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Albinisme : « La majorité des décès d’albinos sont dus au cancer de la peau », Maïmouna Déné, présidente de l’Association des femmes albinos du Burkina

Publié le mercredi 17 mars 2021 à 22h45min

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Albinisme : « La majorité des décès d’albinos sont dus au cancer de la peau », Maïmouna Déné, présidente de l’Association des femmes albinos du Burkina

Cancer de la peau, déficience visuelle, discrimination, rejet, etc. Ce sont là quelques problèmes auxquels sont confrontées les personnes albinos. Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, le lundi 1er mars 2021, Maïmouna Déné, présidente de l’Association des femmes albinos du Burkina nous en dit plus. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Pouvez-vous nous parler de votre association ?

Maïmouna Déné : L’association des femmes albinos du Burkina a été créée en août 2008 avec pour objectif d’œuvrer au bien-être des personnes albinos en général et particulièrement de la femme albinos. Être femme dans une société comme la nôtre, ce n’est pas facile. Alors être albinos est un deuxième fardeau que porte la femme albinos.

Notre association compte environ 600 membres réparties sur toute l’étendue du territoire national. Il faut savoir qu’au Burkina, il y a certaines régions qui sont plus touchées par l’albinisme par rapport à d’autres régions. Il s’agit de la région du Centre, des Hauts-Bassins, des Cascades et du Centre-Est. Ce sont des régions où il y a beaucoup d’albinos et où ces personnes ont encore beaucoup de difficultés, surtout sur le plan sanitaire.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontées les femmes albinos au Burkina ?

Le problème des albinos commence dès le bas-âge. Au Burkina, des femmes rencontrent des difficultés parce qu’elles ont eu des enfants albinos. La maman de l’enfant est souvent marginalisée ou répudiée parce qu’elle a mis au monde un enfant albinos.

Au-delà de ça, il y a la femme albinos elle-même qui rencontre un certain nombre de difficultés sur le plan conjugal, sentimental. Pour certains, avoir une intimité avec une femme albinos procure du pouvoir, la richesse. Ces raisons font qu’il y a beaucoup qui sont prêts à l’approcher et à aller même jusqu’au mariage avec pour seul objectif de pouvoir nourrir ces préjugés qu’ils ont dans la tête. Quand après un enfant ou deux enfants, ils constatent que la richesse attendue ne vient pas, la femme albinos est simplement abandonnée avec ses enfants.

Il y aussi les difficultés en ce qui concerne la scolarisation des albinos. Beaucoup ne vont pas loin à l’école, à cause du problème de la basse vision qui n’est souvent pas connu des enseignants ou des parents, mais également parce qu’ils n’ont pas pu supporter les moqueries et les maltraitances de leurs camarades. N’étant pas allées très loin à l’école, de nombreuses femmes albinos se lancent dans l’entrepreneuriat. Malheureusement, dans notre société, beaucoup ne sont pas prêts à consommer les choses fabriquées par les personnes albinos, les femmes particulièrement. Comment ces femmes peuvent donc se prendre en charge et prendre en charge leurs enfants quand elles sont abandonnées par leurs partenaires ?

Ce sont toutes ces difficultés qui nous ont amenées à créer l’association. Nous faisons des sensibilisations auprès des responsables d’écoles et encourageons les parents à comprendre que l’albinos a un problème de vision et a besoin d’accompagnement pour réussir sa scolarité. Et pour les enfants déscolarisés, nous les formons sur le plan professionnel et sur le développement personnel et tout ce qui peut contribuer à ce que la personne albinos se sente valorisée, afin que chacun de son côté apporte sa pierre à la construction du pays.

On entend souvent parler des problèmes de santé auxquels sont confrontés les albinos. Quelles sont les maladies les plus fréquentes qui les touchent ?

Nous sommes dans un pays fortement ensoleillé, donc le déficit de mélanine fait que les personnes albinos font face à des problèmes de cancer de peau et de vision. Régulièrement on a des membres qui ont des plaies, des petits boutons et quand ce n’est pas pris en charge très tôt, ça évolue vers le cancer de peau. Beaucoup de personnes albinos qui meurent au Burkina ici, c’est dû au cancer de la peau.

Avez-vous des chiffres au niveau de votre association pour étayer l’ampleur de la situation ?

Malheureusement quand les gens nous viennent, c’est souvent à des stades très avancés. Comme je le disais tantôt, ça commence toujours par un petit bouton ou une petite plaie, où les gens par manque de moyens négligent un peu. Au moment où ils viennent à l’association, c’est à des stades très avancés. A l’heure où je parle (l’interview a eu lieu le lundi 1er mars 2021 : ndlr) nous avons six personnes à l’association qui souffrent de problème de cancer de peau à un stade assez avancé.

En ce qui concerne la prise en charge, comment se fait-elle ?

La prise en charge se fait avec beaucoup de difficultés. Une fois que le cancer s’installe, ça demande encore plus de moyens pour les soins. Dans beaucoup de cas, on n’a pas de partenaires qui nous accompagne. C’est souvent des soutiens ponctuels. Donc souvent ces personnes sont laissées à elles-mêmes et l’association aussi n’a pas assez de moyens pour les accompagner.

Quand une personne albinos atteinte de cancer fait recours à l’association, la première chose que nous lui apportons, c’est le soutien moral. Nous l’encourageons et nous l’accompagnons vers les dermatologues, les cancérologues et les ophtalmologues pour la prise en charge. Et c’est en ce moment que survient les difficultés, quand il faut faire des examens, payer des ordonnances, on ne peut que demander le soutien de bonnes volontés pour nous accompagner. Ce qui n’est pas facile.

On le voit, la prise en charge du cancer de la peau n’est pas à la portée de tous. Comment donc le prévenir chez les personnes atteintes d’albinisme ?

Pour prévenir le cancer de la peau chez les albinos, il faut des consultations régulières. Les personnes atteintes d’albinisme sont sensibles au soleil, ce qui cause souvent des tâches noires. Mais parfois, ces tâches noires peuvent cacher un début de cancer, des lésions précancéreuses comme on dit. Seules les consultations régulières peuvent permettre au spécialiste de détecter ce genre de lésions. Il faut donc que les personnes albinos consultent régulièrement le dermatologue, mais aussi l’ophtalmologue.

En plus de ça, il faut se protéger avec des chapeaux de larges rebords, des chemises manches longues, des pantalons, des verres solaires, mais également avec les crèmes solaires. Malheureusement les crèmes solaires sont en petits tubes très coûteux et qui ne sont pas accessibles à tous. Ils coûtent en moyenne 10 000 F CFA en allant et ce sont de tous petits tubes qu’on ne peut pas utiliser durant plusieurs jours. C’est pourquoi nous maximisons la sensibilisation sur la protection vestimentaire.

Au terme de notre entretien, avez-vous un appel à lancer ?

Ce que je voudrai dire, c’est que les personnes albinos, hormis le déficit de mélanine qui pose le problème de santé cutanée, de vision, ont leur quotient intellectuel intact. Ce qui veut dire qu’ils travaillent à contribuer à la construction de la nation. Pour la construction de la nation, aucune couche ne doit être laissée pour compte. Voilà pourquoi, je demande à nos autorités de se pencher sur la situation des personnes albinos qui, si elles sont accompagnées, peuvent contribuer largement, parce que ce sont des gens qui ont beaucoup à apporter à cette nation.

Nous souhaitons également que l’Etat s’implique dans la prise en charge des personnes albinos, parce que nous savons qu’au Burkina ici, il y a beaucoup qui est fait pour la santé, notamment la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. Plus de 80% des albinos qui quittent ce monde, c’est dû au cancer de la peau. Et dans beaucoup de cas, ils ne savent pas vers qui se tourner. Je demande vraiment aux autorités d’avoir un regard sur la situation des personnes albinos et surtout accompagner ceux qui ont les problèmes de cancer de peau. En ce qui concerne la population, nous devons savoir que les personnes albinos ne viennent pas d’ailleurs, il faut donc que chacun y mette du sien pour une inclusion et une intégration effective des personnes albinos.

Néanmoins quelque part, nous rendons grâce à Dieu, parce qu’au Burkina, on n’a pas ces crimes dont sont victimes les albinos dans d’autres pays. Ce dont nous sommes victimes, c’est le rejet, la stigmatisation. C’est vrai qu’il y a eu des tentatives d’enlèvement d’enfants albinos, mais on n’a pas un cas concret. Pour cela, nous rendons grâce à Dieu et on se dit que quelque part, avec la bonne volonté des uns et des autres nous pouvons mieux vivre ensemble.

Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
Lefaso.net

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