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Docteur Siaka Diarra, Président de l’ABPAM : un cadre juridique pour la prise en charge des aveugles

Publié le samedi 8 octobre 2005 à 08h36min

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Il n’est pas né aveugle. Il l’est devenu par la force des choses. Docteur Siaka Diarra, pharmacien de son état et diplômé d’un Master en kinésithérapeute, est le président de l’Association burkinabè pour la promotion des personnes aveugles et malvoyants (ABPAM).

Ayant perdu la vue en 1981 lors de ses études universitaires, aujourd’hui, il lutte aux côtés des personnes handicapées et malvoyantes pour leur épanouissement. Homme de caractère, doté d’une grandeur d’esprit et d’un sens élevé du respect de la dignité humaine, le docteur Diarra brosse les activités du Centre de l’ABPAM, les péripéties de sa vie, la lutte pour l’intégration socioéducative des personnes handicapées et malvoyantes.

Sidwaya Plus (S.P.) : Qu’est-ce qui a motivé la création de l’Association burkinabè des personnes aveugles et malvoyantes (ABPAM) ?

Dr Siaka Diarra (S.D.) : Il y a 20, 25 ans, la question de la cécité était reléguée au second plan. A ce titre, des aînés aveugles ont pensé qu’il fallait se retrouver dans un cadre de dialogue, de réflexion et d’échange. Ce, afin de faire connaître leurs problèmes.

Ainsi, à l’époque, des structures tel le Lion’s Club Doyen par l’intermédiaire de feu docteur Balla Traoré ont, en premier lieu, aidé à mettre en place l’ABPAM. Feu docteur Balla Traoré a été président de l’association durant une dizaine d’années (1979 - 1989).

Il a beaucoup œuvré à l’édification de l’ABPAM puisqu’il était membre du Lion’s Club Doyen. Nous avons aussi bénéficié de l’appui du ministère de la Coopération française, de celui de l’Action sociale burkinabè ainsi que d’autres partenaires qui ont mis à contribution leur temps, leur savoir-faire et surtout, leur appui financier pour la création de cette organisation. Toute chose qui a permis d’aborder les questions de la personne aveugle sur tous les plans.

S.P. : Comment se fait l’intégration dans le système éducatif des personnes aveugles ?

Dr S.D. : Il existe l’école spéciale des personnes aveugles que nous avons créée au sein de l’ABPAM. Cette école accueille les jeunes à partir de 5, 6 ans. Elle les scolarise d’abord entre eux avant de les intégrer quand ils acquièrent les capacités intellectuelles requises dans les écoles primaires ordinaires, les collèges, les lycées, etc. A l’école spéciale, les enfants apprennent les matières traditionnelles de l’école primaire : l’apprentissage du langage parlé et écrit dans les petites classes.

Dans les classes les plus avancées, les enfants sont outillés aux méthodes de calcul, à l’approfondissement de la langue française. En clair, c’est le programme de l’éducation nationale que nous mettons en pratique. Au niveau des collèges, des lycées et à l’Université, ils passent les mêmes examens que les autres du fait qu’ils bénéficient de la même formation. Il est évident que dans le cas des personnes aveugles, elles ont souvent besoin d’une réadaptation qui consiste à leur apprendre comment se comporter en présence des autres. La vue étant inexistante, il faut apprendre à développer d’autres sens tels que l’écoute, le toucher afin de pouvoir mener une vie presque « normale ».

A l’école spéciale de l’ABPAM, les enfants développent le langage, la socialisation partant, la simple cuisine qui paraît évidente, la jeunes fille aveugle a besoin d’apprendre. Du fait qu’elle n’a pas les repères visuels pour détecter l’emplacement des ustensiles, il faut lui apprendre une technique lui permettant de faire la cuisine normalement, proprement et sans danger.

S.P. : L’intégration est souvent difficile dans la société en général. Qu’est-ce qui explique cela, selon vous ?

Dr S.D. : Cela s’explique peut-être par l’indifférence ou l’ignorance. Il y a aussi le vide juridique. Tout ceci réuni, fait que les populations n’ont pas encore bien compris la vie de la personne aveugle. Certains pensent qu’il n’est pas bien d’inscrire un jeune aveugle à l’école. D’autres pensent que travailler avec la tablette dérange parce qu’elle fait du bruit. Et souvent, il y a des rejets de la personne aveugle. Rejets souvent clairement exprimés ou souvent plus subtils. L’on évoque souvent le manque de place pour justifier des pratiques. Il faut que les gens comprennent que l’aveugle est capable d’apprendre, de comprendre, de réussir ses études et d’être brillant. Les exemples à travers le monde sont éloquents. Au Niger, l’on a eu une personne aveugle qui était ministre de la Justice. Le rapporteur spécial sur les questions des personnes handicapées aux Nations unies est une personne aveugle, M. Ben Lingus. Au parlement de la Grande Bretagne, il y avait un parlementaire aveugle. Dans le monde entier, il y a des magistrats, des greffiers, des professeurs d’université qui sont des personnes aveugles. Cela veut dire que si l’on donne l’opportunité au jeune aveugle, la compétition peut très bien se dérouler entre celui-ci et les autres. Cela permettra de développer ses capacités. Il faut se méfier des préjugés, des croyances non justifiées qui sont la cause des rejets des personnes aveugles. C’est pourquoi, nous essayons toujours d’aborder la question très diplomatiquement afin d’expliquer, de convaincre et de se faire accepter. Chacun a droit aujourd’hui aux services de l’éducation pour ne citer que ce domaine. Mais, cela est pareil aussi pour le monde du travail. La personne handicapée a beaucoup plus besoin de travail du fait qu’elle a besoin des fruits du travail. La solidarité vis-à-vis des handicapées a baissé d’intensité et les gens souffrent énormément.

S.P. : Comment se manifeste ce rejet de la société ?

Dr S.D. : Il se manifeste par ce que l’on voit tous les jours dans la rue : un aveugle tiré par un enfant aux feux tricolores. Il est obligé de quémander chaque jour pour survivre. En zone rurale, une personne aveugle n’est pas souvent considérée. Parfois, l’on ne lui donne même pas à manger parce qu’on trouve qu’il est inutile. Cela est très grave, c’est une souffrance sans compter la souffrance morale qui fait penser que la perte de la vue est synonyme de perte de dignité. Toutes ces souffrances sont dues au fait que les communautés ne nous donnent pas la chance de nous épanouir totalement.

S.P. : Comment stigmatisez-vous le comportement des parents vis-à-vis des enfants handicapés ?

Dr S.D. : La plupart des parents, après avoir inscrit leur enfant à l’ABPAM, ne s’intéresse plus à ce qu’il fait ni à ce qu’il devient. Du fait que l’enfant doit vivre 9 à 12 mois d’année scolaire à Ouagadougou, c’est l’ABPAM, qui, grâce à ses partenaires, aux bonnes volontés, qui ne sont pas souvent des Burkinabè, aide nos enfants par le biais du parrainage. Alors, les familles doivent comprendre qu’il ne faut pas faire de différence parmi les enfants.

Ce n’est pas parce que l’un est handicapé qu’il ne doit pas aller à l’école. Très souvent, le jeune handicapé, avec un peu de chance, arrive à s’en sortir et aider aussi la famille. Notre combat dans la communauté est un plaidoyer permanent sur notre manière de faire et celle de voir les choses en faisant partager cette vision et ce savoir-faire aux autres. Nous voulons montrer que c’est une justice sociale que nous, personnes handicapées, personnes aveugles, puissions avoir les mêmes avantages sinon plus d’avantages que les autres. Puisque nous avons beaucoup de désavantages par rapport aux autres.

S.P. : Quels sont ces désavantages ?

Dr S.D. : D’abord, l’obstacle. Par exemple, les « bien-portants » lorsqu’ils veulent aller au marché, n’ont pas besoin de se faire accompagner. En revanche nous, nous avons besoin d’être guidés. Pareil pour les engins à deux ou 4 roues. Les plus grands désavantages ont le rejet et l’incompréhension de l’homme, le manque d’emploi, de formation, de structures, d’éducation pour les handicapés. Et je ne cite pas le côté psychologique, moral du problème. Ce sont des désavantages qui existent et ils sont le corollaire du handicap.

S.P. : Quel a été le parcours du docteur Diarra ?

Dr S.D. : Je suis précisément docteur en pharmacie. J’ai obtenu mon diplôme de pharmacien-biologiste au moment où je n’avais pas encore perdu la vue. J’ai exercé à l’hôpital Yalgado Ouédraogo pendant quelques années. Ensuite, j’ai eu des problèmes de vision et j’ai été me soigner au Mali puis en France. Les soins n’ont pas donné les résultats escomptés.

Etant aveugle, j’ai fait des études en kinésithérapie et j’en suis sorti Master kinésithérapeute, diplômé d’Etat français. Ensuite, je suis revenu à l’hôpital Yalgado Ouédraogo où j’ai exercé la profession de kinésithérapeute durant quelques années avant de m’installer comme pharmacien d’officine. D’abord à Bobo-Dioulasso et ensuite, à Ouagadougou. De ce fait, j’ai connu « les deux mondes » et j’ai appris à vivre dans les deux cas. D’un côté, j’étais un homme qui voyait comme vous ; j’ai pu étudier et j’ai réussi brillamment les études. De l’autre côté, je suis devenu aveugle mais j’ai brillamment étudié et obtenu mon diplôme de kinésithérapeute. Cela veut dire que quelque part, le handicap n’est pas un frein ni à l’épanouissement de l’individu ni à son éducation.

Si la volonté existe et que l’appui suit, les gens ont beaucoup plus de chance de réussir dans ce qu’ils entreprennent. Il n’y a pas de miracle à réaliser, il faut simplement du courage et de la détermination. En plus, il faut développer le goût, le pouvoir de vaincre l’adversité, le handicap afin de montrer qu’il est possible de réussir.

S.P. : Comment s’est concrètement passée la dégradation de votre santé visuelle ?

Dr S.D. : J’ai senti mes problèmes de vision lorsque j’étais dans les cursus universitaires. La médecine, à l’époque, n’avait pas assez évolué comme de nos jours. Aussi, étant étudiant, il est clair que l’on n’a pas assez de moyens pour se soigner. Ma maladie a débuté par des problèmes de rétine. A l’Université de Dakar où je poursuivais mes études, l’on a tenté des soins qui n’ont pas marché. Après être rentré au Burkina, je ressentais toujours le mal quand bien même j’exerçais à l’hôpital Yalgado Ouédraogo comme pharmacien. C’est alors que j’ai demandé à ce que l’on s’occupe de ma santé. Je suis parti, de ce fait, au Mali où j’ai beaucoup traîné et on n’a pas pu me faire le laser à temps du fait que les appareils étaient en panne. Et en lieu et place du laser, l’on m’a fait une opération qui, malheureusement, n’a pas marché. L’un de mes yeux était profondément touché et l’autre n’avait rien. Suite à l’opération, le second œil qui n’avait rien, a été touché. C’est ainsi que j’ai perdu la vue totalement.

S.P. : Quel accueil avez-vous eu de la part de votre famille ?

Dr S.D. : Je me suis marié à une femme très compréhensive. Elle m’a tenu quand je voyais normalement et elle est restée toujours à mes côtés lorsque j’ai perdu la vue. Je pense que c’est une femme qui me comprend très bien parce qu’avec cette vie que je mène, il est évident que ce n’est pas facile. Quelque part, il y a un appui et un soutien de sa part en permanence. Je le reconnais. Je ne peux pas le nier.

Du côté des enfants aussi, ils ont appris à vivre avec ma nouvelle situation. J’ai deux enfants qui savent que leur papa ne voit pas.

Je peux dire que pour eux, cela est tout à fait normal parce qu’ils sont nés après que j’ai perdu la vue. Au début, au niveau familial, lorsqu’un individu est victime d’une telle situation, c’est le désarroi.

Les gens cherchent à vous emmener « de gauche et à droite » pour vous soigner. Ils sont prêts à dépenser des fortunes quand bien même vous leur avouez que les médecins ont diagnostiqué que la cause est perdue.

Cela est lié aussi à la culture africaine. Mais au fur et à mesure, les gens s’adaptent puisque j’ai perdu la vue depuis 1981.

S.P. : Quels messages avez-vous à lancer afin que cette manière de voir les choses change ?

Dr S.D. : Notre message a toujours été la sensibilisation. Nous voulons que chaque personne sensibilisée, sensibilise une autre personne afin de faire boule de neige. Aussi voudrions-nous un cadre juridique qui favorise la prise en charge de la personne handicapée dans la société. Cela, en respectant les conventions, les traités, les pactes internationaux qui ont été signés en matière de droits de l’homme et qui s’appliquent aussi aux personnes handicapées. Nous voulons aussi que l’Etat burkinabè, en construisant des structures de formation, d’éducation ou de sport, pense à cette catégorie de personnes que sont les handicapés. En outre, il faut que les familles comprennent que le handicap n’a pas été demandé par ceux qui en sont victimes.

Le handicap ne s’achète pas. C’est un fait malheureux qui met la personne victime dans une situation très difficile. Son premier appui dans ce genre de situation demeure la famille. La famille doit aider la personne à s’intégrer dans la société.

L’enfant handicapé doit aller à l’école. Dans le cas d’une personne âgée, l’on doit l’aider à surmonter son handicap, ses douleurs, ses angoisses.

S.P. : Comment se déroule la vie d’une personne malvoyante ?

Dr S.D. : L’épanouissement d’une personne aveugle ou malvoyante dépend de la société qui l’entoure. Par exemple, le soutien des amis est très important lors des loisirs, des sorties pour des soirées de détente.

En ce qui me concerne, je sors de temps à autre me détendre avec mes amis. Je regarde la télé et j’apprécie beaucoup les films documentaires à cause des commentaires qu’on écoute. Je lis beaucoup les ouvrages en braille traitant de divers domaines. Je les fais venir sur commande lorsque j’ai besoin d’un ouvrage spécifique. Lors des excursions, nous avons des personnes qui nous accordent leur temps pour nous décrire ce qu’ils voient afin que nous puissions nous faire une idée de ce qui s’y déroule. Et nous, nous usons du toucher pour voir ce qu’il décrit.

En ce qui concerne les enfants, il faut que l’on songe qu’ils ont d’abord le droit d’aller à l’école pour s’épanouir. Ici à l’ABPAM, nous ne vivons que de dons de bonnes volontés. Alors, il n’est pas dit aux parents que lorsqu’ils emmènent leurs enfants à l’ABPAM, ils doivent se désengager de ces enfants. Le peu qu’ils peuvent faire pour montrer que c’est leur enfant, ils doivent le faire.

S’il n’y a pas de dons, ni de subventions encore moins de partenaires, l’éducation des jeunes aveugles coûtent excessivement cher. Une tablette coûte en moyenne 25 à 30 000 FCFA. La machine Perkins coûte en moyenne 400 à 500 000 FCFA. Or, l’aveugle a besoin de tous ces outils pour apprendre la mobilité. Donc l’aide, les dons sont indispensables pour faire fonctionner l’ABPAM. 

Interview réalisée par Daouda Emile OUEDRAOGO (ouedro1@yahoo.fr)
Sidwaya

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