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Elections législatives : L’avenir nous réserve-t-il du nouveau ?

Publié le jeudi 22 octobre 2020 à 15h21min

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Elections législatives :  L’avenir nous réserve-t-il du nouveau ?

Les élections ne font pas la démocratie, mais elles sont un élément important de sa vitalité. C’est le moyen privilégié de la conquête du pouvoir pour les organisations internationales (CEDEAO, UA, ONU). C’est le moyen de désignation des détenteurs du pouvoir : Président et députés. Observer un peuple, une nation lors du processus électoral renseigne sur sa vie démocratique et ses comportements politiques : principaux acteurs, classes sociales dominantes dans le processus, grands influenceurs et facteurs dominants dans le succès politique des partis.

La publication des listes provisoires aux élections législatives par la CENI (Commission électorale nationale indépendante) nous donne l’occasion d’observer quelques pratiques de nos partis qui sont en compétition pour les élections couplées du 22 novembre 2020.

Des motifs de satisfaction

À première vue, il y a beaucoup de partis qui participent au processus : 58 partis ont déposé des listes de candidats pour les listes nationales. Ce nombre peut être multiplié par trois pour les listes provinciales, compte tenu des partis qui ne se présentent que dans quelques circonscriptions électorales. Ces statistiques ne tiennent pas compte du processus d’invalidation des listes qui est en cours.
Les circonscriptions électorales n’ont pas le même poids en terme de députés et les plus disputées au sens où il y a plus de partis politiques qui déposent des listes de candidats sont celles du Kadiogo et du Houet où il y a respectivement 85 listes et 69 listes. Ces circonscriptions sont préférées parce que le nombre de sièges de députés qui sont à pourvoir sont de 9 et de 6. Compte tenu du mode de scrutin où il y a une petite dose de proportionnelle, les différents partis-candidats pensent avoir plus de chance d’avoir des élus dans ces deux circonscriptions.

Mais ces deux circonscriptions sont aussi celles des deux plus grandes villes du pays, où la petite bourgeoisie est dominante. Les partis politiques naissants et peu implantés dans le pays veulent s’adresser à cette couche de la population faite de fonctionnaires, de salariés sachant lire et parler français, d’étudiants et d’élèves, de petits commerçants, etc. Ce qui fait de ces élections une affaire de citadins si l’on veut s’intéresser à la diversité de l’offre politique en termes de choix des hommes. Mais le pouvoir de décision est plutôt dans les campagnes, car c’est le vote des villages qui donne le pouvoir et les grands partis le savent bien.

Les élections législatives, jusque-là, dans notre pays, sont celles où il n’y a pas de programmes politiques en compétition. On peut se tromper si par hasard un parti en a, nous serons heureux qu’il nous l’envoie. Ce qui fait qu’à l’arrivée, l’Assemblée nationale est une chambre d’enregistrement des projets de lois du gouvernement. On peut parier que les élections prochaines seront comme les précédentes sans programme politique, à part des promesses démagogiques dans les provinces que les députés oublieront une fois élus.

Sur le plan de l’adhésion des partis au processus, les organisateurs peuvent se féliciter si l’on tient compte des débats qu’il y a eu sur l’organisation ou pas des élections législatives. En tous cas, ce débat est derrière nous, et relève de l’histoire politique car au niveau de l’hémicycle, beaucoup de députés se représentent aux élections, à commencer par le Président de l’Assemblée nationale M. Allassane Bala Sakandé et des portes voix fortes du report comme le député Alexandre Sankara et Aziz Diallo, et ne voient pas de problème pour leur légitimité s’ils sont élus après le 22 novembre 2020. Ce débat sur le report des législatives et le prolongement du mandat de tous les députés d’un an, compte tenu de l’insécurité a montré que nos parlementaires peuvent être subjectifs. Comment peuvent-ils nous assurer de la victoire de nos forces de défense et de sécurité dans un an, eux qui n’ont pas réussi à suivre et faire exécuter leurs propres propositions sur la sécurité ? Mais pourquoi nos honorables députés ont-ils voulu prolonger leur mandat à cause de l’insécurité, puisque 94% des communes et 83% des villages ont été enrôlées par la CENI ?

Le débat a montré aux parlementaires que la légitimité au niveau des partis politiques est auprès des organes de décision des partis et c’est eux qui ont tranché au niveau de la commission du dialogue politique pour l’organisation des élections.
Le report des élections était défendu aussi par des responsables de partis non représentés à l’Assemblée, notamment, l’ex enfant terrible du syndicalisme burkinabè dans les années 1980, M. Touré Soumane, et le professeur Abdoulaye Soma de manière très savante, ce qui ne l’a pas empêché de laisser les théories sur l’universalité du vote pour son prochain passage à l’amphithéâtre et de se présenter aux élections présidentielle et législatives avec son parti Soleil d’Avenir. Nous serons heureux de l’entendre professer avec brio (comme d’habitude) sur ses choix, le droit et la Constitution.

Le nombre de partis politiques qui participent aux élections est un motif de satisfaction, il devrait augmenter par rapport aux élections précédentes, plus de la centaine sans aucun doute (la CENI n’a pas fait le décompte sur les listes provisoires.) Ce qui est intéressant c’est que de nouveaux partis participent à ces élections. C’est une preuve de vitalité, de renouvellement des formations politiques dans notre pays. Qu’il y ait plusieurs mains à la tâche commune n’est pas nuisible.
On peut dire que le mouvement insurrectionnel a fait naître de nouvelles forces qui veulent être représentées à l’Assemblée nationale. Parmi ces partis on peut citer le Mouvement Sens de Me Guy Hervé Rommel Kam qui a participé à l’insurrection avec le Balai Citoyen et veut maintenant le changement, non par la rue mais par le vote. Les leaders du parti MPS (Mouvement patriotique pour le salut) comme le professeur Augustin Marie Gervais Loada et M. Hervé Ouattara qui sont des anciens chefs insurgés, sont aussi dans l’arène pour être élus par le vote.

Ce sera intéressant de voir si les jeunes en colère qui marchaient contre le pouvoir à vie de Blaise Compaoré, vont à la suite de leurs anciens compagnons et dirigeants aller les désigner dans les urnes. Une chose est sûre, certains jeunes se sont inscrits avec les 2 377 601 nouvelles personnes sur le fichier électoral lors de la dernière révision. Le parti OPA BF de l’avocat Me Farama qui se réclame du sankarisme et du panafricanisme est aussi né après le mouvement insurrectionnel et participe de ce courant comme Alternative Patriotique Panafricaine (APP/ Burkindi de Coulibaly Adama), et le parti des progressistes unifiés (PUR) d’Alexandre Sankara, etc. Cette diversité de forces politiques de la gauche du pays qui participe aux élections est une nouveauté.

Un certain de nombre de listes sont des regroupements d’indépendants. La loi obligeant les indépendants à se présenter comme les partis, en association, ce qui les prive de leur liberté et autonomie revendiquées pour agir comme des partis qu’ils ne sont pas.

L’argent, le nerf de la guerre électorale

Lors du show médiatique organisé autour du dépôt des candidatures aux élections présidentielles, un candidat a crevé l’écran : il était d’ailleurs le premier à venir déposer sa candidature avec sa motocyclette, et son air de candidat normal, représentant parfait de « monsieur tout le monde ». M. Issa Sawadogo s’est plaint du montant de la caution de 25 millions de Fcfa qu’il n’a pas alors qu’il est en droit de se présenter. On n’a pas entendu beaucoup de récriminations concernant la caution pour les législatives. Mais là aussi, l’argent est à pied d’œuvre dans le processus, depuis la confection des listes de candidats par les partis et durant la campagne.

Il y a beaucoup de candidats inconnus, nouveaux dans l’arène politique, mais il y a aussi des célébrités : ceux qui « squattent » les écrans des télévisions depuis quelques années, les hommes et les femmes (si peu représentées) du paysage politique burkinabè. Un petit flash sur les têtes connues des 5 000 candidats à la députation.

En premier les ministres et ex ministres, vous les retrouvez sur les listes du parti au pouvoir et de sa majorité, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), l’Union pour la renaissance, parti sankariste (UNIR/PS), le PDS (Parti pour la démocratie sociale) et de l’ancien parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et l’ADF/RDA.

Majorité présidentielle : les ministres qui veulent être députés

Généralement, les choses ne se font pas dans cet ordre, quand on est ministre. On préfère rester dans les « ors de la République », on ne veut pas lâcher un fauteuil ministériel pour aller au parloir. Le lieu de la décision, de l’exécution, des actes, du pouvoir, c’est le gouvernement, et l’Assemblée, c’est le moulin à paroles. Mais au niveau des partis, les ministres sont des apporteurs de voix et de moyens pour battre campagne, alors ils sont importants dans une campagne pour avoir la majorité et gouverner. C’est pourquoi plus de la moitié des ministres sont en campagne pour les législatives et la réélection du président Roch Marc Christian Kaboré.

Pèle mêle nous avons côté MPP :
Le ministre de l’Economie, des Finances, et du Développement, M. Lassané Kaboré, qui est candidat dans la province des Balé pour le MPP ;

La ministre de l’Economie du Développement de l’Economie et des Postes, Mme Adja Fatoumata Ouattara, qui conduit la liste du parti au pouvoir dans le Houet ;
Le ministre des Infrastructures, M. Eric Bougouma dans le Ganzourgou ;

La ministre déléguée auprès du ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Cohésion sociale, chargé de la Décentralisation et de la Cohésion sociale : Mme Madiara Sagnon née Tou, tête de liste dans la Comoé ;

Le ministre de l’Education nationale, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales : M. Stanislas Ouaro qui conduit la liste MPP dans le Mouhoun ;
Le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Cohésion sociale : M. Siméon Sawadogo est candidat dans le Bam ;

Le ministre de l’Energie : M. Bachir Ismaël Ouédraogo sollicite les suffrages dans le Sanmatenga ;

Le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération : M. Alpha Barry veut un des sièges du Kourwéogo à l’Assemblée nationale ;

Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation : M. Alkassoum Maïga est en compétition dans l’Ouadalan ;

La ministre de la Santé : Mme Léonie Claudine Lougué née Sorgho dans le Boulgou ;

Pour la liste nationale, il y a aussi des ministres comme celui de la Jeunesse, de la Promotion de l’Entreprenariat des jeunes, M. Salif Tiemtoré et sa collègue ministre de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire, Mme Hélène Marie Laurence Ilboudo Marchal.

Comme si le bataillon de ministres ne suffisait pas, le MPP a recours à d’anciens ministres comme le prédécesseur de Christophe Dabiré, l’ancien Premier ministre Paul Kaba Thieba qui conduit la liste MPP au Sourou et les deux anciens ministres de la Santé qui se sont succédé, MM Smaila Ouédraogo pour un des sièges du Yatenga et Nicolas Méda dans le Ioba comme tête de liste.

Côté UNIR/PS

Le parti associé au pouvoir fait comme son allié MPP. Ses deux ministres sont candidats :

Le Ministre de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique : M. Batio Bassière est tête de liste dans le Houet, et le ministre des Ressources animales et halieutiques : M. Sommanogo Koutou au Nayala. Le parti de Me Sankara a recours à l’ambassadeur Boudo Athanase comme candidat.
Les partis qui ont un ministre comme le PAREN, le PDC et le PDS aussi utilisent leur jockey.

Le CDP n’est pas en reste

L’ancien parti au pouvoir fait feu de ses anciens ministres qui prennent les premières places des listes. L’ancien Premier ministre du dernier gouvernement de Blaise Compaoré, M. Beyon Luc Adolphe Tiao est tête de liste dans le Sanguié ; Bongnessan Arsène Ye, ancien ministre d’État, ministre chargé des Relations avec le parlement et des réformes politiques brigue l’un des sièges des Balé pour le CDP. L’ancien porte-parole du gouvernement de Blaise Compaoré, M. Alain Édouard Traoré veut décrocher un siège dans la Comoé. Au Kadiogo sur la liste CDP, il y a l’ancien ministre de l’Environnement, Salifou Sawadogo.

L’ancien ministre de la Jeunesse, Achille Tapsoba, est deuxième sur la liste nationale du CDP. Pourquoi le CDP de Eddie Komboigo n’a pas fait le plein des anciens ministres sur ses listes ? Il y a certains qui ne sont pas au pays, mais ils ne sont pas les plus nombreux. Il y en a qui estiment qu’ils ont déjà assez donné à la politique, et qui veulent arrêter les frais sans doute. On peut estimer sans se tromper qu’ils sont les plus nombreux.

Du côté des anciens alliés du CDP au gouvernement, il y a les ministres des Transports et de l’Economie numérique Me Gilbert Noel de Bonne Espérance qui est candidat ADF/RDA et Zougba Regma Dominique Alain pour l’Autre Burkina PSR.

Ces choix de ministres et anciens ministres sont faits des deux côtés, par tous ceux qui le peuvent, parce que le processus électoral dans notre pays est fortement tributaire de l’argent. On peut avoir été ministre et ne pas être charismatique, populaire, et susceptible de fédérer des voix pour gagner une élection. Mais si on a été ministre, on est susceptible d’avoir de l’argent et cela peut fortement aider à gagner l’élection. Ces choix des partis politiques qui sont aux affaires ou ont été aux affaires accréditent cette opinion.

La liste nationale

Les députés élus sur la liste nationale sont à notre avis des députés « hors sol », sans fief. Ils profitent des voix qui se sont portées sur les candidats dans les autres circonscriptions. Nous sommes étonnés que la plupart des chefs de parti ne fassent pas candidature dans une province donnée et aillent à la conquête d’un territoire précis, pour laisser les jeunes pousses du parti profiter de l’élection sur la liste territoriale. Pour de jeunes partis sans implantation géographique précise, la liste nationale leur permet de profiter de voix éparpillées sur le territoire. Dans ce cas le jeune chef de parti peut logiquement revendiquer le siège national. On est surpris que l’ancien ministre Achille Tapsoba qui est dans la politique depuis de longues années ne brigue pas un siège dans une localité précise mais sur la liste nationale. Est-ce à dire qu’il est un homme d’appareil et non de terrain, capable de mobiliser les votants ?

Les batailles à observer

Ce scrutin est intéressant par les multiples chocs entre partis et individus. La bataille CDP versus MPP, est celle des frères ennemis. Les candidats du CDP font le match retour, celui de renverser par les urnes ceux qui les ont chassés en descendant dans la rue avec les ennemis de l’opposition et ont gagné l’élection précédente sans leur participation. C’est un peu le retour de la bataille des stades remplis recto-verso. Lequel des deux l’emportera avec ses alliés ? C’est pourquoi il faudra observer les circonscriptions où il y a un ancien ministre du CDP, contre un ministre MPP comme les Balé où Arsène Bongnessan Yé, l’homme des réformes politiques doit se faire une virginité politique en battant ou en divisant la poire en deux avec l’actuel ministre des finances. Dans la Comoé, une lutte similaire opposera l’ancien porte-parole du dernier gouvernement de Blaise Compaoré, Alain Édouard Traoré, à Mme Sagnon Tou Madiara, ministre de la Cohésion nationale.

Une autre lutte fratricide entre anciens camarades est à observer entre les anciens militants de l’UPC, qui l’ont quitté avec armes et bagages pour aller dans le MBF et les nouveaux candidats députés de l’UPC. Ainsi on regardera avec intérêt les résultats à la Kossi et à la Léraba avec les députés Daouda Simboro et Lona Charles Ouattara du MBF contre Sermé Adolphe et Siaka Ouattara de l’UPC respectivement à la Kossi et à la Leraba. Toujours entre anciens camarades et aujourd’hui frères ennemis, si le député Alexandre Sankara conserve son siège au Kadiogo, c’est purement un soufflet qu’il aura donné au patron de l’UNIR/PS.

Il y a bien des choses à dire sur ces élections à venir. Souhaitons qu’elles se déroulent dans la transparence, la paix et le fair play, avec des résultats acceptés par tous.

Sana Guy
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 22 octobre 2020 à 15:43, par Amoless black power En réponse à : Elections législatives : L’avenir nous réserve-t-il du nouveau ?

    Contrairement à ce que vous pensez le cdp et le MPP ne sont des frères ennemis à ce scrutin mais des alliés qui avancent masqués pour le moment et qui en temps opportun se retrouveront pour former une majorité de gouvernement. Wait and see

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