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« Dans la situation actuelle, le vrai Ramadan, c’est d’aider les autres », dit le chef missionnaire d’Ahmadiyya au Burkina, Mahmood Nasir Saqib

Publié le lundi 18 mars 2024 à 21h20min

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« Dans la situation actuelle, le vrai Ramadan, c’est d’aider les autres », dit le chef missionnaire d’Ahmadiyya au Burkina, Mahmood Nasir Saqib

(Ceci est une interview réalisée à la faveur du Ramadan 2021. Au regard de l’actualité toujours certaine et majeure des sujets abordés, nous la proposons à nouveau à l’occasion de ce mois de Ramadan 2024).
Le Ramadan 2021 se tient dans un contexte national difficile marqué surtout par la flambée de l’insécurité, les nombreux déplacés internes et la quête d’une réconciliation nationale. Pour comprendre ce que doit impliquer cette situation pour ce mois et pour le fidèle, nous avons rencontré l’Amir, chef missionnaire de la Jama’at (communauté) islamique Ahmadiyya au Burkina, Mahmood Nasir Saqib, qui dresse également le bilan de la conférence annuelle de la communauté.

Lefaso.net : Quel est le bilan que vous faites de la 29e Jalsa Salana tenue du 3 au 5 avril 2021 sous le thème : « Justice et réconciliation nationale pour la paix : les solutions de l’islam » ?

Mahmood Nasir Saqib (MNS) : Il faut d’abord rappeler que l’an passé, à cause du COVID-19, nous n’avons pas pu tenir la conférence, la 19e. Cette année, nous avons d’abord demandé l’autorisation à l’État, qui nous l’a accordée, ensuite à notre chef suprême, Khalif, qui nous l’a accordée. C’est ainsi que nous avons commencé les préparatifs avec toutes les précautions liées notamment aux mesures-barrières. Nous avons demandé aux vieilles personnes, aux femmes enceintes et aux enfants de surseoir à leur participation à cette édition, au regard de la situation sanitaire. Dieu merci, cette conférence qui a connu la participation de plus de neuf mille personnes s’est très bien déroulée. Le message, c’était d’abord celui de réconciliation nationale. Nous avons bien traité le sujet et les participants sont repartis avec un très bon message.

Lefaso.net : Qu’est-ce que ceux qui n’ont pas pu participer doivent retenir de ce message livré durant cette conférence annuelle ?

MNS : La première chose dans le processus de réconciliation nationale, c’est d’abord une réconciliation au niveau des bases sociales. Chaque foyer, chaque famille…doit se réconcilier avec ses membres. Chaque personne doit faire une très bonne réconciliation chez elle à la maison, dans sa famille, avec ses parents, ses amis, ses voisins, ses collègues de travail, etc. C’est là que commence la réconciliation pour arriver au niveau national. C’est ce message-là que nous avons partagé avec nos membres. Dieu merci, les gens ont compris le message et le ‘’feed-back’’ est très réconfortant. Dans la Jalsa salana, qui a duré quatre jours, tout s’est très bien passé. Nous remercions Allah pour cette chance pour avoir géré cette période.

Lefaso.net : Vous avez associé à la réflexion, l’Administration, des autorités politiques et des personnes d’autres confessions religieuses. Quelle symbolique se cache derrière ce brassage ?

MNS : D’abord, à la Jama’at, nous avons, à chaque fois, associé l’Administration et élargi nos cadres de réflexions. L’Amour, c’est entre nous les Hommes d’abord ; on doit s’aimer et montrer notre sympathie, les uns envers les autres, c’est très important. Cette année, nous avons un ministre chargé de la question (réconciliation nationale), à qui nous avons, en plus des autres autorités, adressé une correspondance. Dieu merci, elles ont toutes répondu. Donc, le débat a associé d’autres confessions religieuses afin de permettre à l’Administration d’avoir le point de vue de tout le monde. On peut dire que l’objectif que nous recherchions est atteint.

Lefaso.net : De tout le temps, la communauté ahmadiyya a prêché la paix, la cohésion sociale, la solidarité. Après la conférence internationale, quelle va être la suite avec les représentations dans les régions dans ce contexte de recherche de réconciliation nationale ?

MNS : Effectivement, étant représentée dans toutes les régions du pays avec plus de 150 missionnaires, notre travail est la formation des membres. C’est important de donner le message, le bon message. Le travail (de sensibilisation, de propagation du bon message) ne peut pas donner les résultats à court terme. Après la conférence, le travail se poursuit dans les régions et les missionnaires sont en train de suivre. Dieu merci, partout les gens apprécient le message et les sujets abordés. Chaque jour, les gens de tous bords ne cessent de nous féliciter pour le message que nous portons auprès des membres, au niveau des populations. Nous sommes donc en train de travailler réellement dans les régions afin que ce qui a été dit soit suivi : avoir une réconciliation réelle, de la base au sommet de la société.

Lefaso.net : Aujourd’hui, la préoccupation centrale, ce sont aussi la réconciliation nationale et la cohésion sociale. En tant que leader religieux, quel peut être votre message à l’ensemble des communautés religieuses du Burkina, en particulier celle islamique ?

MNS : D’abord, il faut qu’on comprenne la situation du monde ; parce que si quelqu’un ne connaît pas le danger, les enjeux, il peut fermer les yeux, pensant que tout va bien, alors que c’est l’ignorance. Actuellement, le monde est dans une posture très dangereuse, très difficile. Quand vous regardez le COVID-19, les gens pensent que c’est une petite affaire. Alors que non, une maladie réelle est en train de créer un problème grave dans le monde. Ce ne sont pas les morts uniquement qui sont un problème, le plus grave encore, c’est la crise économique qui va suivre.

Cette crise économique va détruire les relations humaines. Elle aura un effet très dangereux. Or, quand on a un problème économique, les problèmes sociaux commencent ; banditisme, quand les gens n’auront pas à manger, ils vont sortir casser, etc. Pour cette raison, il faut que les responsables religieux prennent leur responsabilité, avec leurs prêches, leurs messages, pour commencer à expliquer aux gens les dangers qui peuvent arriver afin de permettre de se préparer à cela.

Se préparer, comment ? C’est-à-dire faire en sorte qu’on sache ce qu’il faut faire ; quand il y a une difficulté, quel rôle tel ou tel leader doit jouer. Deuxième souci, la situation sécuritaire de notre pays, qu’on avait cru améliorée, mais les nouvelles ces deux jours inquiètent et montrent que la situation n’est pas bonne. Donc, aujourd’hui, tous les responsables de toutes les religions, sans distinction, doivent lancer des messages forts contre le terrorisme, sans hypocrisie. Il faut dire ouvertement que ce que les terroristes font n’a rien d’islamique. Une religion de paix (l’islam) ne s’adonne pas à de telles pratiques.

Un autre souci, nos jeunes sont exposés à toutes les précarités, qu’ils sont facilement une proie pour les terroristes. Ce que l’Etat et la société civile doivent faire aujourd’hui, c’est de tout faire pour occuper les jeunes : un bon système d’éducation, un bon plan de création d’emplois, etc. Si on néglige les gens (jeunes), ce n’est pas du tout bien. Chaque responsable religieux doit contribuer positivement donc à construire la société. La critique est facile, mais chacun doit contribuer positivement. Ce qui se passe ailleurs doit nous interpeler et nous instruire (on ne doit pas dire que parce que ça se passe loin de nous, donc ça ne nous intéresse pas).

Lefaso.net : C’est dans ce contexte d’insécurité, de recherche de réconciliation nationale et de cohésion sociale que se tient le jeûne 2021. La situation devra-t-elle avoir un impact sur le Ramadan ?

MNS : Le jeûne existe dans chaque religion. Chaque religion à sa manière de faire le jeûne. L’Islam nous a enseignés notre façon de faire. Ça, c’est pour bénéficier de la pitié, la grâce et la bénédiction d’Allah. Mais je vais dire quelque chose…, je suis d’accord, le jeûne est très important. Mais le plus important, c’est le sacrifice, l’acte. Pour dire quoi, le doua est important, mais à un moment donné, l’acte est aussi plus important. Actuellement, quand vous regardez au Burkina Faso, autour de nous, on parle de 1 079 000 personnes déplacées. Alors, on dit Ramadan, vous, vous êtes à la maison, contents, en train de dire que vous êtes en train de faire le jeûne, vous allez manger tout ce que voulez à la rupture. Mais, imaginez 1 079 000 personnes en train de souffrir de toutes les difficultés ; elles n’ont pas à manger, à boire et de quoi se loger. Faire le doua, c’est bien, mais il faut faire le sacrifice pour ces frères et sœurs, ces enfants, orphelins, veuves et veufs qui souffrent tout près de nous.

C’est pourquoi, chez nous à Amadiyya, outre les programmes ordinaires que nous avons au profit des populations, nous avons lancé dans la période, un programme spécial de collecte au profit des personnes déplacées. Nous avons aussi un autre programme spécial pour au moins 1000 familles. Nous allons faire des kits composés de riz, sucre, huile, savons…pour au moins 1000 familles. C’est cela nous appelons, dans le contexte actuel du pays, Ramadan. Sinon, Ramadan où les gens font carême, vont dormir pour se lever rompre et manger tout ce qu’ils veulent et prier la nuit pour reprendre le lendemain, c’est bon, mais ce n’est pas arrivé. Ramadan nous enseigne que nous devons aider ceux qui souffrent et c’est ce que nous enseignons et expliquons à Ahmadiyya. Ramadan, c’est regarder comment les gens souffrent à côté de vous, tout près, dans le même pays.

Quelqu’un qui pense que parce qu’il prie de la nuit au petit matin a bien fait, oui, il a bien fait, mais à côté de lui, il y a des gens qui n’ont pas mangé, qui ont dormi à jeûn. Dans ces conditions, pensez-vous qu’Allah sera content de vous ? Dans les écritures saintes, il est dit qu’Allah va demander le jour du jugement pourquoi on n’a pas apporté telle ou telle autre aide à telle ou telle autre personne qui en avait besoin ? Des connaissances étaient malades, vous ne leur avez pas rendu visite. Ils avaient faim, vous ne leur avez pas donné à manger, ils avaient soif, vous ne leur avez donné à boire, etc.

Dieu va demander pourquoi ce serviteur était dans le besoin et vous ne l’avez pas secouru. C’est dire que quand on agit pour la créature d’Allah, on agit pour Allah. Et le Ramadan nous a enseigné qu’il faut qu’on travaille pour ceux qui souffrent. On ne peut pas finir les difficultés, mais on peut diminuer la souffrance pour beaucoup de personnes et c’est ce que nous avons comme messages et actions sur le terrain.

Lefaso.net : Donc, dans le contexte actuel du Burkina, le Ramadan devait être la multiplication des vraies actions de solidarité !

MNS : Oui, tout à fait ! Ramadan donne un message. Mais beaucoup de gens ne comprennent pas ce qu’est le message. Je n’ai pas mangé depuis matin, j’observe la soif et la faim, je le fais à cause d’Allah. Je dois comprendre qu’il y a des millions de personnes qui, elles, n’ont pas décidé de ne pas boire et de ne pas manger, c’est parce qu’elles n’en ont pas. Imaginez un enfant qui se réveille matin et qui jusqu’au soir n’a rien pour manger. Imaginez ce que ça fait comme souffrance. Mais vous, vous êtes à la maison, dans votre confort, vous décidez de quand vous buvez et mangez, vous faites le jeûne dans le confort, c’est bien, mais le vrai jeune, c’est le sacrifice, aller aider ceux qui souffrent, juste tout près de vous. Je suis d’accord que Ramadan, c’est la prière et bien d’autres évocations, mais la plus forte et noble action, c’est aider les gens qui sont dans la souffrance. C’est cela le message du Ramadan.

Lefaso.net : Nous sommes dans la dernière décade du Ramadan, qui revêt une importance particulière, avec les longues prières. Quelle est la conduite appropriée à tenir ?

MNS : Dans l’esprit, c’est comme un marathon ; quand vous démarrez, vous êtes plus en forme physiquement. Mais après une certaine distance, vous commencez à être fatigué. C’est en ce moment que vous avez besoin d’être encouragé. C’est naturel chez l’être. C’est pour cela le Saint Prophète (Paix et Salut sur Lui) dit que dans le mois du Ramadan, voici les bénédictins que contient la première décade, celles de la deuxième décade et les bénédictions des dix derniers jours. Les plus importantes, c’est la dernière décade.

Tout le mois est important, chaque jour du mois est important, mais les dix derniers jours sont encore plus importants parce que ça correspond au moment de la fatigue, il faut faire plus d’effort pour tenir. Donc, on redouble d’effort. C’est ce qui s’explique par la retraite spirituelle (pour ceux qui ont les moyens de le faire). Les gens viennent à la mosquée à partir de la vingt-unième nuit jusqu’à la dernière. Donc pendant dix jours, les gens restent dans la mosquée. Ceux qui n’ont pas la possibilité, chacun fait un effort dans la prière. C’est comme un examen, quand la date s’approche, les efforts aussi se multiplient.

Lefaso.net : Et ceux qui n’arrivent pas à observer tout cela, par défaut de possibilité ?

MNS : Tout ce que nous faisons, c’est d’abord l’intention qui compte. Pour une raison ou une autre, des gens peuvent ne pas pouvoir le faire (quelqu’un qui doit se sacrifier pour nourrir des personnes..., vous avez tout fait, mais votre travail ne vous permet pas de le faire, etc.), mais l’intention est-là et Dieu sait. Donc, la personne peut ne pas observer, mais l’intention est-là, Allah va lui accorder la bénédiction. Je vous raconte ceci : il y a un grand savant, qui venait d’effectuer le hadj.

Après le pèlerinage, il était couché une nuit et il lui a été révélé que cette année, Allah a accepté la prière (pèlerinage) d’une seule personne. Dans le rêve, Dieu lui a montré la direction de la personne dont le hadj a été accepté. Alors, il a pris la direction indiquée pour retrouver la personne. Quand il est arrivé, il a vu que le monsieur en question était un cordonnier. Il a demandé au monsieur comment il a fait pour que ce soit lui seul dont le hadj a été accepté par Allah. Le monsieur lui dit : « Je n’ai pas fait le hadj cette année ». Alors, il s’est étonné que quelqu’un, qui n’a pas effectué le hadj, voit son hadj accepté par Dieu.

Le monsieur dit : « En réalité, depuis longtemps j’ai nourri le rêve de faire le hadj. J’ai commencé à économiser un peu un peu et cette année, j’ai décidé d’effectuer le pèlerinage. Je m’apprêtais donc à partir quand un jour, ma femme me dit qu’elle sent l’odeur d’une très bonne sauce dans le voisinage et qu’elle allait en demander. Quand elle est partie demander la sauce, le monsieur (l’époux) a répondu que cette sauce est haram pour vous, mais halal pour nous. Elle a demandé comment ? Le monsieur a dit qu’en réalité, cela fait trois à quatre jours qu’ils n’ont rien à manger, les enfants agonisaient. Qu’il a donc vu un animal mort, qu’il a découpé pour venir préparer pour les enfants. Quand ma femme est revenue m’expliquer ça, je suis rentré dans ma chambre, j’ai pris l’économie que j’ai réalisée pour le hadj et je lui ai remis d’aller donner à la famille en question. Voilà pourquoi je n’ai pas pu effectuer le hadj ». Ce qu’il a fait, c’est l’intention et Allah a accepté.

Lefaso.net : Un message pour conclure ?

MNS : Ramadan s’achève avec une situation difficile dans notre pays : la situation sécuritaire devient très difficile, les déplacés augmentent. Dans ces conditions-là, chaque personne doit faire un effort, aussi petit soit-il, pour aider les frères et sœurs dans les difficultés. Il faut que chacun se mobilise et donne le peu qu’il peut, pour aider les frères et sœurs, c’est cela le vrai Ramadan. Dans la situation actuelle, le vrai Ramadan, c’est d’aider les autres.

Entretien réalisé par O.H.L
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