai demandé aux chirurgiens-dentistes de reprendre le service. Ce jour-là, les pasteurs sont venus dans le bureau du gestionnaire pour lui demander de sortir, car il n’avait pas le droit de venir ici. Ils l’ont menacé et insulté. Pendant ce temps, les autres personnels et des personnes étrangères au service ont empêché les chirurgiens-dentistes de travailler.

Expliquez-nous ce qui ne va pas pour qu’on puisse en arriver à un mouvement d’humeur ?

Avec le tout premier gestionnaire, la gestion de la clinique était toujours déficitaire. L’ancien président, a délégué le trésorier pour aller rester pendant un mois à la clinique. Ce dernier s’est rendu compte que la clinique rapportait de l’argent. Il a pu payer le personnel, toutes les charges et il y avait un bénéfice. C’est ainsi que l’union a décidé de prendre la gestion de la clinique. Le bureau a décidé de le mettre de côté et a confié la gestion à un autre de Bobo. Il s’en est suivi plus tard des difficultés jusqu’à ce qu’on décide de faire un audit.

Le bureau a dépêché un auditeur, qui est allé faire l’audit de trois ans de la clinique. Quand il a fait le rapport de l’audit, on est tombé à la renverse. C’était terrible, la gestion financière et organisationnelle était mauvaise. Par exemple, la clinique pouvait faire rentrer près de 60 à 70 millions mais c’est seulement 25 millions qui passaient par la banque. Il y a des chèques qui sortent de la banque sans justification. Comme c’est un frère en Christ, on s’est séparé à l’amiable en lui payant ses droits.

Lorsqu’on a recruté le gestionnaire, on lui a dit qu’on n’a plus d’excuse, on doit mettre en œuvre les recommandations de l’audit. Pour les travailleurs qui ne viennent pas à l’heure, il a tenté d’imposer la ponctualité et c’est devenu un problème. Il a tenté de faire la rotation de caisse mais les gens ne voulaient pas. Un des garçons de salle faisait des prothèses à son propre profit et la clinique n’en bénéficiait pas. Il n’a pas de qualification, il a appris dans le tas.

Le gestionnaire lui a proposé de prendre 60% et reverser 40% dans la caisse de la clinique. Tout ça, c’est devenu un problème. Deux des personnels géraient le parking et à la fin du mois, ce sont eux qui empochaient l’argent du parking. Les pasteurs n’ont même pas cherché à rencontrer le gestionnaire pour comprendre ce qui se passait. Ils ont commencé à prendre partie sans auparavant l’écouter.
Cette situation s’est empirée lorsque les prestataires et les attachés de santé voulaient une augmentation. Chose qui était difficile pour nous de supporter.

On a fait plusieurs rencontres. Au cours d’une rencontre, le président de la FEME (Fédération des églises et missions évangéliques du Burkina) même leur a dit que ce qu’ils demandent n’est pas possible, parce que cette clinique a de l’argent mais ce sont des gens individuellement qui sont en train de le prendre. Donc il faut mettre en place un système d’organisation. Certains pasteurs étaient frustrés. Ils pensaient que l’église nationale venait ramasser de l’argent chaque fois.

Ils ont instrumentalisé le bureau régional de la jeunesse, dont le président est Ernest Ouattara. C’est son secrétaire général, Alain Bado, qui a parlé au cours du mouvement d’humeur. Le problème n’a pas commencé à l’église mais plutôt à la clinique. Je leur ai dit : « La clinique, c’est une histoire de travail ; l’église, c’est l’église. Il ne faut pas mélanger les choses ». A la clinique, on a besoin d’être professionnel. Même si à l’église les gens font de l’à-peu-près, dans le monde du travail et surtout médical, il faut être très pointu dans ce qu’on fait. Voici ce qui a amené la situation de Bobo-Dioulasso.

Si les discussions sont en cours, qu’est-ce qui peut justifier cette marche des jeunes de cette église ?

En fin avril 2021, on a rouvert la clinique. Mais avant cela, avec l’avocat, nous avons demandé au personnel qui a refusé de travailler, une lettre d’explication puisqu’ils ont refusé de suivre leur employeur. Tous ont écrit la même chose. Ils ont dit qu’ils sont venus trouver que la clinique était fermée donc ils sont repartis chez eux, ils sont revenus trouver que la clinique était rouverte donc ils ont commencé à travailler. L’avocat a dit que ce n’est pas un justificatif puisqu’ils sont à l’origine du problème. Ainsi, il a demandé qu’on leur écrive des lettres de licenciement. Nous avons fait cela. Actuellement, l’affaire est à l’inspection du travail pour calculer leurs droits et les payer. L’affaire suit son cours. L’appel à la justice également suit son cours.

Quand on a ouvert la clinique, deux jours après, ils sont venus manifester. Ils étaient une dizaine. Ils ont séquestré le pasteur de l’église centrale, Denis Dakuyo ; arraché les clés de sa moto. Ils sont rentrés au sein de la clinique menacer les docteurs pour leur demander de dire qui leur a dit d’ouvrir la clinique. Je leur ai dit que la décision de justice a été rendue donc nous devons l’appliquer.

L’appel suit son cours et l’avocat a dit que ça n’empêche pas que la clinique soit ouverte. Mais deux jours plus tôt, il y a un certain Jean Dabiré qui a écrit sur la page Facebook du bureau national de la Jeunesse pour nous insulter, nous traiter d’escroc, de voleurs. Nous avons des captures d’écran avec nous et les avons aussi remises à l’avocat. Le pasteur Denis Dakuyo est allé porter plainte et l’affaire suit son cours.

Pourquoi le bureau national a pris cette décision d’excommunier certains fidèles ?

En début mai dernier, il y avait la sortie de l’école biblique de Koudougou et deux jours avant, le bureau qu’ils ont mis en place à adresser une lettre au pasteur de l’église centrale pour dire qu’il n’est plus le pasteur de l’église centrale de Bobo-Dioulasso. Il m’a fait parvenir ledit courrier. Je lui ai dit que ce courrier n’est pas valable du moment où ils ont suspendu leur collaboration avec le bureau depuis le 15 décembre. On avait entre temps, adressé un courrier à toutes les églises pour demander à celles qui veulent collaborer de continuer à le faire.

Il y a certains pasteurs qui ont décidé de collaborer et à la rencontre annuelle des pasteurs au mois de mars, ils étaient là. Donc ils ne peuvent pas venir dire qu’ils te suspendent, ce n’est pas possible. Et le dimanche surpassé, ce même bureau dont les noms figurent sur la décision de justice, sont venus faire le culte à l’église centrale. A la fin, ils ont cherché à rencontrer certains responsables et le pasteur a dit qu’il ne peut pas les rencontrer du moment où il collabore avec le bureau national.

Il y a trois ou quatre responsables qui sont restés. Paul Segda, qui est attaché de santé intervenant à la clinique ; Adama Goumbané, un personnel permanent de la clinique et deux autres personnes ont fait une réunion avec ces derniers. Ils ont décidé de mettre les clés et changer les serrures de l’église. Et ce, à l’insu du pasteur Dakuyo. Lorsque cela s’est passé ainsi, j’ai demandé au pasteur Dakuyo de signaler cette affaire au commissariat. Il est parti au commissariat et ils lui ont dit que c’est un sujet très sensible. Je lui ai dit : « En tant que président national, je te donne le droit d’ouvrir les portes de l’église et de changer tous les cadenas ». C’est ce qu’il a fait.

Au cours de la semaine, nous avons pris des vigiles, car nous savons qu’ils allaient venir. Et quelqu’un a entendu le nommé Paul Segda dire qu’il faut mobiliser les jeunes du quartier le dimanche pour créer le trouble, pour qu’il y ait la bagarre. Avec le pasteur Dakuyo, on s’était dit que si c’est ainsi, c’est mieux de ne pas ouvrir l’église le dimanche parce que si on le faisait, cela risquait de créer des troubles et cela n’est pas une bonne chose. Effectivement le dimanche, ils sont venus. Les pasteurs là plus certains membres de certaines églises sont venus pour installer le pasteur Poda Epiphane comme le pasteur de l’église centrale. Ils sont venus trouver que tout était fermé. Si le pasteur Dakuyo avait ouvert les portes de l’église et avec les jeunes de l’église, il risque d’avoir un affrontement.

A cause de cela, les autorités pouvaient fermer l’église. Heureusement qu’on a évité cela.

Compte tenu de ces comportements, nous avons pris une note. Nous avons décidé d’exclure de nos églises, ces trois personnes qui ont participé à la réunion et qui appellent les gens à venir manifester. Il s’agit de Paul Segda, Adama Goumbané et Samuel Nacanabo.

La décision n’est-elle pas arbitraire ?

Pour moi, je pense que les cas d’indiscipline à l’église doivent être traités conformément à nos textes. Il doit y avoir de la discipline à l’église. L’église n’est pas un champ politique, un champ syndical. On peut s’asseoir et discuter donc on peut trouver de solution. Mais on ne peut pas se lever et avoir de tels agissements.
Le nommé Paul Segda a déjà dit devant moi qu’il s’en fout des pasteurs, qu’il pisse sur les pasteurs et continue. On ne peut pas tolérer de tel comportement à l’église. Donc on trouve que cette décision n’est pas arbitraire. Ce qu’on voit un peu dans la société par rapport à l’incivisme risque aussi d’arriver aussi à l’église.

Tout comme le pasteur Dakuyo de Bobo-Dioulasso, vous aussi, vous pensez que ces jeunes sont manipulés ?

Oui, ils sont fortement manipulés. Si vous regardez lorsqu’ils ont fait la marche, il y avait des passants qui se sont ajoutés à la foule. Il y avait même des enfants dans le quartier qu’ils ont mobilisés. Et les pasteurs, personne d’entre eux n’est vu. Après la décision de justice qui les expulse, ils sont derrière la scène. Ce sont eux qui poussent les jeunes, car ils savent la décision de justice rendue à leur encontre. Ils manipulent certains responsables de l’église centrale de Bobo et d’autres responsables. Il y a des pasteurs qui ne veulent pas être dans le mouvement avec eux mais ils sont en train de les influencer.

Il y a un pasteur qui m’a dit que le nombre de messages reçu d’un des pasteurs, Esaïe Koné, qui est dans le mouvement, était trop. Le pasteur lui dit : « Toi, tu ne veux pas lutter avec nous ? Dans la clinique, il y a beaucoup d’argent. Quand on va avoir la clinique là, tu n’auras rien ; tu vas mourir pauvre ». Je pense que ce sera difficile qu’on puisse laisser les choses comme ça perdurer dans nos églises.

Selon vous, quelle serait la solution à cette crise ?

Je ne sais pas quelle solution. Pour le moment, je n’en vois pas. On a tenté toutes les négociations possibles avec eux, plusieurs réunions à Bobo et à Ouagadougou ; d’autres personnes les ont rencontrés. Finalement, on est arrivé à la conclusion que c’est difficile de négocier avec eux, car ils sont catégoriques, il faut qu’on leur remette la clinique. Alors que nous n’allons pas céder à cela. La clinique appartient à toute l’église baptiste au Burkina. Dans toute négociation, chaque partie doit faire des concessions mais dans cette situation, ce n’est pas facile.

Et quand les problèmes de régionalisme rentrent dedans, c’est compliqué. Quand ils commencent à dire que celui que vous avez recruté n’est pas de notre confession. Je leur ai dit que le travail c’est le travail. On veut des gens professionnels. Si dans nos églises il n’y en a pas, on va chercher ailleurs.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Je trouve déplorable qu’on n’arrive pas à résoudre de telles situations entre nous. Nous avons toujours privilégié le dialogue et il y a toujours la possibilité de parler quand bien même qu’on peut prendre des décisions, s’il y a vérité, pardon et repentance, il peut y avoir réconciliation. Je prie que la raison puisse habiter chacun.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki
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