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Burkina Faso : les fondements politiques de la IVè République

Publié le lundi 17 octobre 2005 à 06h40min

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Burkina Faso : les fondements politiques de la IVè République

Par Arsène Bongnessan Yé

Presses Universitaires de Ouagadougou, 1995

Introduction

Novembre 1989. Cela fait déjà deux ans que le Front populaire dirige le Burkina Faso. Dans le véhicule qui nous emmène, à travers le pays, dans un chef-lieu de province, je suis en compagnie du président du Front populaire, chef de l’État, chef du gouvernement, Blaise COMPAORÉ.

Avec le chef de l’État je discute de beaucoup de choses (perspectives de développement du pays, récent coup d’État manqué au Burkina Faso en septembre 1989, forces politiques en présence dans le pays...). Puis, c’est le silence dans le véhicule. Un silence profond.

Quand le président du Front populaire sort de ses méditations, c’est pour parler de la nécessité qu’il y a pour notre pays d’avoir une constitution qui prenne en compte les réalités de notre pays. Ce n’est pas la première fois que nous abordons le sujet : au cours de l’année 1988, de nombreuses occasions nous avaient été données d’effleurer la question avec d’autres camarades mais sans jamais aller en profondeur.

Cette fois, c’est plus sérieux. Le président insiste : il nous faut une constitution. Une constitution qui règle les mécanismes d’accession au pouvoir et d’exercice du pouvoir... Visiblement, le chef de l’État est passionné du sujet qu’il aborde. Je l’écoute attentivement.

À la fin, il me dit : « Il nous faut approfondir la réflexion sur la question au sein des organes et instances du Front populaire. » Le président avait raison, car il était temps qu’après toutes les péripéties de l’histoire de notre pays, nous cherchions les voies et moyens pour apaiser nos angoisses et nos émotions collectives, pour baliser la longue route de l’histoire tumultueuse du Burkina Faso.
En effet, le Burkina Faso a eu sa Première République de 1960 à 1965 avec le président Maurice YAMÉOGO ; celle-ci a pris fin le 3 janvier 1966 à la suite d’un soulèvement populaire. Puis le lieutenant-colonel Sangoulé LAMIZANA est venu avec son « gouvernement militaire provisoire » (1966-1970).

De 1970 à 1974, c’est la Deuxième République qui a cette particularité qu’il n’y a pas d’élection présidentielle puisque d’après la constitution, le chef de l’État est (pendant une période transitoire de quatre ans) « le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé ». Le chef de l’État est donc Sangoulé Lamizana, devenu entre-temps général et le seul à cette époque.

Mais avec cette Deuxième République, le Premier ministre, chef du gouvernement, est en même temps président du Conseil des ministres, ce qui atténue les pouvoirs du chef de l’État.

De février 1974 jusqu’en fin 1977, c’est la période dite du « Renouveau national », avec toujours le général Sangoulé Lamizana. La Troisième République, qui naît en 1978 et qui est dirigée cette fois par un président élu, Sangoulé LAMIZANA, ne vivra que jusqu’au 25 novembre 1980, date de l’avènement du colonel Saye ZERBO et de son Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN).

En novembre 1982, c’est l’avènement du Conseil de salut du peuple (CSP) avec le médecin-commandant Jean-Baptiste OUÉDRAOGO, suivi, en août 1983, par l’avènement du Conseil national de la révolution (CNR) avec le capitaine Thomas SANKARA. Le 15 octobre 1987, c’est l’avènement du Front populaire avec le capitaine Blaise COMPAORÉ.

Certes, dès l’avènement du Front populaire et l’instauration du mouvement de Rectification, les nouveaux dirigeants du Burkina Faso avaient pris en compte les nombreuses critiques faites au processus révolutionnaire. Conscients des dangers qui risquaient d’hypothéquer à terme l’avenir de ce processus, ils étaient convaincus de la nécessité d’opérer de grandes réformes.

Dès le 19 octobre 1987, dans son premier message à la nation, le chef de l’État exprime clairement sa volonté de ramener le Burkina Faso sur la voie démocratique. Cette volonté de démocratisation est réaffirmée dans un message à la nation le 31 décembre 1987.

Mais Blaise COMPAORÉ doit définir une stratégie d’approche, car il a en face de lui deux groupes aux intérêts opposés :
- d’un côté, les révolutionnaires organisés dans les Comités de défense de la révolution et qui attendent de Blaise COMPAORÉ la rectification des déviations révolutionnaires, donc l’approfondissement de la révolution ;
- de l’autre, les victimes et les exclus de la période du Conseil national de la révolution qui voient en Blaise COMPAORÉ le sauveur qui mettra fin aux exactions de cette période. Ils attendent leur réhabilitation et des signes palpables de l’ouverture démocratique qui leur permettront de participer activement à la vie politique nationale. .
Il fallait aller de l’avant, mais de façon très prudente. Le couronnement de cette démarche fut l’initiative d’élaborer un avant-projet de constitution.

Au moment de l’élaboration de cet avant-projet, le Burkina Faso était dirigé par le Front populaire, regroupement d’organisations politiques autonomes mais unies par une plate-forme politique commune : l’anti-impérialisme.

L’ODP/MT, principale organisation qui anime le Front populaire, est le résultat d’une fusion d’organisations marxistes-léninistes dont la plus importante est l’Union des communistes burkinabè (UCB). D’autres organisations politiques participent également au Front populaire : le Groupe communiste burkinabè (GCB), le Groupe des démocrates et patriotes (GDP), le Groupe des démocrates révolutionnaires (GDR), le Mouvement des démocrates progressistes (MDP).

Deux autres organisations politiques, qui ne sont en réalité que des résurgences de partis politiques antérieurs dissous, adhéreront plus tard au Front populaire : la Convention nationale des patriotes progressistes/Parti social-démocrate (CNPP/PSD) et l’Union des démocrates et patriotes du Burkina (UDPB).

Les grands axes de réflexion du comité exécutif du Front populaire sur l’élaboration du projet de constitution du Burkina Faso

Au cours d’une réunion consacrée essentiellement à la rédaction de l’avant-projet de constitution, le comité exécutif du Front populaire, en sa séance du 24 avril 1990, avait dégagé les grands axes de réflexion suivants :

1 ° Le maintien des organes d’orientation et de direction de la révolution. C’est clair, il ne s’agit pas, à travers la constitution, de saboter le processus révolutionnaire.

2° Un système partisan consacrant le Front populaire, ses organes et ses instances comme cadre d’action politique des forces dirigeantes de la révolution

3° La possibilité d’existence d’autres formations politiques en dehors du Front populaire
Il faut comprendre par là que le Front populaire, tout en reconnaissant la possibilité d’existence d’autres partis politiques, exige que la constitution le consacre comme structure dirigeante de l’État.

4° La prééminence du chef de l’État sur l’Assemblée. Il s’agit de mettre en place un régime de type présidentiel.

D’autres questions importantes avaient été évoquées au cours de cette réunion :

1 ° La nature de l’État et le type de souveraineté

2° La durée du mandat et le mode de désignation du chef de l’État

3° La dénomination de l’Assemblée qui sera mise en place
Au terme classique, Assemblée nationale sera préférée à l’appellation Assemblée des députés du peuple : selon le courant dominant au sein du Front populaire, il existe un peuple burkinabè mais pas encore une nation burkinabè. Certains des membres du comité exécutif du Front populaire avaient proposé qu’il n’y ait qu’une chambre unique au niveau du Parlement tandis que d’autres penchaient pour une deuxième chambre.

4° Le mode de désignation des députés
Tandis que certains soutenaient obstinément que tous les députés devraient être élus au suffrage universel, d’autres proposaient qu’il y ait des députés désignés.

5° Le mode de scrutin
C’est le scrutin majoritaire de liste (sans autre précision) qui a été retenu.

6° Le gouvernement
Il sera conduit par un Premier ministre, chef du gouvernement, responsable devant le chef de l’État et devant l’Assemblée des députés du peuple.
7° Les libertés individuelles et collectives
Elles seront codifiées mais dans le cadre social de la Révolution démocratique et populaire (RDP).
Il convient de souligner tout de suite que ces axes de réflexion du comité exécutif du Front populaire viennent en application de certaines directives issues du premier congrès du Front populaire tenu à Ouagadougou du 1er au 4 mars 1990.

Dans son allocution d’ouverture de ce congrès, le chef de État attire l’attention des congressistes sur les dangers qui peuvent miner le processus révolutionnaire. Tirant les leçons de l’échec de certains processus révolutionnaires en Afrique (Bénin, Congo, Ethiopie...) et dans le monde, il prévient : « Une révolution qui ne parvient pas à satisfaire les besoins fondamentaux des masses, qui étouffe les libertés démocratiques, qui entretient la déliquescence morale et organise l’opulence des dirigeants et la pauvreté des populations, ne peut que se fasciser, se scléroser et se condamner à la faillite certaine. »

Plus loin, il ajoute : « L’approfondissement de la démocratie requiert l’élaboration et l’adoption d’une constitution, loi fondamentale du pays, qui devra consacrer les bases du régime social présent et réaffirmer notre projet de société à la suite du programme d’action du Front populaire (...), définir les principes d’organisation du pouvoir de l’État, ses organes et ses rapports avec les autres structures nationales (...). [Cette constitution] organisera la hiérarchie des pouvoirs, la répartition des compétences, l’exercice des droits et devoirs des militants et celui des libertés individuelles et collectives dans le cadre du régime social de la Révolution démocratique et populaire (RDP). [Elle codifiera] au Burkina Faso un État de droit révolutionnaire et démocratique dont des bases existent depuis le déclenchement de la révolution.

Mais cet État de droit tranchera d’avec l’hypocrisie de la démocratie bourgeoise dont toutes les tentatives de reproduction au Burkina comme partout ailleurs en Afrique ont fait la preuve de leur faillite.
Notre État de droit démocratique et révolutionnaire ne saurait être non plus la résultante de dogmes et de théories figés et anachroniques dont les conséquences inévitables sont la bureaucratie et l’éloignement des masses des centres de décision... »

Ces quelques passages du message du chef de l’État peuvent se résumer comme suit :

- Il faut maintenir le processus révolutionnaire, mais en le débarrassant de certaines tares qui, ailleurs, ont conduit à la mort des révolutions ;
- Il faut démocratiser davantage le système, mais il ne s’agit pas de démocratie bourgeoise avec la théorie de la séparation des pouvoirs. Il ne s’agit pas non plus de mimer des exemples figés de démocratie révolutionnaire vécue ailleurs dans le monde.
Alors, que faire ? Nous le verrons plus loin.

Arsène Bongnessan Yé


Arsène Bongnessan Yé

L’auteur

Né le 10 octobre 1957 à Bagassi (province du Mouhoun),Bongnessan Arsène YE fait ses études primaires à Bagassi de 1963 à 1969 et secondaires à Ouagadougou au prytanée militaire du Kadiogo (PMK) de 1969 à 1976.

Muni du baccalauréat série D en juin 1976, il entre à l’école militaire de santé de Dakar (Faculté mixte de
médecine et de pharmacie) en septembre 1976 d’où il sort docteur en médecine le 30 janvier 1984.

Il occupe de hautes fonctions tant sur le plan professionnel que politique (fonctions de rang ministériel) et est président de la Commission constitutionnelle de mai à octobre 1990.

Élu député de la province du Mouhoun le 24 mai 1992 et président de l’Assemblée des députés du peuple le 17 juin 1992, il occupe plusieurs fonctions au sein des organisations interparlementaires :
- Vice-président de l’Assemblée paritaire ACP/UE de septembre 1993 à septembre 1995 ;
- Président de l’Union des parlements africains (UPA) depuis juillet 1995 ;
- Membre du bureau de l’Assemblée internationale des parlementaires de langue
française (AIPLF) depuis juillet 1995 ;
- Membre du comité exécutif de l’Union interparlementaire depuis octobre 1995 ;

Au plan national, il est également président de l’ODP/MT (parti majoritaire à l’ADP) depuis avril 1993.

Il est titulaire de plusieurs distinctions honorifiques :
- Grand officier de l’Ordre national du Burkina Faso (août 1988)
- Grand officier de l’Ordre national du Niger (août 1994)
- Grand officier de l’Ordre de la Pléiade (francophonie et dialogue des cultures - juillet 1995)

Il est marié et père de 3 enfants.

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