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Thomas Sanon, metteur en scène de la rupture économique de 1990 au Burkina Faso

Publié le mardi 19 janvier 2021 à 19h38min

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Thomas Sanon, metteur en scène de la rupture économique de 1990 au Burkina Faso

Thomas Sanon est décédé le 4 décembre 2020. Il venait d’avoir 73 ans. On a retenu de lui, surtout, sa dernière fonction officielle : président du Conseil économique et social (CES). C’est oublier que, ministre de la Promotion économique de septembre 1989 à juin 1991, il a été le premier metteur en scène de la rupture économique opérée par le Burkina Faso ouvrant ainsi la route à Roch-Marc-Christian Kaboré, aujourd’hui président du Faso après avoir été son économiste en chef.

Le 18 septembre 1989, le capitaine Blaise Compaoré, président du Front populaire, chef de l’Etat, chef du gouvernement, débarquait à Ouagadougou. Il avait été absent du pays pendant deux semaines. Raison : visite officielle en Asie, notamment à Pékin et Tokyo. A sa descente d’avion, il était confronté à la mise au jour d’un complot politico-militaire. Deux personnalités politiques historiques, qui avec Thomas Sankara et Compaoré avaient permis la réussite de la révolution du 4 août 1983, étaient mises en cause. Il s’agissait du commandant Boukari Jean- Baptiste Lingani, ministre de la Défense populaire et de la Sécurité, et du capitaine Henri Zongo, ministre de la Promotion économique.

Après que Gilbert Diendéré, patron des commandos de Pô, ait fait capoter le coup de force, Lingani et Zongo seront condamnés à mort par un tribunal militaire et fusillés dans la nuit du 18 au 19 septembre 1989 (avec le capitaine Sabyamba Koundaba et l’adjudant Anis Gningnin). Ils seront dénoncés comme des « militaro- fascistes », des « ambitieux », des « réactionnaires anti-démocratiques, antipopulaires » voulant « restaurer un pouvoir fasciste ».

Au lendemain de ces assassinats, le 21 septembre 1989, un Kiti de l’an VII – comme on disait alors au Burkina Faso – portait « remaniement du gouvernement révolutionnaire ». Compaoré était en charge, en plus de ses fonctions initiales, du ministère de la Défense populaire et de la Sécurité, tandis que le ministère de la Promotion économique était confié à Thomas Sanon. Lingani et Zongo avaient été les numéros 1 et 2 du gouvernement ; la Promotion économique confiée à Sanon sera reléguée au douzième rang dans la hiérarchie gouvernementale.

Thomas Sanon n’était pas un nouveau venu ; il avait été ministre des Transports et des Communications dans le précédent gouvernement (formé le 25 avril 1989). Il connaissait, me disait-il, Blaise Compaoré depuis « bien avant la révolution ».
Notre premier entretien s’est déroulé en mars 1990. J’avais été reçu, quelques mois auparavant, dans le même bureau occupé alors par Henri Zongo. Rien n’avait changé si ce n’est que les volets étaient ouverts alors qu’auparavant la pièce baignait souvent dans la pénombre.

Avec Sanon, nous avons discuté des options économiques du Front populaire, désormais instance dirigeante du pays et dont le premier congrès s’était tenu du 1er au 4 mars 1990. Le Burkina Faso avait débuté des entretiens avec les institutions de Bretton Woods dans la perspective de la mise en place d’un Programme d’ajustement structurel (Pas). Pas très révolutionnaire. Mais cohérent avec le choix affirmé d’un « capitalisme d’Etat » au sein duquel un « rôle important » était reconnu au secteur privé. La révolution en la matière, c’était l’affirmation de la
souveraineté du Burkina Faso. « Nous menons notre propre politique avec nos propres moyens sans nous déterminer par rapport aux autres expériences, m’affirmait alors Sanon. Nos discussions portent bien sûr sur nos orientations économiques. Mais nous partons systématiquement de ce qui fait la réalité de notre économie. Ce que nous mettons sur la table des négociations, ce sont nos réalités, nos réalisations, nos perspectives, et nous demandons aux experts [des institutions de Bretton Woods] qu’ils cherchent à comprendre quelles sont nos réalités et qu’on en tienne compte dans la définition des objectifs qui nous sont assignés. S’il y a bonne volonté, nous arriverons à nous faire comprendre ».

Les réalités du Burkina Faso étaient évidentes. « Notre premier handicap, me disait Sanon, est que nous sommes un pays enclavé. Ensuite, nous sommes un pays dont l’activité économique est dominée par le secteur informel. C’est un secteur inorganisé, inopérant, incapable de permettre le développement d’une structure économique moderne. Dès lors, le rôle de l’Etat devient primordial ». Ce rôle était d’être « un partenaire privilégié » se « substituant dans un premier temps à l’initiative privée ».

Sanon mettait le doigt sur la nécessaire rupture avec le système précédent : « Il ne faut donc pas confondre notre option de capitalisme d’Etat avec une politique de collectivisation à outrance ; encore moins avec un appareil d’Etat tentaculaire qui régirait toute l’activité économique de production et de distribution ». Sanon voulait, en matière économique, un Etat qui soit bien plus un « animateur » qu’un
« opérateur ». Il ajoutait : « Si, à un moment donné, nous avons privilégié le rôle de l’Etat comme partenaire majoritaire au sein du capital des entreprises, cela n’a plus cours. Nous nous engageons effectivement vers de nouvelles options ».

Cependant, il n’entendait pas, en 1990, remettre en question « l’orientation révolutionnaire » du Burkina Faso (les PAS avaient alors mauvaise presse dans ce que l’on appelait encore le tiers-monde). « La notion de Front populaire présente une réelle originalité puisée dans nos réalités » me disait Sanon. La « réelle originalité puisée dans les réalités » du Burkina Faso visait à créer « une économie

réellement structurée » privilégiant les PMI-PME dont le fondement devait être
« la petite unité artisanale (menuiserie, réparation de cycles et de cyclos, fabrication de matériel agricole, etc.), structure de transition entre l’exploitation familiale traditionnelle et la grande industrie moderne ».

Nous étions en 1990. Le Burkina Faso sortait de sept années de collectivisme économique et social. Qui n’était plus dans l’air du temps depuis que Ronald Reagan avait présidé les Etats-Unis (1981-1989) et que Margaret Thatcher avait dirigé le Royaume-Uni (1979-1990). Deux chantres du libéralisme économique, deux pourfendeurs de l’Etat. Ouaga cherchait une voie médiane qui s’apparenterait au « développement autocentré » et à la « politique de substitution aux importations ». Le Burkina Faso échouera dans sa recherche d’une troisième voie économique entre « appropriation collective des moyens de production » et un capitalisme qui ne pouvait être que l’expression de l’impérialisme. Mais la
« libéralisation » de l’économie profitera à l’émergence d’un secteur minier qui, jusqu’alors, n’avait pas les moyens (financiers extérieurs) de ses ambitions.

*

Sanon n’était alors qu’en treizième position dans la hiérarchie gouvernementale. L’année suivante, le 16 juin 1991, il en deviendra le numéro 3 après Roch-Marc- Christian Kaboré, chargé de la Coordination de l’action gouvernementale, et Frédéric-Assomption Korsaga en charge des Finances et du Plan. Sanon était désormais ministre de l’Industrie, du Commerce et des Mines. Un portefeuille qu’il conservera jusqu’au 20 juin 1992 ; il sera alors nommé ministre des Relations extérieures.

La montée en puissance de Kaboré – nommé Premier ministre le 22 mars 1994, au lendemain de la dévaluation du franc CFA –, promu économiste en chef du Burkina Faso marquant ainsi la rupture avec les années
« révolutionnaires », va marginaliser Sanon.

Le 22 mars 1994, il sera ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement (il avait été élu député en 1992 et le sera encore en 1997, 2002 et 2007), portefeuille qu’il conservera lors du remaniement du 11 juin 1995 (mais en tant que ministre et non plus ministre délégué) puis dans le gouvernement formé par Kadré Désiré Ouédraogo le 9 février 1996.

Après que Maurice Mélégué Traoré ait été élu à la présidence de l’Assemblée en remplacement de Arsène Bongnessan Yé, Sanon quittera le gouvernement le 10 juin 1997. Il sera ambassadeur à Vienne avant de prendre la présidence du CES le 10 novembre 2003, fonction qu’il occupera jusqu’en 2012.

Jean-Pierre Béjot La Ferme de Malassis (France)
19 janvier 2021

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Vos commentaires

  • Le 20 janvier 2021 à 11:45, par Le Pacifiste En réponse à : Thomas Sanon, metteur en scène de la rupture économique de 1990 au Burkina Faso

    Un véritable cours d’histoire qui, en quelques lignes, nous fait revivre un pan important de l’histoire du pays. La chronologie, cette science qui étudie les dates est très importante dans la narration des faits historiques et même journalistiques. Et Mr Béjot nous fixe chaque fois dans le temps dans ces papiers. J’ai vraiment aimé.
    Nous apprenons beaucoup de mr Béjot. C’est pourquoi, à chaque que je tombe sur sur ses papiers, j’archive automatiquement
    ’’Côte d’Ivoire : Il y a trente ans, les obsèques de Gon Coulibaly à Korhogo’’ il nous avait narré l’histoire des Gon, c’était le
    13 juillet 2020

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