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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (16)

Publié le jeudi 6 octobre 2005 à 09h01min

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Kadré Désiré Ouédraogo, nommé Premier ministre en février 1996

L’année 1996 avait débuté, au Burkina Faso, avec la recomposition des forces politiques qui soutenaient l’action du président Blaise Compaoré au sein du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Le CDP résultait de l’absorption par l’ODP-MT, le parti présidentiel, de huit groupuscules politiques plutôt gauchisants appartenant à la majorité présidentielle.

Du même coup, avec 87 députés sur un total de 107, cette nouvelle formation marginalisait l’opposition.

A
la veille de cette opération un nouveau Premier ministre a été nommé ; il s’agit de Kadré Désiré Ouédraogo. Il débarque à Ouagadougou le 6 février 1996 ; il arrive de Dakar où il occupait le poste de vice-gouverneur de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Guest (BCEAG). Le premier Premier ministre de la IV ème République (Youssouf Ouédraogo) était un authentique politique ayant une excellente formation d’économiste ; le deuxième (Roch Marc Christian Kaboré) était plus un gestionnaire des politiques publiques qu’un homme politique (ce qui n’empêchait pas qu’il ait été vice-président de l’ODP-MT) ; le troisième (Kadré Désiré Ouédraogo) est, essentiellement, un économiste.

Son premier gouvernement, formé le 9 février 1996, est d’ailleurs une reconduction du précédent cabinet à trois exceptions (mineures) près : Emploi, Travail et Sécurité sociale ; Agriculture et Ressources animales ; Transport et Tourisme.

La nomination au poste de Premier ministre d’un homme tel que Kadré Désiré Ouédraogo, un homme neuf sur la scène politique burkinabè, éloigné des luttes politico-militaires de la
"révolution" et de la "rectification ", exprime la perception que Compaoré a de l’évolution des choses : la situation du Burkina Faso est, cette fois, totalement normalisée ; le jeu politique s’exprime exclusivement dans le cadre constitutionnel et institutionnel.

Cette normalisation de la vie politique permet dès lors de donner la priorité à l’action économique. Economique et diplomatique car Compaoré se prépare à une échéance majeure : l’organisation à Ouagadougou du Sommet France-Afrique dont le thème ("gouvernance et développement") "est au coeur de nos préoccupations, le débat sur l’organisation de nos Etats, sur la manière d’obtenir de meilleurs résultats, sur la bonne gestion du secteur public, sur l’encadrement des activités privées [étant] central", soulignera Compaoré dans un entretien accordé à Jeune Afrique (20-26 novembre 1996) à quelques jours de l’ouverture du Sommet.

Au printemps 1996, dans la perspective de la préparation de ce Sommet (et à la veille de la tenue, à Lyon, du G7 consacré aux politiques de développement), Compaoré est venu en visite à Paris. C’est aussi l’occasion pour lui de publier un papier dans Le Journal du Dimanche (30 juin 1996). Le JDD a, déjà, la qualité éditoriale qu’on lui connaît aujourd’hui mais pas encore la notoriété qui est désormais la sienne (et qui a obligé, depuis, les groupes de presse français à "sortir" le dimanche).

Le papier de Compaoré va passer inaperçu. Ou presque. Dommage ; il était essentiel et il le reste. Avant d’en évoquer le contenu, il faut reprendre la présentation de l’auteur par le JDD. "A 45 ans, y est-il écrit, Blaise Compaoré est un des chefs d’Etat les plus écoutés de
l’Afrique [...] Treize ans de pouvoir à la tête d’un pays sans grandes ressources mais qui est un de ceux qui s’en sortent le mieux depuis quelques années [...] grâce à une bonne gestion et une agriculture active". Voilà l’enfant turbulent et insubordonné de l’Afrique de l’Ouest élevé au rang de chef d’Etat raisonnable et responsable. Fabuleuse métamorphose !

Le papier de Compaoré est intitulé "Mondialisation ou perdition ? ". Soulignant d’abord, que "les intérêts financiers de quelques mégagroupes [...] enserrant dans leurs mailles l’ensemble de la planète [...], il est vain de parler de systèmes économiques différents", le chef de l’Etat burkinabè constate que "tout se passe comme si le mot magique de la croissance devenait lui-même son objet et sa finalité". Or, nous dit-il, au Nord comme au Sud, dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, il existe une "fracture sociale (chômage, exclusions, affaiblissement du système de sécurité sociale) ", "l’accumulation des des déficits budgétaires ", "une croissance aux antipodes de la justice et de la solidarité ". La responsabilté selon Compaoré, en incombe à l’absence de "projet de société tant à l’intérieur des Etats qu’entre les nations, étouffant le quart-monde dans les pays du Nord et élargissant le fossé
ces derniers et le tiers-monde ".

Il affirme "que le monde est en état d’urgence économique en dépit, et surtout à cause de cette mondialisation ; le néolibéralisme, après plus de quinze a "triomphalisme ", a montré ses limites en soumettant sans sourciller la culture et la socié au joug de l’efficacié économique ".
Le profit, nous dit-il, est devenu le "but ultime et l’unique moteur" de "l’activité économique de l’homme ".

On le voit, Compaoré, malgré sa métamorphose, n’a rien perdu de sa capacité d’analyse et de révolte, dénonçant un néolibéralisme qui est, dans le tiers-monde, "plus prodigue de ses
que de ses vertus ". C’est "l’impasse ", écrit-il. Et il convient "d’imaginer une autre manière de mener cette inéluctable mondialisation afin qu’elle soit essentiellement un facteur d’espoir, de paix et de solidarité ". "Abandon définitif de la dette africaine ", "restructuration des rapports économiques, notamment des termes de l’échange" et "émergence de politiques nationales industrielles s’encastrant harmonieusement dans des zones économiques régionales" sont les conditions de base qui devraient permettre "aux pays de la périphérie de participer
mondialisation comme acteurs et non comme victimes ".

"La vraie mondialisation, écrivait
Compaoré, c’est celle qui réalise la mondialisation de la justice et de la prospérité, en un mot, celle qui tisse la solidarité entre les peuples et les nations au service de la paix ".

Quand il a été publié, ce texte m’a emballé. Il a emballé également un de mes amis, Claude Laigle, ingénieur, ancien président du Beptom (qui avait en charge la coopération française l’outre-mer en matière de télécommunications et de services postaux) et de Satel Conseil, président du Groupement pour le développement des télécommunications rurales en Afrique(Gircom). Nous avons aussitôt alerté le directeur de cabinet de Compaoré, Sanné Topan, pour souligner l’intérêt qu’il y avait à promouvoir ce texte.

Laigle en a fait une analyse dans Marchés Tropicaux (27 décembre 1996) considérant que "Mondialisation ou perdition ?" avait "ouvert le grand débat de notre temps" que Compaoré avait lui-même relancé à Ouaga, lors de la conclusion du Sommet France-Afrique. "Si l’Afrique devait rester en marge des préoccupations de de l’ordre mondial du 3ème millénaire, alors elle sera forcément une bombe et ses radiations se répandraient certainement loin ".

Laigle écrivait alors : "Aussi le moment est-il venu que
soit entreprise, en réponse de l’Europe à cet appel venu d’Afrique et au sein de l’ensemble constitué par ces deux importantes parties du monde, une vaste opération de concertation et de recherche, à la mesure du problème fondamental de notre époque, pour ouvrir réellement la voie montrée par le président Compaoré. L’attente est immense et l’on peut penser que cette initiative cristalliserait les énergies de tous ceux qui refusent de se résigner ou de se complaire dans ce retournement de la civilisation industrielle ".

Nous sommes en 1996. Ce n’est qu’en janvier 2001 que sera organisé, au Brésil, à Porto Alegre, le premier Forum social mondial sur le thème : "Un autre monde est possible ". Nul peut nier que, déjà, plus de quatre ans auparavant, Compaoré et son équipe avaient engagé
réelle une réflexion sur la question.

Une réflexion sous-tendue par une action permanente menée à la tête de l’Etat. Comme quoi les utopies peuvent devenir, parfois, des réalités. A condition, comme dirait Compaoré qu’il y ait tout à la fois "détermination et engagement collectif pour le travail"

A suivre

Jean-Pierre Béjot

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