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Sant’Egidio à la rescousse de la réconciliation nationale au Burkina Faso

Publié le lundi 22 mars 2021 à 11h41min

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Sant’Egidio à la rescousse de la réconciliation nationale au Burkina Faso

C’est la direction de la communication de la présidence du Faso qui a livré l’information : le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré a reçu, le lundi 15 mars 2021, dans la matinée, le chargé des relations internationales de la Communauté Sant’Egidio, Mario Giro. L’entretien entre les deux hommes a porté sur l’accompagnement que pourrait apporter la Communauté au processus de réconciliation nationale.

Mario Giro, de son côté, parle non seulement de « réconciliation » mais également de « dialogue national ». Si Sant’Egidio vient ainsi à la rescousse du Burkina Faso, c’est que la Communauté a « une expérience en la matière ». C’est le moins que l’on puisse dire même si la « diplomatie parallèle » menée par la Communauté est encore, pour l’essentiel, une diplomatie sinon secrète tout au moins particulièrement discrète. Mario Giro, quant à lui, préfère évoquer « l’humilité qui sied à son environnement et à son engagement religieux ».

Depuis quelques décennies, la Communauté Sant’Egidio s’est imposée comme « un des lieux d’influence les plus fascinants et les plus singuliers de la planète ». On dit d’elle qu’elle est une « société discrète » détenant un « pouvoir énorme ». C’est que Sant’Egidio n’est jamais sur le devant de la scène. Malgré le ballet anachronique des limousines dans le Trastevere, le quartier populaire, populeux et encore authentique, au sud-ouest de Rome, où se trouve la Piazza di Sant’Egidio qui a donné son nom à la Communauté.

C’est en 1968 que Andrea Riccardi, dix-sept ans, fils d’un directeur de banque, appartenant à l’Eglise catholique mais ne « pratiquant » pas, entendait refuser l’injustice sociale sans pour autant militer au sein du PCI, le parti communiste italien. Sur ce mot d’ordre, il s’efforcera de mobiliser les fils de la bourgeoisie romaine fréquentant le collège Virgile. En 1973, le groupe s’installera à Sant’Egidio. L’église du XVIIè siècle, propriété de l’Etat italien, était vide. Et les carmélites avaient abandonné le couvent attenant.

Sant’Egidio, dans ce quartier très populaire, deviendra un pôle autour duquel s’organiseront des actions « bienfaitrices » en faveur des pauvres et des démunis. Un « Resto du Cœur » Made in Italia. C’est-à-dire « dans l’esprit œcuménique du concile Vatican II », inauguré le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII et qui s’achèvera le 8 décembre 1965.

Aujourd’hui, la Communauté revendique des dizaines de milliers de membres répartis dans une soixantaine de pays, principalement en Afrique. Sant’Egidio se veut un « médiateur par défaut ». « Nous faisons ce que personne ne veut faire, dit un responsable de la Communauté. Nous pouvons aller au-delà de la diplomatie officielle, il s’agit de faire dialoguer des gens qui se considèrent comme des ennemis ».

Indépendance, disponibilité, ouverture d’esprit, expérience du terrain, austérité de mœurs, les « diplomates » de Sant’Egidio jouent, également, de l’image mi-laïque, mi religieuse qui est la leur. La Communauté regroupe essentiellement des laïcs. Mais les prêtres y jouent un rôle majeur. Quelques pères fondateurs appartiennent désormais à la plus haute hiérarchie catholique. Et la pratique religieuse y est permanente. Pour autant, Sant’Egidio a « comme principe, dans les actions qu’elle mène en faveur de la paix, de n’établir aucune séparation ni confusion avec l’action propre du Saint-Siège ».

Trouver un équilibre entre justice et paix


Mario Giro, qui a été reçu par le président du Faso, avait accepté, fin 2008, de recevoir Anne Dalaine, l’envoyée spéciale à Rome de La Dépêche Diplomatique. Il est aujourd’hui âgé d’une bonne soixantaine d’années et a accru son expérience des médiations internationales. Il a rencontré les pionniers de Sant’Egidio alors qu’il était encore au collège. Il ne les a plus quittés et a connu son épouse au sein de la Communauté.

Mario Giro, qui maîtrise parfaitement le français, a obtenu une maîtrise en histoire économique. Au civil, il occupait un poste de syndicaliste au département international du bureau national du CISL (l’équivalent de la CFDT française) et il était membre du conseil scientifique de l’Unesco à Rome. Son activité de médiateur, il l’avait débutée en 1990 dans le cadre du conflit mozambicain. « Mon rôle est d’abord et avant tout d’amener les belligérants à se parler entre eux », résumait-il en 2008. Il insistait sur la nécessité d’être patient, parce que la gestion du temps, en période de guerre, est obligatoirement différente de celle en temps de paix. Il disait qu’il fallait aussi accepter un échec : « Forcer un accord n’a pas de sens. L’imposition de la paix ne marche jamais ».

Sant’Egidio a été souvent placée à gauche sur l’échiquier politique italien (Andrea Riccardi, le fondateur de la Communauté, a été ministre de la Coopération internationale et de l’Intégration de novembre 2011 à avril 2013 dans le gouvernement Mario Monti, un anti-populiste). Un positionnement que Mario Giro ne revendiquait pas : « Qu’est-ce que la gauche ? déclarait-il à Anne Dalaine. Honnêtement, je ne le sais pas. Si c’est accepter le mariage homosexuel, je n’en suis pas. Si c’est vouloir une vraie politique sociale, alors OK ».

Cinq règles encadrent la vie de la Communauté : la prière (celle du samedi soir attire, dit-on, la foule), la propagation de l’Evangile, la solidarité, l’œcuménisme et le dialogue.

Les médiations de Sant’Egidio n’ont pas toutes été couronnées de succès. Mais c’est sur le long terme qu’il faut juger de leur impact. Mario Giro a, quant à lui, été impliqué dans le dossier ivoirien lors de la guerre des chefs, le siège régional de la Communauté se trouvant à Abidjan et le pays comptant plus de mille membres. Il était fier de ce que Sant’Egidio ne soit pas partie de la Côte d’Ivoire alors que la communauté française – pour laquelle il ne cachait pas son mépris – avait pris la fuite (Sant’Egiodio a été lauréate du prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix en 2001).

Dans le dossier du Darfour, il a été amené à collaborer avec Djibrill Bassolé, qui a été le médiateur officiel de l’Onu et de l’UA. Il entretenait d’ailleurs des relations fortes avec le Burkina Faso (il a notamment mis en place le programme Bravo d’enregistrement des naissances d’enfants burkinabè). Au sujet du Soudan et du dossier du Darfour, il avait qualifié d’erreur la mise en accusation du président Omar el-Béchir par le Tribunal pénal international (TPI) : « C’est dangereux, disait-il alors. Le Soudan est un grand pays qui ne doit pas être déstabilisé et el-Béchir est un homme très intelligent, qui sait faire de la politique ! La relation entre justice et paix est toujours compliquée. Il y a un équilibre à trouver. Mais quoi qu’il en soit, le problème doit être affronté sans passion ».

Trouver un équilibre entre justice et paix c’est, aussi, sans doute, la clé de la réconciliation que le Burkina Faso dit vouloir entreprendre.

Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
18 mars 2021

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