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Décès de Marie-Soleil Frère : Lassané Yaméogo rend hommage à sa directrice de thèse

Publié le lundi 22 mars 2021 à 13h35min

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Décès de Marie-Soleil Frère : Lassané Yaméogo rend hommage à sa directrice de thèse

Le monde des médias pleure depuis le 19 mars 2021 Marie-Soleil Minoungou Frère. Chercheure en enseignante en sciences de l’information et de la communication, elle a encadré plusieurs étudiants burkinabè dont Lassané Yaméogo (chercheur au CNRST) qui rend ici hommage à celle qui a été sa directrice de thèse.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Lassané Yaméogo, docteur en sciences de l’information et de la communication de l’Université libre de Bruxelles - ULB (Belgique) et de l’Université Joseph Ki-Zerbo (Burkina Faso). Je suis Attaché de recherche à l’Institut des sciences des sociétés (INSS) du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST), chercheur associé au Centre de recherche en information et communication (ReSIC) de l’ULB et membre du Laboratoire des pratiques et des identités journalistiques (LaPIJ) de cette même université. Je suis par ailleurs enseignant à l’Université Joseph Ki-Zerbo, à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille en France et à l’Université Thomas Sankara où je coordonne un projet de formation certifiante « Journalisme, communication et conflits).

Comment avez-vous connu Marie-Soleil Frère et en quelle année ?

Avant de répondre à votre question, permettez-moi de saluer la mémoire du brillant Soleil qui vient de se coucher à 52 ans. La disparition de Marie-Soleil Frère est une grosse perte pour la communauté scientifique, pour les chercheurs en sciences de l’information et de la communication, pour les journalistes et les étudiants en journalisme. Je souhaite que là où elle, elle repose en paix et continuer d’inspirer ce monde.

J’ai connu Marie-Soleil en 2011, quand j’ai décidé d’entreprendre des démarches pour des études doctorales après l’obtention, en 2010, d’un Diplôme d’Etudes Approfondies- DEA (aujourd’hui Master II recherche) en sciences de l’information et de la communication à l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC) de l’Université Joseph Ki-Zerbo. Je suis allé voir le Professeur Serge Théophile Balima qui avait dirigé mon mémoire de DEA pour lui parler de mon projet doctoral.

Le professeur m’a encouragé et m’a conseillé de prospecter la perspective d’une codirection ou d’une cotutelle avec une université occidentale car c’est l’option qui allait me permettre d’aller relativement plus vite. Je rédige alors un projet de thèse que j’envoie à plusieurs professeurs en France dont Annie Lenoble- Bart de l’Université Bordeaux Montaigne que je ne connaissais pas.
Celle-ci me répond que mon projet est intéressant, mais qu’elle était malheureusement admise à la retraite et donc ne pouvait plus encadrer des doctorants. Elle m’oriente vers Marie-Soleil Frère, alors enseignante à l’Université libre de Bruxelles, en m’envoyant son e-mail et en la mettant en copie. J’envoie sans tarder mon protocole de recherche à Marie-Soleil qui me répond qu’elle viendra en vacances en août à Ouagadougou et qu’elle m’accordera un rendez-vous pour qu’on en discute. Elle arrive effectivement en août 2011 et m’accorde le rendez-vous à son domicile au quartier Petit Paris de Ouagadougou. Elle me remet mon projet plein de stylo rouge et me fait part, pendant environ une heure, de ses observations et me demande de le retravailler selon ses commentaires.

Par ailleurs, elle m’informe de la possibilité pour moi d’avoir une inscription à l’’Université libre de Bruxelles, mais à condition que j’obtienne une bourse ou que j’apporte la preuve que je dispose de ressources financières suffisantes pour m’autofinancer. Je lui ai dit que j’allais plutôt me lancer dans la recherche de bourse parce que je suis issu d’une famille modeste qui n’est pas en mesure de supporter mes études en Belgique. Elle m’a conseillé de consulter le site de l’ULB de temps en temps car des appels à bourses y sont souvent publiés. C’est ainsi que je suis tombé un jour sur un appel des Relations internationales de l’ULB (Fonds LEWIN – Inès HENRIQUE DE CASTRO), auquel j’ai postulé et, heureusement, j’ai été sélectionné. S’en est suivie mon inscription en octobre 2012 à l’ULB dans le cadre d’une cotutelle avec l’Université Joseph Ki-Zerbo et comme promoteurs ou directeurs de thèse les professeurs Serge Théophile Balima et Marie-Soleil Frère.

Quelle a été la nature de vos rapports ?

Des rapports très cordiaux et non distanciés. Prof Marie-Soleil était d’une grande qualité à la fois scientifique et humaine. Elle ne savait pas apprécier le travail scientifique à demi-mot. Elle était rigoureuse, méthodique et pointilleuse. Quand elle devait me retourner un chapitre de ma thèse ou un article que je lui ai soumis pour appréciation, je devenais stressé parce que je savais qu’elle ne me fera pas de cadeau. Elle avait une connaissance si fine de l’écosystème médiatique africain, particulièrement de l’Afrique de l’Ouest et des Grands Lacs, et des auteurs de référence que ses observations et commentaires me ramenaient de nouveau sur le terrain ou dans les ouvrages. Des collègues doctorants, Bellarminus Kakpovi, Marie Fierens, Pierre N’Sana que je salue de passage, qui partageaient avec moi le même bureau à l’ULB vivaient également le même stress quand ils étaient « convoqués » pour recevoir leurs textes. Ella savait amener ses doctorants à sortir de l’occidentalo-centrisme et à ancrer leur sujet de recherche dans des approches locales et contextualisées.

Marie-Soleil était aussi une grande dame au grand cœur. Elle avait un sens élevé des relations humaines. Elle invitait chaque année tous ses doctorants à un dîner dans un restaurant VIP de Bruxelles et c’est elle qui payait l’addition. Elle invitait également régulièrement ses doctorants à son domicile autour d’un repas. Elle était d’un humanisme débordant.

Comment appréciez-vous la chercheure et l’enseignante qu’elle a été ?

Prof Marie- Soleil explore dans sa recherche les spécificités des systèmes médiatiques africains, en particulier ceux des pays d’Afrique francophone, dans une perspective de « désoccidentalisation » des sciences de l’information et de la communication. Ses travaux questionnent les interactions entre les différents acteurs du champ médiatique (journalistes, techniciens, directeurs d’entreprise de presse), de même que leurs relations avec les champs politique, économique et social. Elle aborde ce virage scientifique déjà à partir de sa thèse de doctorat intitulée « Presse et Démocratie en Afrique francophone : de la communication traditionnelle à l’émergence de la presse privée dans les transitions démocratiques au Bénin et au Niger » qu’elle a soutenue en 1997 à l’ULB.

Je peux dire, sans prétention aucune, que Marie-Soleil constitue en elle seule une bibliothèque. Elle a publié sur le sujet des médias et du journalisme d’Afrique francophone sept (07) ouvrages à titre de seul auteur, trois (03) ouvrages à titre seul éditeur, vingt-sept (27) contributions dans des ouvrages collectifs, trente-sept (37 articles dans des revues scientifiques internationales, dix-sept (17) rapports issus de recherche empirique, trois (03) notes de lecture, deux (02) policy brief, cinq (05) préfaces de livres, une (01) postface, neuf (09) préfaces et coordinations d’ouvrages de vulgarisation.

Elle avait d’autres projets de publication dont la traduction en anglais de son dernier livre, Journalismes d’Afrique. Elle tenait tellement à ce projet que, même sur son lit d’hospitalisation, elle y travaillait. Je lui ai même envoyé, en février dernier, des informations sur la situation des médias au Burkina ainsi que mes récents articles pour qu’elle actualise certaines données. Je souhaite vivement que ce projet qui lui tenait à cœur ne reste pas dans son tiroir, mais soit publié à titre posthume.

Marie-Soleil a aussi été une excellente enseignante. Elle savait nourrir ses enseignements de ses propres recherches. A l’Université libre Bruxelles, elle m’a souvent fait l’honneur de m’inviter à ses cours. Elle m’a aussi parfois confié des Travaux dirigés (TD) que j’administrais à ses étudiants. Elle y dispensait, entre autres modules, Médias et Systèmes politiques en Afrique ; Médias et Communication dans les pays du Sud.

Quels souvenirs gardez-vous d’elle ?

Une dame d’un courage exceptionnel. Malgré la maladie, elle n’avait jamais cessé de travailler. Elle ne s’était jamais montrée vaincue. Elle est restée stoïque, enthousiaste et joviale. Cela m’a profondément marqué. Je retiens également d’elle quelqu’un qui a le sens du bien commun. Alors qu’elle assurait la coordination Nord du Projet de formation Sud (PFS) « Journalisme, communication et conflits » mis en œuvre au Nord par l’Université libre de Bruxelles et au Sud par l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) et l’Université Thomas Sankara, elle a, volontiers, confié la direction dudit projet à d’autres collègues quand sa santé a commencé à se dégrader. Sous d’autres cieux, on n’aurait pas vu cette passation de charges pour raison de maladie. On meurt avec les charges ! La dernière fois que nous nous sommes vus virtuellement c’était le 17 février 2021 lors d’une réunion visio sur les perspectives du lancement des activités du projet. L’agenda a été pris pour ce semestre et nous travaillerons à cela pour honorer sa mémoire.

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