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Père Francis Balemans : “Blaise Compaoré passe...”

Publié le lundi 24 octobre 2005 à 08h51min

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Père Francis Balemans

Le Père Francis Balemans, Hollandais d’origine, a foulé la terre du Burkina depuis 1957. En un demi-siècle, il a connu toutes sortes de vicissitudes. Aujourd’hui, à 76 ans bien sonnés, le Père Balemans est beaucoup connu dans les milieux intellectuels surtout. Ceux qui compulsent la presse burkinabè le découvrent à travers une rubrique qu’il anime de façon continue.

Une page de vérité. En tout cas, l’homme d’Eglise, chaque semaine, trempe indifféremment sa plume au vitriol avec sa part d’engagement. Reçu en invité de la Rédaction des Editions Sidwaya le 10 octobre dernier, le Père Balemans n’a pas varié son discours, dans ce qu’il a comme récriminations contre ceux qui nous gouvernent. Un insatisfait ou un incompris ? Le discours qu’il tient, laisse plutôt voir un insatisfait.

Mais à 76 ans, une action des dirigeants pourra-t-elle un jour lui plaire ? Père Balemans lui-même se confesse. « Je n’en ai plus pour longtemps et je me dois de dire ce que je crois ». Et ce qu’il croit, les Burkinabè ont fini par le savoir. Serait-ce de même que pour son jugement sur la classe politique burkinabè notamment les treize candidats à la présidentielle du 13 novembre pour lesquels il affirme que « Blaise Compaoré passe quel que soit le type de vote ». Le temps nous dira si la prophétie de l’homme d’Eglise connaîtra une matérialisation. Et ce temps-là prend corps le 13 novembre prochain. Inch’Alla.

Sidwaya : (S). : Nous sommes actuellement en précampagne pour l’élection présidentielle du 13 novembre 2005 au Burkina Faso. Selon vous, treize (13) candidats pour un pays comme le nôtre, est-ce un signe de démocratie ?

Père Balemans : (P.B.) : Personnellement, je pense qu’il n’y a qu’un seul candidat et c’est Blaise Compaoré, le président sortant. Il y a beaucoup de Burkinabè qui sont intègres mais parmi ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, il n’y en a pas beaucoup. La politique est souvent faite de faux et d’usage de faux. Pour l’élection présidentielle du l3 novembre 2005, Blaise Compaoré passe, quel que soit le type de vote.

S : Est-ce qu’après le président Blaise Compaoré, c’est le déluge ?

P.B. : Non. Je suis secrétaire d’un réseau dénommé « Justice et paix des instituts religieux du Burkina Faso ». A ce poste de responsabilité, je ne savais pas qu’il y avait beaucoup d’injustices. Je me suis mis à écrire pour éclairer les gens qui ne savent pas ce qui se passe dans leur propre pays. Je suis extrêmement sensible à l’injustice. J’estime que lorsqu’on rend son voisin heureux, on est soi-même heureux, Lorsqu’on aide son fils ou sa fille, on est soi-même heureux.

S : Est-ce qu’il y a possibilité de changement au Burkina Faso ?

P.B. : Aussi longtemps que le président Blaise Compaoré dirigera ce pays, il ne faut s’attendre à un changement notable en terme de progrès. On ne peut pas le lui signifier, mais je le dis quand même. Parce qu’il ne voit pas que ça ne marche pas et c’est cela le drame.

La plupart des chefs d’Etat qui sont restés longtemps au pouvoir sont entourés de gens qui ne leur disent pas la vérité même quand le pays marche à reculons.

Sans difficulté, on ment sans en avoir honte. Moi-même je mens de temps en temps, mais si .je me rends compte que j’ai menti, .j’ai au moins honte.

Il faudrait que le président Blaise Compaoré change complètement son entourage. Il peut le faire et a le pouvoir de le faire s’il veut des gens engagés sérieusement pour le développement du Burkina.

S. : Pourquoi la Banque mondiale et le FMI parlent très bien du Burkina Faso ?

P.B : Sous la houlette des relations diplomatiques et des liens séculaires et traditionnels avec des pays du Nord ou avec des institutions, beaucoup de choses se font sur la planète sans que l’on comprenne réellement le pourquoi. Heureusement que .je suis vieux et que .je n’ai pas 30 ans à vivre. Je m’interroge : qui soutient Gbagbo ? Qui a soutenu pendant 34 ans le défunt président Eyadéma ?

On a des réseaux en Afrique, en Europe et en Amérique qui y travaillent et font circuler a certain nombre d’informations sur les questions de Droit de l’homme et autres.

S. : Y a-t-il selon vous des candidats sérieux parmi les 13 postulants à la magistrature suprême au Burkina ?

P.B. : Je pense, mais je ne sais pas lequel. En lisant les journaux, il m’a semblé que certains partis politiques de l’opposition semblaient crédibles et avaient un peu de confiance auprès de certains électeurs. Cette tendance est vite remise en cause certainement par les électeurs du fait du mauvais comportement de leurs leaders. En allant prendre de l’argent ou en soutenant en tant que chef de file de l’opposition le candidat du parti au pouvoir, .je me demande à quoi cela sert. On ne peut avoir confiance à personne. Sur le plan de la souveraineté alimentaire, je pense qu’on peut augmenter le prix du riz importé par le biais de la taxe de douane.

On peut l’augmenter de 10% ou même aller à 50% en discutant avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A 50% d’augmentation du riz importé, tout le riz produit localement serait vendu et les paysans doubleront ou tripleront d’ici à cinq (5) ans leurs productions. Et les besoins d’achat de riz à l’extérieur d’environ 100 milliards de F CFA seront comblés au plan interne du fait de la consommation de la production locale.

S. : Est-ce qu’un homme politique qui est face à des contraintes économiques, sociales et budgétaires peut tenir le même discours que vous ?

P.B. : Je constate que le nombre de pauvres a augmenté en pourcentage. Je n’ai pas besoin d’aller chercher des chiffres dans l’opposition. Je pense que le fait qu’il n’y a pas de guerre dans votre pays est la seule chose que le président Blaise Compaoré a fait de bien. Il y a aussi en passant, le sport et la culture où il a fait quelque chose.

S. : La paix n’est-elle pas la première richesse d’un pays ?

P.B. : Vous avez complètement raison. Mais demandez à quelqu’un qui cherche à manger le son pour survivre s’il préfère la paix à la nourriture ? Je le répète car je reconnais l’importance de la paix. Je reconnais également qu’on ne peut pas se développer sans paix.

S : La Banque mondiale et le FMI ont décidé de la remise de la dette des PPTE. Cela résout-il le problème du développement ?

P.B. : Je ne suis pas un spécialiste. J’ai suivi tout de même la question de la dette. A priori la remise de la dette n’est pas un mal en soi, mais la difficulté est que compte tenu du fait qu’on ne peut pas la rembourser, cela suppose qu’on ne peut pas la réinvestir. En effet, aussi longtemps qu’il y a la guerre, on ne peut pas se développer. J’ajouterais qu’aussi longtemps qu’il y a une corruption très étendue dans un pays, le développement est hypothétique.

S. : Il y a quelques semaines, le Burkina Faso connaissait des poches de disette. Aujourd’hui, on trouve sur le marché des céréales à des prix dérisoires. Quelle réflexion cela suscite en vous ?

P.B. : I1 y a au Burkina Faso, un problème de redistribution de la croissance économique. Les poches de disette ne devraient pas empêcher la majorité des Burkinabè de manger. Si des paysans n’arrivaient pas dans certaines localités à se procurer de la nourriture, c’est parce qu’ils n’avaient pas les moyens financiers suffisants pour s’en procurer.

Si les cotonculteurs sont bien payés, le revenu national augmentera facilement de 10% par an durant 5, 6 ou 7 ans. La souveraineté alimentaire est indispensable. Je pense qu’il faut protéger et consommer les productions locales et lutter vigoureusement contre la corruption.

S. : En décembre 2005, aura lieu la conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong. Dans quelle optique, des pays comme le Burkina Faso peuvent la préparer ?

P.B. : Je ne suis pas assez informé sur cette conférence ministérielle de l’OMC à Hong Kong. Mais cela risque très fort d’être une répétition de Cancun. Les riches sont forts et très forts.

S. Comment appréciez-vous les dernières décisions de l’Union africaine (UA) sur la situation en Côte d’Ivoire ?

P.B. : La situation en Côte-d’Ivoire est tellement compliquée que je ne peux pas donner un avis.

S. : Il semble que vous faites partie des Amis de Blaise Compaoré (ABC) ?

P.B. : C’est en faisant simplement une analyse de la classe politique burkinabè que je suis parvenu à la conclusion que Blaise Compaoré sortira victorieux parce qu’il est le plus fort.

S . : Qui est le père Balemans ?

P.B : Le père Balemans est un Hollandais qui s’appelle Franciscus Martinus Maria Malmos. Je suis allé au petit séminaire parce que je voulais être un missionnaire. Pourquoi, je ne sais pas. Je voulais être en Afrique. J’ai travaillé cinq (5) ans en Europe avant de venir en Afrique.

S. : L’ADRK que vous avez créée a connu des problèmes après votre départ. Quelle analyse en faites-vous ?

P.B. : L’ADRK (NDLR : Association pour le développement de la région de Kaya) était un institut de petits crédits pour les paysans. Elle a bien fonctionné il y a de cela 15 ans mais après, la corruption s’est infiltrée et vous savez le reste. En ce qui concerne la production agricole, j’ai peur que le Burkina prenne la route de l’agro-business.

L’agro-business veut dire qu’il y a quelques-uns qui sont très riches dans ce domaine et les employés deviennent comme des esclaves.

Vous savez ce qui s’est passé en Amérique du Sud. L’agro-business ne se fait pas du jour au lendemain car elle conduit à la catastrophe, les paysans seront sous-payés et à la longue, il y aura un blocage.

S. Est-ce que dans ce monde plein d’injustices, il peut y avoir un commerce équitable ?

P.B. : Je suis très content que vous posiez cette question. Mon beau-père disait , « mentez, mentez, il y a toujours quelque chose qui reste » et moi je dirais « faites bien, faites bien, il y a toujours quelque chose qui reste ».

S. : Parlez-nous de votre expérience au Projet de lutte contre la désertification au Burkina (LUCODEB) ?

P.B. : La LUCODEB a coûté pas mal d’argent. Le gouvernement collaborait et les paysans eux-mêmes étaient impliqués. Il n’y a pas mal de documents sur la lutte contre la désertification. Si dans le village, 80% des paysans mettaient en enclos leurs animaux, 10% d’entre eux ne le faisaient pas. Cela posait un problème. J’ai beaucoup travaillé avec le ministre actuel de l’Environnement et du Cadre de vie dans le cadre de ce projet et la volonté politique était manifeste.

S. : La lutte contre la corruption fait partie de vos chevaux de bataille. La situation au Burkina est-elle aussi pourrie ?

P.B. : La corruption se fait souvent de façon subtile à tel point qu’on ne peut pas bien cerner les tenants et les aboutissants. C’est cela la première difficulté. La deuxième difficulté est la peur des gens. En faisant une enquête, on s’en aperçoit. Il m’arrive de dénoncer des formes de corruption auprès d’autorités compétentes.

S. : Croyez-vous en la sorcellerie ?

P.B. : Je ne dis jamais que la sorcellerie n’existe pas. Je pense qu’il y a des choses qui sont innées et qu’on ne peut pas expliquer. J’ai interrogé des mangeuses d’âmes et je connais une qui a affirmé avoir tué son mari. Qu’est-ce que vous voulez que je dise ? Il y a des choses dans la vie auxquelles les Européens sont moins sensibles que les Africains. J’ai commencé à lutter pour les mangeuses d’âmes, il y a à peu près 17 ans. Lutter pour le bien-être de la personne humaine a toujours été mon principe de vie sur terre.

S. : Les femmes ne sont-elles pas plus victimes de la sorcellerie que les hommes ?

P.B. : Les populations souffrent. J’ai travaillé avec des femmes de Téma-Bokin, et parmi elles, il y avait des femmes qui ont passé 10 ans sans avoir vu un membre de leur famille ou de leur village. Ce sont des femmes qui souffrent. Souvent, on accuse des vieilles femmes de sorcières parce qu’elles ne dorment qu’avec de petits enfants. Mais, c’est méchant de penser d’une telle manière. La souffrance que vivent ces femmes m’a révolté. C’est cela la vraie première révolte de mon cœur.

S. : Voulez-vous insinuer que vous êtes partisan de la théologie de la libération ?

P.B. : Je pense par exemple que, lorsque vous accusez une personne d’avoir tué votre fils, vous devez porter plainte devant les juridictions compétentes lorsque vous estimez que cette personne est une mangeuse d’ames. Si cela se révèle être exact, je pense que le coupable sera puni. Seulement, il est difficile de prouver qu’un tel est mangeur d’âmes et qu’un autre ne l’est pas. Et le fait qu’il est difficile de prouver cela, je dis que la sorcellerie, je n’y crois pas.

Pour moi, et exceptionnellement, je vous le dis aujourd’hui, la sorcellerie n’existe pas. Il y a beaucoup de mystères dans la vie et nous devons faire beaucoup attention. Je peux citer l’exemple de la télépathie dont tout le monde a l’expérience. Certains hommes sont dotés de pouvoirs qui leur permettent de faire certaines choses sans pouvoir les expliquer. J’ai un frère qui peut, en puisant l’eau, déterminer la profondeur du puits.

Un autre a la capacité de connaître le débit. Mais si tu leur demandes d’expliquer la manière par laquelle ils y sont parvenus, ils te répondent qu’ils ne peuvent pas l’expliquer. De ce fait, ce n’est pas la peine de te fatiguer à protester que cela n’existe pas, il est mieux de dire que tu n’y crois pas.

S. Cinquante ans de vie religieuse, cela use les convictions ou les renforce-elles ?

P.B. : Mes convictions ont été renforcées parce que je suis heureux. Or, si vous avez l’amour dans votre cœur, la paix dans votre famille et votre cœur, l’espérance et la confiance en l’avenir, même si vous n’avez pas de voiture, vous serez heureux. Selon ma religion, Dieu est amour. Là où il y a l’amour, il y a Dieu. Et, le nœud de mon travail pastoral, c’est l’amour.

Ainsi, je ne demande pas avant de travailler avec quelqu’un s’il est musulman, chrétien, protestant. Je ne demande pas non plus s’il a été marié deux ou trois fois, cela ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si vous êtes heureux, si vous êtes en paix et si vous avez la paix du cœur, en famille, comme au travail.

Je ne sais pas comment celui qui tue ou qui est injuste peut être en paix. Etre en paix dans la vérité est le plus important pour moi. Ce n’est ni l’argent ni la nourriture qui font la paix du cœur. J’ai vu des personnes dans la souffrance atroce, auprès de qui, d’autres venaient prendre des conseils. C’est pourquoi mon travail pastoral est le plus important parce que je suis heureux. J’ai toujours eu un lien pastoral avec tous mes amis.

S. : Mais mon Père, est-ce que le pauvre peut avoir la paix intérieure ?

P.B. : Cette question est un peu difficile à répondre parce que je ne suis pas pauvre. Mais, je vous réponds : « Oui ! ». Le pauvre peut avoir la paix intérieure. J’en ai vu des cas. Il y avait une vieille femme qui n’était pas baptisée. Je l’ai préparée au baptême à son domicile parce qu’elle ne pouvait pas marcher.

Le catéchiste était chargé de lui enseigner la catéchèse. Et le jour de son baptême, j’ai apporté la communion. Après avoir communié, elle m’a dit : « Mon Père, c’est bien, c’est bon, à présent je peux mourir en paix ! ». Cette vieille était sale. Ces ongles étaient longs et noircis par la saleté. Elle puait. Mais elle était en paix malgré sa pauvreté.

D’autre part, avez-vous lu les livres sur les camps de concentration de la Shoah ? Dans ces camps, il y avait des victimes qui ont supporté cela avec admiration.

S. : N’est-ce pas par reniement ou par détachement ? Cela n’a rien à voir avec la paix ?

P.B. : Non ! Ne pensez pas ainsi. Nous pouvons être dans les mêmes conditions de souffrance sans pour autant avoir les mêmes sentiments. La paix dont je parle est un don intérieur, différente de notre paix entre individus ou entre nations. N’oubliez pas que chaque être humain est une exception choisi depuis des siècles. Il y a des mystères de la vie qui ne peuvent être expliqués mais simplement vécus. En tant qu’individu, vous n’êtes rien parmi les 6 milliards d’individus qui peuplent le monde. Comparativement, chaque étoile est plus grande que le monde, alors qu’est-ce qu’un individu ? Je ne m’exprime pas sur le sujet de la foi. Mais lorsqu’on pense aux mystères de la vie, on ne peut pas s’étonner devant la complexité du monde.

S. : Les chrétiens viennent-ils se confesser à vous au regard de votre caractère puisque vous semblez ne pas avoir votre langue dans la poche ?

P.B. : J’ai une chose, c’est que lorsque je vis avec de nouveaux confrères, je le fais savoir dès les premiers instants que je les embête plus qu’ils ne m’embêtent. Je suis plus difficile à supporter par les autres que les autres pour moi parce que je dis crûment les choses. Parfois, de façon très dure, même lorsque j’essaie de me retenir.

S. : Avec votre franc-parler, êtes-vous en harmonie avec vos supérieurs, en particulier et l’Eglise catholique, en général ?

P.B. : Mes supérieurs m’ont dit que si c’était un autre missionnaire qui était à ma place, il serait longtemps parti du pays. Mais, ils se sont habitués à mes méthodes et je crois qu’ils perçoivent le bien-fondé de ce que je dis, ainsi que de mes orientations. Aussi, il y a des choses que je peux dire alors que l’autre ne peut pas le dire. Et je pense que cela est dû à mon travail de pasteur. Les gens me font confiance parce que je ne cherche pas d’argent, ni d’honneur. Alors que ce que je dis, a encore plus de poids que celui qui s’en sert pour gagner sa vie ou qui veut devenir président de la République.

S. : Avec vos prises de position, pensez-vous que l’Eglise est en phase avec le monde ?

P.B. : Cette question est un peu délicate dans la mesure où je n’aime pas parler de religion, qu’elle soit musulmane, chrétienne etc. Mais puisque vous insistez selon moi et selon ce que je connais, l’Eglise est toujours en retard. Son évolution viendra mais pour l’instant, elle est toujours en retard. Le système de l’Eglise actuelle est comparable à la dictature. Mais cela va changer.

Les questions liées à l’ordination des femmes trouveront des solutions. Je ne dirais pas que l’Eglise deviendra une démocratie, non ! Mais on peut être chef tout en tenant compte des autres. Dans la chefferie mossi, je pense que le chef ne peut pas faire n’importe quoi.

S. : En parlant des femmes prêtres, n’avez-vous pas dévié la parole de Dieu ? De qui les femmes tiendront-elles leur mission puisque le Christ a investi des hommes ?

P.B. : Qu’entendez-vous par Parole de Dieu ? Le Christ n’avait-il pas comme compagnons uniquement que des Juifs ? Mais aujourd’hui, que tu sois noir, blanc ou jaune, tu ne deviens pas chrétien ?

Je pense que nos arguments ne sont pas solides. A un certain moment, Saint Paul a dit que les femmes ne devaient pas entrer dans l’Eglise, la tête découverte mais aujourd’hui, est-ce le cas ?

Ce sont des cas que vous classez dans des cas de circonstances historiques.

En revanche, lorsque vous scrutez le monde, vous vous apercevez que les femmes évoluent partout.

Il y a des Eglises chrétiennes qui ont déjà des femmes évêques. Cela viendra dans l’Eglise catholique après mon temps. Malheureusement, cela est dommage pour moi.

S : Par rapport à votre investissement dans le social, peut-on vous assimiler à Don Elber Camara, l’évêque brésilien ?

P.B. : Non !

Moi je suis trop petit, Camara est un grand homme. Je partage à peu près sa doctrine. Je me situe par rapport à lui comme un soldat de deuxième classe.

S. : D’une manière générale, que pensez-vous de l’Eglise burkinabè ?

P.B. : Elle est pareille aux autres. L’Eglise burkinabè est en retard. Mais, les Africains ont davantage le sens de la tradition. Cela veut dire aussi qu’ils sont encore plus réticents. Et cela a l’avantage d’être plus sûr.

En général, avoir le sens de la tradition n’est pas mauvais en soi. Mais prenez l’exemple des OGM, peut-on affirmer qu’ils sont bons ou mauvais ?

Il est difficile de répondre à cela parce qu’actuellement, il existe des médicaments qui soignent des malades qui sont fabriqués à base d’OGM. Dans ce cas, on ne peut dire qu’ils sont mauvais.

S. : A vous entendre, vous auriez fait un bon opposant qu’un prêtre. L’on dit de vous que vous êtes sankariste.

P.B. : J’ai un faible pour Sankara. Au Burkina Faso, le seul moment où j’ai vu que le pays a fait un bond en avant (je n’affirme pas que tout ce que Sankara a fait est bien), c’est sous Thomas Sankara.

Les gens se sont mis au travail. Ils ont construit des écoles, des hôpitaux, des routes. Cela n’a pas été fait de façon volontaire mais même quand il s’agit de faire travailler votre fils souvent, il faut le secouer un peu.

S. Pensez-vous que l’Eglise burkinabè est suffisamment impliquée dans les questions sociales ?

P.B. : Il y a quelques années, je pensais qu’elle n’en faisait pas assez. Mais actuellement, cela s’améliore. Par exemple, la dernière lettre que les évêques ont écrite pour les élections était très bien. Il ont donné l’essentiel.

S. : Au Rwanda, l’Eglise a été mêlée au génocide.

P.B. : Le cas rwandais est un peu compliqué. Les Pères Blancs ont été fortement accusés dans ce pays. Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? Les Pères Blancs sont arrivés au Rwanda et selon notre méthode missionnaire, ils sont allés chez les puissants.

Puisque lorsque tu veux aller dans un village et que tu n’es pas d’accord avec le chef, tu n’iras pas dans ce village. Donc, il fallait passer par le chef, donc travailler avec lui. Alors, les Pères Blancs ont procédé ainsi, aussi bien avec les Tutsis qu’avec les Hutus. Seulement, après quelques années, ils se sont rendu compte que les Tutsis abusaient humainement, injustement des Hutus. En retour, les Pères Blancs ont commencé à conscientiser les Hutus. Et cette conscientisation est allée un peu loin.

S. : En définitive, l’Eglise est mêlée à plusieurs génocides. Comment expliquez-vous cela ?

P.B. : En réponse, je vous demanderai comment est-ce que vous expliquez le fait que des millions d’Africains ont été tués par les Blancs durant la traite négrière ? C’est le désir du plus fort de dominer le faible. L’Eglise est donc aux côtés du plus faible afin de contrer les plus forts en vue d’équilibrer les choses.

S. : Le Pape Benoît XVIe a succédé au Pape Jean-Paul II. Mais à écouter ses propos, on constate qu’il est plus conservateur que son prédécesseur ?

P.B. : Le conservatisme du Pape Jean-Paul II était influencé et guidé par Benoît XVI. Benoît XVI était la tête pensante et il était pire.

Un de mes cousins me disait que le Pape Jean XXIII a ouvert la fenêtre et le vent a tout pris.

Dans l’Eglise, il y a des chrétiens conservateurs qui sont très bons, d’autres sont très bons et ouverts et d’autres encore sont très bons et modernes.

S. De ce fait, qu’attendre de l’Europe en termes d’affermissement de la foi ?

P.B. : La foi en Europe est pire. Je suis d’une famille qui a à peu près 4 personnes engagées dans l’Eglise. J’ai deux frères prêtres et une sœur (mère de mariée, deux enfants) qui a fait des études de théologie et la diaconesse. L’un de mes frères m’a dit un jour : « Vous parlez tous les jours de religion mais qu’est-ce que Dieu a à foutre dans le monde ? On n’a pas besoin de Dieu ». Or, nous sommes de la même famille.

S. Mais mon Père, serez-vous prêt si vous aviez 18 ans à vous réengager dans le sacerdoce ?

P.B. : J’ai vécu une fois. J’étais heureux. J’ai fait des bêtises mais pas beaucoup. Cependant, je ne veux pas recommencer, c’est trop dangereux. C’est mon point de vue.

S. : Donc vous n’encouragez pas les jeunes à s’engager dans le sacerdoce ?

P.B. : Ah Non ! Je n’ai pas dit cela ! J’ai dit moi parce que la question me concernait en propre. J’ai un respect pour tous les jeunes et les enfants parce qu’ils ne savent pas dans quel monde ils sont nés. L’argent a toujours existé mais aujourd’hui, il est devenu inconcevable de ne pas avoir d’argent.

S. : Y a-t-il déjà eu des papes noirs ?

P.B. : Cherchez un bon, il sera pape. Je pense qu’il y a eu un pape éthiopien dans le temps. J’ai la photo de tous les papes mais je n’y ai pas fait attention.

S. : De nombreux Pères Blancs sont rentrés en Europe à la fin de leur mission. Pourquoi avez-vous choisi de rester au Burkina Faso bien que vous ne soyez pas de nationalité burkinabè ?

P.B. : Je n’ai pas encore terminé mon œuvre. J’ai diminué mon travail sinon, il n’est pas encore fini. Il est vrai que chacun a un chez soi mais pour moi, c’est très simple, je suis heureux ici. Je suis connu ici et j’ai au moins 30 à 40 bons amis. Si je retourne en Hollande, on me mettra au 4e étage d’un immeuble. Mais si je dois partir parce que ça ne marche pas au Burkina, je rejoindrais mon pays. Autrement, je reste. Je suis content d’être ici.

S. : Aviez-vous, au départ, choisi ce pays ou vous a-t-il été imposé ?

P.B. : Je l’ai à peu près choisi comme on me l’a à peu près imposé. L’on m’avait demandé où est-ce que je voulais aller. J’ai répondu que je voulais aller en Afrique occidentale. Donc cela pouvait être au Ghana, au Mali, en Côte d’Ivoire etc. Je suis tombé au Burkina Faso. Et comme deuxième chance, je suis tombé sur des Mossis. Un très grand territoire avec une seule langue. Alors, je suis tombé sur une seule langue que j’ai pu employer toute ma vie. Résultat ? J’ai un faible pour le mossi. Le nom mossi qu’on m’a donné est Balima. Lorsque j’arrive chez quelqu’un et qu’on me dit de me présenter afin qu’après la venue de mon hôte, il puisse me reconnaître, je dis Balemans. Mais puisque ce nom est difficile à prononcer, les Mossis l’ont réduit à Balima et cela me plaît beaucoup.

S. : Avec toutes les activités que vous menez, avez-vous le temps de vous reposer ?

P.B. : Je suis en train de diminuer mes activités. J’ai 76 ans et je sens que ces dernières années, je suis allé un peu trop loin. Pendant mes loisirs, je lis un peu afin de ne pas être désinformé. Ensuite, je suis, concernant mes activités, dans le réseau Justice et paix. J’accompagne une quinzaine de personnes infectées par le VIH. Je m’occupe à Ouagadougou de l’installation, de la reconstruction de la vie des vieilles personnes. J’ai aussi une petite paroisse qui n’est pas encore reconnue officiellement.

S. : Quels sont vos rapports avec le maire Simon Compaoré ?

P.B. : On s’entend bien mais à distance. Il était très enthousiaste la première fois que je suis venu le voir.

Par la suite, voyant que je lui demandais un peu trop, cela l’embêtait. Je venais réclamer des mesures pour rendre fiable et crédible la police des feux rouges. J’ai beaucoup insisté. C’est formidable. Je suis allé chez lui à 5 reprises puis après, j’ai été reçu par le 1er adjoint au maire, ensuite, le 2e adjoint et enfin, c’était par l’inspecteur de police.

Chez l’inspecteur, celui-ci me fait comprendre que je ne comprends pas bien les choses : « Mon Père, vous ne comprenez pas bien les choses. Les policiers municipaux sont des gens qui ont un niveau intellectuel un peu bas. Il suffit d’un rien pour qu’ils pensent qu’ils sont plus intelligents que les autres ».

Je lui ai répondu que cela n’était pas une raison pour qu’ils se laissent corrompre au bord des routes. Il m’a dit : « Voyez-vous, ils ont une famille, des enfants à nourrir avec des salaires de misère ». Je me suis levé et j’ai dit : « au revoir monsieur ! ». Que voulez-vous ? Le chef défend le détournement, la corruption de son propre sujet qu’il est chargé d’inspecter. Il le défend mais c’est terrible cet acte. C’est pourquoi, je ne suis plus reparti chez lui parce que ce n’est pas la peine.

S. : Partout au monde, existe la corruption de la police.

P.B. : Je suis Européen mais ce sont les Européens qui ont appris aux Burkinabè comment tromper les hommes. Mais il y a deux choses différentes dans les deux cas. Il y a le luxe que l’on peut se permettre et deuxièmement, les jugements ne sont pas les mêmes.

Chez moi en Europe, il y a moins de gens qui ont peur. Mais ici, ce n’est pas le cas. Et cela va changer aussi.

S. : Que pensez-vous du limogeage du maire de Koudougou ?

P.B. : C’est un limogeage politique. Je ne dis pas qu’il n’a pas fait de petites fautes, mais qui ne fait pas de petites fautes. Je ne peux pas prouver s’il a détourné des parcelles ou pas, mais je sais qu’il y a des maires qui ont fait plus qu’il n’en a fait. C’est pourquoi, je dis que son limogeage est politique. Cela n’est pas une excuse car c’est comme quelqu’un qui tue un homme et dit à l’autre de ne pas se plaindre parce qu’il a tué cinq hommes.

S. : Quels sont les plats du plateau central que vous préférez ?

P.B. : J’aime le benga accompagné d’huile, de piment et de sel. J’aime aussi les beignets de feuille qu’on appelle « gnôh », les petits beignets appelés « samsa »

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 15 janvier 2006 à 18:20 En réponse à : > Père Francis Balemans : “Blaise Compaoré passe...”

    Mon père, vous êtes atypique et il est difficile de vous cerner en dépit de l’honneur et du respect dus à votre sacerdoce.
    Que Dieu vous guide dans tout car lui seul a la vérité et la vie éternelle. Amen. M. KERE, Nancy

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