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Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

Publié le lundi 5 avril 2021 à 23h05min

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Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

Le Dr Paul Taryam Ilboudo est décédé le mercredi 31 mars 2021. Il était le maire de Loumbila (dans la banlieue de Ouagadougou). Sa vie fut un long parcours de combats, de défis, d´innovations. C’est de cela que témoigne ici le journaliste Evariste Zongo, un de ses proches collaborateurs.

Vendredi 26 mars 2021, vous étiez attendu au lycée agricole et d’énergies renouvelables 3AE pour participer à la projection du film : « l’homme qui arrêta le désert » du Prix Nobel Alternatif du Développement, Yacouba Sawadogo. Autour de 18h 30, j’ai reçu votre appel me disant que vous ressentiez un coup de fatigue et de vous excuser auprès des invités.

Lorsque je vous annonçais la veille l’arrivée de cette grande figure de la lutte contre la désertification dans le cadre du premier festival Alimenterre, vous vous réjouissiez de l’accueillir pour l’honneur fait au lycée et surtout à la commune de Loumbila. Malgré vos multiples occupations et votre agenda, vous avez promis d’être présent, car vous avez connu Yacouba Sawadogo, et appréciez son combat et son engagement pour le développement à travers ses actions.

Samedi 27 mars, comme d’habitude, après chacune de mes activités, je me fais le plaisir de vous envoyer un message pour vous faire le compte rendu. C’est alors que vous me répondiez : « Bonjour Président, toutes mes félicitations. J’y étais de cœur, mais heureusement que j’ai été bien inspiré de rentrer prendre mes médicaments. La nuit a été très très difficile, et depuis ce matin je suis en consultation. Dieu est aux commandes. Ça ira. Excellente journée ». J’ai reçu votre message à 10h 51. Je me suis empressé de vous répondre : « Merci M. le Maire. J’espère que ça va mieux. Je crois qu’il est temps de vous ménager…Dieu est au contrôle. Meilleures santé ».

En ce moment j’étais très loin d’imaginer que je ne recevrais plus des notifications de vos messages, ces derniers messages étaient bien les derniers. Mais je garde bon espoir que je recevrais toujours des messages d’encouragements, de félicitations et de conseils, autrement.

Dimanche 28 mars autour de 15h, après avoir emmené mes parents visiter le lycée, je leur ai dit de passer vous rendre visite car vous ne vous sentiez pas très bien la veille. Je suis revenu de Goundry autour de 15h et les ai retrouvés chez vous à votre domicile à Wemtenga. Vous m’avez invité, comme d’habitude à boire du vin, en me précisant que dans votre état, vous n’allez pas en prendre. Sur ce fait, nous avons commencé à échanger en famille sur des sujets tout azimut.

Mes parents se sont retirés et nous avons poursuivi notre conversation plus intimement sur des sujets concernant la commune. Nous avons passé environ 2h de temps, jusqu’au moment où vous vous êtes allongé sur le divan. J’ai observé que vos pieds qui s’enflent habituellement après une longue position assise n’étaient pas enflés. Me sentant aussi un peu fatigué après une longue journée, j’ai demandé à me retirer autour de 18h 30.

Lundi 29, je n’ai pas eu de vos nouvelles, vous aviez la première session du conseil municipal à préparer. Le jour de la session, le mardi 30, je constate que vous n’étiez pas là ; le conseiller Sylvain Ilboudo me demande si j’ai de vos nouvelles, et je lui réponds que depuis dimanche je n’avais plus eu de vos nouvelles. Après avoir passé un coup de téléphone il revient m’informer que vous êtes hospitalisé.

Après la session, je passe à l’hôpital dans votre chambre et vous trouve sous masques respiratoires et une bouteille d’oxygène à votre chevet. Je fus pris de frayeur. J’arrive à vous saluer, je n’ai pas le temps de vous demander ce qui se passe, que sous le masque, vous me posez la question pour vous enquérir des nouvelles de la session.

Je balbutiai une première fois, et une fois assis, je vous dis que ça s’était bien passé. Je sentais que vous faisiez des efforts pour parler. Vous me rassuriez, que ce jour, ça allait beaucoup mieux mais que la veille vous étiez très fatigué, c’est pour cela que votre médecin traitant a décidé de vous hospitaliser pour un meilleur suivi. Votre épouse a dit aussi que ça allait mieux mais qu’elle n’est pas contente…

Vous vous êtes relevés pour me donner des instructions : « tu dis à un tel de faire ci de faire ça, tu n’oublies pas de faire ci. Tu … ». Votre belle fille est venue me trouver là, et entre temps vous deviez parler avec votre fils qui appelait des Etats Unis. C’est alors que je me retirai tout en vous souhaitant meilleure santé. Une fois, hors de l’hôpital, j’étais perplexe et me posais des questions sur votre état et ce après avoir vu cet appareillage biomédical autour de vous. En ce moment, je me suis rappelé de votre message « Dieu est aux commandes ». En fait, après le dernier message, c’était la dernière visite.

Le lendemain, mercredi 31 mars, la nouvelle déchira la commune de Loumbila, la ville de Ouagadougou, le Burkina, des gens m’appelaient de partout, pour que je confirme que le Dr. Paul Taryam Ilboudo, alors Maire de la cité des légumes, est décédé. Je refusais de croire, je rejetais les appels jusqu’à ce que je rentre à l’hôpital à toute allure.

Ne vous ayant pas vu, je suis reparti immédiatement à votre domicile, tout en me disant que ça allait mieux et qu’on vous a libéré, je me suis accroché à cet espoir. Sur le seuil de votre portail, je vis votre épouse à peine qui descendait de la voiture, des personnes pleuraient autour d’elles, et très rapidement je devrais me rendre à l’évidence. Votre épouse eu une seule parole : " Evariste ne pleure pas…Est-ce que tu me vois pleurer. Tonton est parti".

A partir de cet instant, je me suis fait le devoir de vous rendre hommage avec mes mots, et à ma façon. En effet j’ai eu l’énorme privilège de vous connaitre depuis 50 ans, depuis ma tendre enfance. Après mes débuts à l’Observateur, j’ai travaillé comme coordonnateur de l’Association des Journaux en Langues Nationales AEPJLN, structure que votre ONG Solidar Suisse a accompagnée pendant une douzaine d’années. Je me suis plus rapproché de vous en tant que proche collaborateur direct ces 5 dernières années, élu local de mon village Daguilma, élu au sein du bureau du conseil communal de Loumbila en tant que Président de commission Ad Hoc Affaires Générales Sociales et Culturelles.

Je retiens de vous un homme, une vie, un combat, le développement. Cependant ces cinq dernières années ont été éprouvantes et paradoxalement exaltantes. Vous qui aimez le travail, la loyauté, le dévouement, vous vous êtes retrouvés dans un milieu autre que celui que vous avez connu en tant qu’instituteur, enseignant, représentant d’organisations internationales au Burkina, consultant international. Là où vous avez posé les pieds étaient un milieu un peu différent.

Bien sûr, on me dira que tous les milieux ou les contextes sont différents, mais la politique comme vous vous y attendiez et la politique telle que vous l’avez vécu, en réalité, était le jour et la nuit. Nous en parlions souvent en public ou en privé et vous aimiez dire que vous ne saviez pas que « la politique était ainsi faite, j’ai appris à faire du développement, je n’ai pas appris à faire de la politique ». Mais, vous comme moi, acceptions l’idée que l’expérience que l’on vivait était l’une des meilleures écoles de la vie. Nous avons beaucoup appris de l’homme, de la gestion au quotidien d’une cité auprès des populations et de leurs représentants au conseil municipal.

Malgré les trois « coups d’états » que vous avez essuyés au cours de votre mandat, vous ne vous êtes jamais découragé pour remplir et vous avez assumé la responsabilité à vous confier. Je me rappelle des débats houleux autour de certaines de nos délibérations, des tractations et du mal que vous vous donnez à concilier, à faire comprendre que l’on doit voir d’abord le développement de notre commune. Après chaque crise vous en ressortez confiant en l’avenir et toujours prêts pour aller plus loin pour votre commune. Cependant, je sentais que la fatigue s’installait.

Le Paul Taryam Ilboudo fringant en 2016 perdait de sa fraicheur au fil de ces cinq ans. J’étais toujours admiratif de la manière avec laquelle vous abordiez et réagissiez face aux difficultés quotidiennes. J’ai compris que votre longue expérience vous était utile dans la gestion de la commune. J’ai compris aussi que c’est une sorte de potion qui vous remobilisait sur l’essentiel : le développement des populations. Votre incroyable capacité à rebondir était et est pour moi extraordinaire.

En principe cette année devrait être la fin de notre mandat, mais il semble qu’il y aurait une prolongation à la demande du gouvernement, et sans en faire un secret, vous m’avez confié ne plus vouloir vous représenter, c’est-à-dire rebeloter, pour vous occuper de votre passion première qui est la formation, l’enseignement.
Votre engagement sans merci pour la cause du développement de votre collectivité a été un sacerdoce qui va au bout du bout.

Un de nos amis commun Suisse, en me présentant ses condoléances ces jours-ci, évoque le décès d’un grand humaniste et dit qu’il n’ose pas croire, comme si vous aviez une part d’immortalité en vous. Moi, je croyais que vous aviez cette part d’immortalité et je pense même, très sincèrement que cette idée ne m’était jamais traversée.

Mourir. Oui, entre nous, parfois vous l’évoquiez, mais moi je ne voyais pas comment ce jour pouvait arriver. Puisque, chaque jour, vous étiez sur les chantiers et les « sentiers » du développement pour le mieux-être des femmes et des hommes de votre commune. Sans distinction ni d’âges, ni de genres, ni de statut et rang social, vous receviez des dizaines de personnes quotidiennement, vous prodiguiez des conseils, vous donniez sans conter, sans attendre.

Vous teniez des réunions à longueur de journées alors que dans vos prérogatives de Maire, vous avez juste l’obligation d’être à la mairie, en tant que Maire, 7 jours ouvrés le mois. Mais vous, tous les jours que Dieu fit, vous êtes en mairie. Vous étiez le supporter numéro 1 de l’équipe de football de Loumbila, celui des pétanqueurs. Vous étiez disponible pour la coordination des femmes, les associations. Oui, tout le monde venait à vous et vous aviez les mots pour que tous repartent satisfaits.

Je vous ai vu parcourir les villages avec le bureau du conseil municipal et les conseillers pour expliquer la vision du développement du conseil municipal de la commune de Loumbila aux populations. En effet, la plupart des réalisations, écoles, CSPS, ponts, Maisons des jeunes, installations des feux rouges ont été à 100% financés par les ressources propres de la commune.

Je me suis toujours demandé comment vous étiez constitué, du haut de vos 70 ans bien sonnés, après avoir montré et démontré vos capacités dans l’administration publique, dans les ONGs et les associations. Vous êtes toujours alerte, vif et d’une mémoire incroyable.
Nous avions en projet d’écrire un livre sur votre vie, une sorte de biographie. Voilà 3 ans que nous avons commencé mais votre lourd agenda communal ne nous a pas permis d’avancer.

Voici qu’un autre agenda s’impose à moi, depuis ce mercredi 31 mars, je me retrouve à courir avec mes camarades conseillers de gauche à droite pour organiser une cérémonie d’hommage de notre Maire. Je suis stupéfait, abasourdi, sans mot. Cet agenda, je dois désormais m’y faire et dire tout simplement que vous nous avez montré que c’est toujours possible lorsqu’on met de la volonté et de la conviction.

Au cours de ces cinq ans, nous avons parlé souvent de développement, de l’éducation, de la culture, de la politique. Au cours de nos voyages en Europe dans le cadre des jumelages, nous avons expliqué à nos partenaires la vision du développement du conseil municipal et l’engagement de l’équipe municipale à développer la commune de Loumbila.

Loumbila, quoi qu’on dise est mis aujourd’hui en orbite sous votre impulsion. En toute humilité vous avez toujours dit que les résultats sont celui du conseil municipal. Mais vous partez en laissant des traces indélébiles sur ce conseil municipal, un impact psychologique énorme dans la vie des populations de Loumbila.

Votre prénom « Taryam », qui veut dire littéralement en langue mooré, « celui qui possède l’intelligence, la sagesse » est une bénédiction, un destin, un accomplissement. Toute votre vie, vous l’avez utilisé intelligemment pour transmettre des valeurs utiles, simples et justes. Nul n’est certainement parfait ; ne dit-on pas que « l’homme est 9, il n’est jamais 10 » ? Cependant depuis mercredi dernier j’ai bien envie de dire que vous êtes 10, non par naïveté mais parce que malheureusement dans ce monde bas, on attend toujours que tu t’éloignes, pour en faire un héros, un dieu.

Pour moi maintenant que vous avez transmis, nous prenons, nous transmettrons. En ayant eu ce privilège de vous côtoyer ces dernières années, je dirai que c’est possible d’aller plus loin dans la pensée, dans la réflexion, dans l’action. Vous avez été un intellectuel utile pour votre collectivité, pour votre région, pour votre pays, pour l’Afrique. Merci Monsieur le Maire.

Evariste ZONGO
Président de la commission ad’hoc
Affaires Générales Sociales Culturelles
du conseil municipal de Loumbila
evariste1965@gmail.com
Tél. + 226 70 23 96 48

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Vos commentaires

  • Le 5 avril 2021 à 07:20, par gerard En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Français à la peau blanche, je viens de perdre un FRERE DE SANG. Paul et Virginie étaient témoins à mon mariage en 1979
    avec Danielle, française ayant travaillé comme infirmière à Ouaga en 1976 avec Virginie. Tous les deux étaient chez nous en France en octobre 2019, date de notre dernière rencontre physique avec Paul. Evariste ZONGO nous avait rejoints pour participer à un colloque sur la coopération décentralisée à Poitiers. Notre famille est en deuil parce qu’on n’ efface pas 45 ans d’amitié sincère et profonde d’un revers de main !
    Nous sommes fiers de t’avoir connu cher Paul. Repose en paix. Nous t’aimons.

  • Le 5 avril 2021 à 08:09, par Nelson CONGO En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Paul TARYAM est un immortel pour l’école bilingue. Je souhaite vivement que ce texte du Conseiller Evariste Zongo soit transcrit en langue nationale la plus partagée de la commune dont l’illustre fut le Maire pour le public.
    Que Dieu console les cœurs de ses diverses familles !

  • Le 5 avril 2021 à 09:09, par romuald En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Merci Evariste pour ce témoignage, je versais des larmes en lisant ton écrit. Dr Taryam a été une lanterne pour de nombreux acteurs évoluant dans le monde linguistique, associatif et des ONG. Il faut aussi avoir le courage de dire qu’il laisse un très grand vide, d’abord pour sa commune Loumbila, pour la région du Plateau central et pour le Burkina Faso tout entier. Hélas, mais c’est la volonté de Dieu qui s’est réalisée. Nous osons croire que, du haut des cieux, il nous guidera toujours dans l’action. Que Dieu l’accueille dans son céleste royaume.

  • Le 5 avril 2021 à 09:23, par KONDITAMDE En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Merci Mr le président Evariste ZONGO. C’est émouvant en lisant mais nous sortons tous avec cette bonne leçon : être disponiblement utile pour les autres, dans la parole et dans l’action.

  • Le 5 avril 2021 à 10:23, par Razo En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Bel hommage pour un digne fils du Faso qui a passé toute sa vie à œuvrer pour le développement. Que Dieu l’accueille dans son paradis !

  • Le 6 avril 2021 à 12:20, par Pierre Ilboudo En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Repose en paix, tonton. Tu as vecu utile. Ce fut vraiment un grand homme.

  • Le 6 avril 2021 à 14:01, par Ablasse Albert En réponse à : Docteur Paul Taryam Ilboudo : Un homme, une vie, un combat, le développement !

    Paix a l’âme de l’illustre disparu. Il était tout simplement un Grand Homme. Sa conviction pour le développement endogène n’avait pas d’égale. Il y a cru, et il y est arrivé. Je n’ai pas de qualificatif pour lui. Quelque chose doit être fait en sa mémoire. Une école, un lycée ou une université doit porter son Nom dans notre pays au regard de ce qu’il a fait dans le domaine de l’éducation.

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